DEVELOPPEMENT: La dispute sur le lac Malawi suscite la peur chez les pêcheurs

KARONGA, Malawi, 19 mars (IPS) – Depuis qu'il avait neuf ans, Martin Mhango, du village de Karonga, dans le nord du Malawi, n'a connu aucun autre moyen de subsistance que la pêche. Et pendant les 33 dernières années, il pêchait librement sur le lac Malawi – jusqu'en octobre 2012 quand il a été arrêté et battu par les forces de sécurité tanzaniennes.

“Ils m'ont arrêté, traîné jusqu'à la plage où ils m’ont frappé et m’ont détenu. Ils m'ont dit que j'étais entré sans autorisation et pêchais dans la partie tanzanienne”, a déclaré à IPS, Mhango, 42 ans. “Ils m'ont dit de ne plus jamais pêcher de leur côté. Il avait pêché sur les deux côtés du lac pendant des années, a-t-il dit, comme l’avaient fait les pêcheurs tanzaniens.

Le différend au sujet du troisième plus grand lac d'Afrique, qui est également appelé le lac Nyassa en Tanzanie, remonte à un demi-siècle.

Le Malawi revendique la souveraineté sur l'ensemble de ce lac de 29.600 kilomètres carrés qui chevauche les frontières du Malawi, du Mozambique et de la Tanzanie.

Pendant ce temps, la Tanzanie affirme que 50 pour cent du lac fait partie de son territoire.

La dispute entre ces deux pays d'Afrique australe a repris lorsque le Malawi a accordé des licences d'exploration à 'Surestream Petroleum', une compagnie pétrolière basée au Royaume-Uni, en 2011 pour rechercher du pétrole et du gaz sur le lac Malawi.

Les autorités tanzaniennes veulent que 'Surestream Petroleum' reporte tout projet de forage sur le lac jusqu'à la résolution du conflit. Mais le Malawi est resté provocateur.

En décembre 2012, le gouvernement du Malawi a accordé la deuxième plus grande licence d’exploration pétrolière (après la licence de Surestream) à 'SacOil Holdings Limited', une compagnie sud-africaine.

Jusque-là, les compagnies pétrolières n'ont pas encore commencé le forage et explorent toujours le centre du lac, qui a été bouclé.

Mais plusieurs familles de pêcheurs comme celle de Mhango qui travaillent le long du fleuve Songwe, dans le nord du Malawi, sont déjà prises dans cette dispute, poussant les pêcheurs à craindre que les deux pays n’aillent finalement en guerre.

Après l'incident d’octobre, Mhango a pris la précaution de ne pas s'aventurer dans les eaux du soi-disant côté tanzanien, ce qui a affecté ses moyens de subsistance.

La réduction de la prise a baissé son revenu pour chuter de plus de 286 dollars par mois à seulement 142 dollars.

“J'ai été durant toute ma vie pêcheur et c'est la première fois que je suis incapable de pêcher librement sur le lac et j'ai peur pour mon avenir”, a-t-il indiqué.

Josiah Mwangoshi, 52 ans, se souvient du fait d’appartenir à deux villages quand il grandissait – un sur le côté du Malawi et l'autre sur la partie tanzanienne.

“Mon village se trouve exactement le long du fleuve Songwe et je me souviens que lorsque le fleuve changeait de cours, nous migrions vers le côté tanzanien et plus tard, nous retournions vers le côté malawien lorsque le fleuve changeait de nouveau”, a expliqué Mwangoshi à IPS.

“Mais j’ai maintenant peur que les Tanzaniens puissent m'arrêter. Je ne peux plus vivre et pêcher sur le côté tanzanien où j'ai aussi une famille, parce que c’est désormais clair que le différend est très profond”, a-t-il souligné.

Des informations de présumées bastonnades et de harcèlement des pêcheurs du Malawi en octobre 2012 ont forcé la présidente du Malawi, Joyce Banda, à interrompre le dialogue qui avait commencé entre les deux pays.

La dispute s’est aggravée lorsqu’en novembre 2012 la Tanzanie a publié une nouvelle carte déplaçant la frontière entre la Tanzanie et le Malawi au milieu du lac.

Banda, fâchée contre la nouvelle carte et le harcèlement des pêcheurs par la Tanzanie, a organisé une conférence de presse à Lilongwe, la capitale du Malawi, quelques jours plus tard et a annoncé qu'elle avait protesté auprès du secrétaire général des Nations Unies et annulé une visite d'Etat prévue en Tanzanie.

Mais le Haut commissaire de la Tanzanie au Malawi, Patrick Tsere, a défendu les actions de son pays, affirmant qu’aucun pêcheur du Malawi n’a été harcelé dans les eaux territoriales tanzaniennes.

“Les forces de sécurité tanzaniennes ne se sont jamais engagées dans un tel comportement. C'est plutôt nous qui avons été inquiétés par le fait que des avions du Malawi aient été vus en train de voler dans le territoire de la Tanzanie sans notre autorisation”, a déclaré Tsere à IPS.

Beaucoup croient que la dispute au sujet du lac a le potentiel de se dégrader si une grande quantité de pétrole et de gaz y est découverte.

“Ce différend existe depuis plus de 50 ans, mais il s’est intensifié et est entré dans le domaine public maintenant à cause de la possibilité de découvrir du pétrole et du gaz”, a expliqué à IPS, Udule Mwakasungura, le directeur exécutif du 'Centre for Human Rights and Rehabilitation' (Centre des droits de l'Homme et de la réhabilitation), une organisation non gouvernementale au Malawi.

“Le lac Malawi contient plus de 2.000 espèces différentes de poissons – notre inquiétude est que l'exploration pétrolière et son forage subséquent affecteront l'écosystème des eaux douces”, a-t-il ajouté.

Le lac connaît une diminution des stocks de poissons pour chuter de 30.000 tonnes métriques par an à seulement 2.000 tonnes au cours des 20 dernières années, selon un récent rapport du ministère de l'Agriculture lu au parlement en février.

En janvier, les deux pays avaient présenté leurs déclarations de principe après avoir convenu que le différend soit réglé sous la médiation des anciens chefs d'Etat de la Communauté de développement d'Afrique australe, appelée aussi le Forum africain.

“Nous avons convenu avec la Tanzanie que nous soumettrons la médiation au Forum africain et jusque-là, nous avons tous les deux présenté nos déclarations de principe. Un processus de médiation devrait commencer avant la fin du mois (février) ou au début de mars”, a indiqué à IPS, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale du Malawi, Patrick Kabambe.