KENYA: Le partage du pouvoir, un "concept dangereux" pour la démocratie

NAIROBI, 25 fév (IPS) – A quelques jours des élections générales au Kenya, l'ancien vice-ministre de l'Information du pays, Koigi Wamwere, a critiqué les appels pour un partage du pouvoir avec les groupes ethniques minoritaires dans le prochain gouvernement, qualifiant cela de “concept dangereux”.

La Commission nationale pour la cohésion et l'intégration (NCIC), un organe gouvernemental créé pour régler des conflits interethniques, et une partie de la société civile kényane ont demandé à ce pays d'Afrique de l’est d’adopter la démocratie négociée comme un moyen d’endiguer les différences profondes entre les divers groupes ethniques dans cette nation.

Des violences ethniques ont suivi le scrutin contesté de décembre 2007 au Kenya, faisant environ 1.200 morts et déplaçant quelque 600.000 personnes.

Mais Wamwere a affirmé à IPS qu’un partage du pouvoir pourrait menacer la jeune démocratie multipartite du pays.

“C’est purement absurde d'imaginer que les Kényans ne sont pas prêts à vivre avec la démocratie. La démocratie n'est pas facile à mettre en œuvre, mais nous ne devrions pas opter pour des raccourcis, mais suivre ses principes pour le bien à long terme du pays”, a-t-il déclaré.

Tous les yeux sont sur le Kenya pour voir s’il évitera une répétition des violences de 2007 lorsque le pays ira aux urnes le 4 mars. Plusieurs groupes de défense des droits, y compris 'Human Rights Watch' (HRW), 'Amnesty International' et 'International Crisis Group' (ICG), ont prévenu que les élections de cette année pourraient être source de division ethnique si la montée des tensions n’est pas maîtrisée.

Selon HRW, des affrontements intercommunautaires liés à la précampagne électorale ont fait plus de 477 morts et déplacé quelque 118.000 personnes depuis le début de l'année 2012.

Mais selon le président de la NCIC, Mzalendo Kibunjia, la démocratie négociée – un système dans lequel le pouvoir politique est partagé équitablement entre les différents groupes ethniques et d'intérêt – renforcerait l'inclusion parmi les 42 groupes ethniques du Kenya en supprimant le modèle politique actuel dans le pays, où “les vainqueurs prennent tout et les perdants perdent tout jusqu'aux prochaines élections”.

“La politique kényane porte sur des chiffres et vous obtenez ces chiffres, non pas en vendant des idées, mais en vous retirant dans vos cocons tribaux. Cela signifie que les petites tribus se sentent sans cesse négligées une fois que celles qui dominent gagnent le pouvoir, et ce sentiment d’isolement se reproduit dans la perspective de ces élections”, a indiqué Kibunjia à IPS.

Mais Wamwere, qui est l'auteur du livre intitulé '”Negative Ethnicity: From Bias to Genocide”' (L'ethnicité négative: des préjugés au génocide), qui examine les façons dont les rivalités ethniques en Afrique sapent la démocratie, verse de l'eau froide sur des allégations selon lesquelles le partage du pouvoir renforce l'inclusion et la cohésion entre les différentes communautés ethniques.

“Si les gens comprennent bien par qui ils veulent être dirigés, cette personne peut être issue de la communauté ethnique ou du groupe le plus petit dans le pays”, a-t-il affirmé.

L’ancien président, Daniel Arap Moï, dont le régime a duré 24 ans, de 1978 à 2002, et a été largement considéré comme dictatorial, avait embrassé un mode similaire de la politique en insistant que le Kenya n'était pas prêt pour la démocratie, selon Wamwere.

“Moï continuait de dire aux Kényans qu'ils n'étaient pas prêts pour le multipartisme et la démocratie”, a-t-il déclaré. “Et c'est en partie comment il a maintenu son emprise sur le pouvoir pendant plus de deux décennies. Les Kényans devraient se méfier de ceux qui défendent la démocratie négociée”.

Cedric Barnes, directeur de projet pour la Corne de l'Afrique à l'ICG, est d’accord que le Kenya est mûr pour la démocratie au sens propre du terme et qu’une répétition des violences postélectorales de 2007 est peu probable.

“Si (en 2007) le Kenya avait des institutions fortes et indépendantes, telles qu’un système judiciaire fort et un organe électoral, qui auraient pu insuffler la confiance parmi les Kényans, cela aurait vu des gens confiants en ses institutions, réduisant le risque de les voir descendre dans les rues, les uns contre les autres, pour contester les résultats des élections”, a déclaré Barnes à IPS. Il a ajouté que depuis que la nouvelle constitution du pays a été adoptée en 2010, elle a renforcé les cadres gouvernementaux et institutionnels.

Mais Cyprian Nyamwamu, le directeur exécutif du 'National Convention Executive Council' (Conseil exécutif de la convention nationale), qui fait pression pour la bonne gouvernance et la réforme, a indiqué à IPS que l'intégration des groupes et communautés minoritaires au sein du gouvernement était nécessaire.

“La démocratie négociée est une plateforme pour mettre fin à la suspicion et la méfiance parmi des groupes antagonistes”, a affirmé Nyamwamu. “Alors que la nouvelle constitution a apporté l’équilibre du pouvoir exécutif et des promesses de décentralisation du pouvoir pour promouvoir une répartition équitable des ressources, nous avons besoin d'une démocratie négociée afin d’assurer que tous les groupes ethniques sont amenés à la table”.

Selon Rose Waruhiu, une politicienne du Parti démocrate du Kenya et ancien membre de l'Assemblée législative d’Afrique de l’est, l'idée est pratique pour le Kenya.

“Tout parti qui veut diriger au Kenya d'aujourd'hui doit tendre la main à tous les différents groupes ethniques dans le pays. Tous les groupes ethniques veulent voir les partis et les politiciens leur tendre le bras de façon spéciale et, ainsi, la démocratie négociée est un plus à la fois pour le politicien et l’électeur”, a déclaré Waruhiu à IPS.