AFRIQUE: Les petits fermiers doivent devenir des détecteurs de virus

KAMPALA, 5 mars (IPS) – Tant que les petits fermiers africains, qui forment la majorité des producteurs de vivres sur le continent, ne bénéficieront pas des outils et connaissances pour faire face à l'augmentation rapide des maladies virales des plantes, les moyens de subsistance de millions de personnes seront en jeu.

Cette affirmation est de Nteranya Sanginga, le directeur général de l'Institut international d'agriculture tropicale (IITA). “Les virus des plantes se propagent rapidement à de nouveaux endroits, faisant échouer des efforts pour accroître la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance de millions de personnes. Les petits agriculteurs pauvres, qui constituent la majorité des producteurs de vivres et une grande partie de la population, sont les premières victimes de ces maladies virales avec leurs ressources limitées”, a déclaré Sanginga à IPS.

La maladie de la mosaïque du manioc (CMD), la maladie virale de la patate douce, le virus de la striure du maïs et le virus de la maladie de la striure brune du manioc (CBSD), sont quelques-uns des virus de plantes qui ont été répandus en Afrique dans un passé récent. Une plante infectée par la CMD présentera des feuilles blanches ou jaunes pâles, la distorsion des feuilles, et un retard de croissance.

Cependant, les symptômes d'une plante infectée par la CBSD sont moins évidents puisque seules de petites taches jaunes sur les feuilles indiquent la présence de la maladie. La plupart des agriculteurs ne sont en mesure d'identifier la maladie qu’une fois qu'ils récoltent la plante pendant que la CBSD déforme la racine et la fait pourrir.

Identifiée pour la première fois dans le district de Mukono, en Ouganda, en 2004, la CBSD s'est depuis ce temps propagée dans toute la région des Grands Lacs en Afrique de l'est, entraînant une perte de 30 à 70 pour cent des récoltes de manioc. Cette culture est un aliment de base en Ouganda, avec une production annuelle estimée à 5,5 millions de tonnes.

Selon l'IITA, la CBSD menace la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance de plus de 200 millions de personnes en Afrique orientale et centrale. Ensemble, la CMD et la CBSD ont causé plus d'un milliard de dollars de dégâts au manioc, les petits fermiers étant les plus touchés par cette perte.

Chris Omongo, un phytogénéticien du manioc au 'National Agricultural Crop Ressources Research Institute' (Institut national de recherche sur les ressources de cultures vivrières) de l'Ouganda, a dit à IPS que certaines pratiques agricoles ont favorisé la propagation des virus.

“Lorsque vous déplacez les matériaux infectés d'un endroit à un autre, vous aidez automatiquement à la propagation des virus”, a indiqué Omongo, ajoutant que la plupart des agriculteurs partagent involontairement des semences et de jeunes plants infectés.

Bulasio Luyiga, un petit producteur de manioc dans le district de Mukono, dans le centre de l'Ouganda, est l'un d'entre eux.

“La culture avait l'air si saine, mais au moment de la récolte, chaque tubercule était pourrie”, a-t-il dit à IPS. La CBSD attaque généralement la racine du manioc, bien que les feuilles des plantes puissent être également affectées.

Luyiga a indiqué qu'il a perdu plus de 70 pour cent de cette culture à cause du virus. “C’était une perte totale parce que j'ai acheté ce qui était considéré comme propre, le matériel végétal, seulement pour découvrir qu'il était sensible à cette maladie. Je ne l’aurais pas planté si j'avais su cela tôt”, a déclaré Luyiga.

Omongo a affirmé que s’ils bénéficient des connaissances, les petits fermiers peuvent empêcher les maladies virales de plantes de se propager. “Une fois que les agriculteurs savent comment identifier les maladies, alors ils les éviteront. Ils sont aussi trop pauvres pour acheter les variétés améliorées de plantes résistantes aux maladies. Le problème, c’est de sensibiliser et nous éviterons la propagation”, a-t-il souligné.

L’autre facteur qui doit être abordé dans la lutte contre la propagation des maladies des plantes, c’est celui des ressources. Luyiga et des fermiers comme lui ont rarement accès aux services de conseils agricoles et de vulgarisation qui pourraient leur fournir des connaissances sur la façon d'identifier et de faire face aux virus des plantes. De tels services sont limités dans la plupart des pays d'Afrique de l’est et lorsqu’ils sont disponibles, ils ont tendance à être de mauvaise qualité.

En Ouganda, il faut un agent de vulgarisation pour offrir des services à plus de 1.000 fermiers dans un sous-comté, ce qui, selon Omongo, limite la détection précoce et la prévention de la propagation des plantes malades.

Le professeur William Otim-Nape, un phytopathologiste ougandais et membre de 'Africa Innovations Institute' (Institut des innovations en Afrique), a dit à IPS que les maladies virales continuent de causer d'importantes pertes économiques en Afrique. “De telles pertes restent largement sous-estimées et elles sont souvent ignorées ou négligées”, a-t-il indiqué.

Victor Manyong, un économiste à l'IITA, estime que la CBSD cause 175 millions de dollars de pertes en Afrique de l'est chaque année.

Otim-Nape a ajouté que le nombre de virologues de plantes formés en Afrique était beaucoup trop faible pour apporter une réponse adéquate afin de faire face aux nombreux virus de plantes.

“Une masse critique de virologues de plantes formés est nécessaire pour identifier et prioriser les problèmes de maladies virales et sensibiliser le public et les décideurs”, a-t-il dit.

Sanginga a approuvé. “Il y a un besoin urgent de lutter contre les maladies virales affectant les cultures de base comme le manioc, la banane et le maïs par l’utilisation des progrès de la science. Nous avons besoin de la science pour résoudre ces problèmes”, a-t-il déclaré.