SOMALIE: Les médias découvrent les limites de la liberté

MOGADISCIO, 26 fév (IPS) – Les défenseurs des médias en Somalie s’inquiètent qu'une récente affaire contre un journaliste, qui a exposé l'histoire d'un viol collectif impliquant des membres des forces de sécurité nationales, ne serve à dissuader les journalistes dans le pays.

Le journaliste Abdiaziz Abdinur Ibrahim a été arrêté le 10 janvier pour avoir publié l'histoire d'une femme de 27 ans qui a affirmé avoir été collectivement violée par cinq membres des forces de sécurité de Somalie en août 2012.

Ibrahim a été détenu pendant un mois sans inculpation, mais a été plus tard accusé avec la victime “d’insulte aux forces de sécurité de l'Etat”. Au début du mois, un tribunal régional à Mogadiscio a reconnu les deux coupables et les a condamnés à un an d’emprisonnement. Leur affaire est allée en appel, avec un nouveau verdict désormais attendu le 27 février de la Cour d'appel de Mogadiscio.

“Cela amènera les journalistes à éviter de s'aventurer dans des domaines qui les conduiront vers des histoires risquées telles que celle-ci”, a déclaré à IPS, Abdulahi Elmi, un défenseur des médias à Mogadiscio. “Et cela a d’énormes implications pour la situation déjà lamentable de la liberté de la presse dans le pays. Cela aggravera et affectera certainement de façon négative la situation des journalistes locaux”.

Cette affaire a provoqué un tollé international, avec l'organisation internationale de défense des droits 'Human Rights Watch' (HRW) demandant au gouvernement d’abandonner son procès contre ces deux personnes, que HRW a jugé de “sans fondement”.

L'Union nationale des journalistes somaliens a qualifié la condamnation “d’un grave revers” pour la liberté de la presse.

Mais les responsables du gouvernement somalien ont à plusieurs reprises pris leurs distances par rapport à l'affaire, disant qu'il s'agit d'un dossier judiciaire et insistant sur l'indépendance du système judiciaire du pays.

Cependant, suite à l'arrestation d'Ibrahim, le président Hassan Sheikh Mohamud a déclaré que son gouvernement ne tolérerait pas une couverture négative par la presse locale.

Les journalistes locaux qui soutiennent Ibrahim ont indiqué à IPS qu'ils réfléchiraient désormais deux fois avant d’interviewer des gens qui critiquent le gouvernement ou de couvrir des histoires impliquant un abus commis par des forces de sécurité.

“C'était un avertissement clair pour nous”, a déclaré à IPS, un journaliste local. Il a requis l'anonymat parce qu'il craignait des représailles.

“Notre ami a été maltraité simplement parce qu'il a osé écouter une femme qui a dit qu'elle a subi une injustice dans les mains de ceux qui étaient censés la protéger”.

Ibrahim n'est pas le seul journaliste qui a été arrêté par rapport à cette affaire. Daud Abdi Daud a été détenu par la police pendant presque une semaine sans inculpation pour avoir protesté devant le tribunal le 5 février contre la peine infligée à Ibrahim. Il a finalement été libéré sous caution le 12 février.

Daud a déclaré à IPS qu'il n'était pas autorisé à voir un avocat et n'a pas été officiellement inculpé pour un crime quelconque, bien que les responsables lui aient dit qu'il était détenu pour “indiscipline”.

“La police m'a mis en détention préventive après que j’ai dit que les journalistes devraient pouvoir interviewer n’importe quelle femme, y compris la Première dame, si elle le permettait”, a expliqué Daud à Mogadiscio après avoir été libéré sous caution.

Abdi Aynte, directeur du 'Heritage Institute for Policy Studies', un groupe de réflexion indépendant à Mogadiscio, a affirmé que cette affaire a montré qu'il était nécessaire d'améliorer la liberté de la presse dans le pays.

“Par rapport à certains pays voisins de la Somalie, comme l'Ethiopie ou l'Erythrée, je pense que la Somalie jouit d'une grande liberté en termes de ce que les gens peuvent dire et en termes de ce que les groupes peuvent dire. Mais il n’y a pas de doute que le gouvernement pourrait faire davantage pour améliorer cette condition”, a déclaré Anyte.

Selon le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), l'Erythrée est le premier pays au monde dans l’imposition de la censure sur les médias. En 2012, le CPJ a classé la Somalie comme le deuxième pays le pire où les journalistes sont assassinés régulièrement et où les assassins circulent librement.

Au total, 49 journalistes sont tués depuis 1992 en Somalie, indiquent les chiffres du CPJ, avec 18 tués au cours de 2012 seule. Personne n'a été arrêté dans le cadre de ces meurtres, selon cette organisation de défense des droits.

Mais Anyte a indiqué que la gestion de l'affaire par le gouvernement a beaucoup affecté sa crédibilité.

“Le gouvernement et les journalistes ont des problèmes de capacité. On peut s'interroger sur la capacité d'enquête et de poursuites du gouvernement. On peut aussi douter de la capacité des journalistes locaux à rapporter et vérifier les informations”, a affirmé Aynte.

Dans ce qui est largement perçu comme une diversion en pleine critique croissante du public, le gouvernement somalien a annoncé, le 3 février, la formation d'un Groupe de travail indépendant sur les droits de l'Homme. L'objectif de ce groupe de travail est “d’enquêter sur la gamme la plus variée de violations des droits humains, y compris le meurtre organisé des journalistes et les violences sexuelles contre les femmes”.