SOMALIE: Le viol – le côté caché de la crise de la famine

DADAAB, Kenya, 8 oct (IPS) – Lorsque Aisha Diis* et ses cinq enfants ont fui leur maison dans la région ravagée par la famine en Somalie, en quête d’une aide, elle ne pouvait pas savoir les dangers de ce voyage, ou même imaginer qu'elle serait violée en chemin.

Diis a quitté son village, Kismayo, au sud-ouest de la capitale somalienne, Mogadiscio, pour le camp de réfugiés de Dadaab, dans la province du Nord-Est au Kenya, en avril.

“J'étais dans un groupe de plusieurs femmes et d'enfants, mais quatre d'entre nous venaient du même village, alors, nous nous sommes rattachées (les unes aux autres) comme une seule famille. Sur le chemin, nous nous sommes arrêtées pour faire du thé fort, puisque les enfants se sentaient très fatigués et affamés. Une femme est restée derrière avec les enfants et nous les trois sommes allées chercher du bois de chauffage”, a expliqué Diis à IPS par le biais d’un interprète.

“Nous avons été prises en embuscade par un groupe de cinq hommes qui nous ont déshabillées et nous ont violées à plusieurs reprises”, a-t-elle indiqué pendant que des larmes coulaient sur ses joues. “C'est quelque chose que je n'ai pas pu oublier. Mais je ne voudrais pas que mes enfants le sachent”.

Mais le traumatisme que Diis et les deux autres femmes ont dû subir n'est pas un incident isolé.

Pendant que des centaines de femmes et d’enfants fatigués, faibles et mal nourris affluent tous les jours vers Dadaab depuis la Somalie touchée par la famine, le voyage, pour beaucoup de femmes, aurait été traumatisant.

Fatiguées et couvertes de poussière, la plupart des femmes portent leurs bébés attachés au dos. Pour bon nombre, ce chargement précieux est le seul bien qu’elles ont réussi à sauver de leurs maisons en Somalie. Cependant, certaines sont un peu plus chanceuses et arrivent avec leurs enfants et les quelques effets personnels qu'elles ont chargés sur des charrettes tirées par des ânes.

Elles parlent rarement de ce qui leur est arrivé en chemin ici, quand elles arrivent.

Par contre, la plupart s’inscrivent en tant que réfugiées et subissent un examen médical avec leurs enfants. Puis elles reçoivent une tente et l'équipement ménager de base.

Les tentes n'ont pas de portes qu’on peut verrouiller, ni de fenêtres, ni de mobilier, pas même un lit. Mais c’est tout de même un endroit que les réfugiés peuvent appeler maison – pour l'instant, et peut-être pendant plusieurs années à venir. (Certains de ces réfugiés sont nés ici en 1991, lorsque le camp était créé pour la première fois, et n'ont pas connu d'autres maisons).

Mais même après que les femmes se sont installées là, beaucoup ne se présentent pas pour parler des violences qu’elles ont subies sur leur chemin vers le camp.

“Les violences basées sur le genre constituent un côté caché de la crise de la famine”, a déclaré Sinead Murray, chargée du programme sur les violences basées sur le genre (VBG) pour 'International Rescue Committee' (Comité international de secours – IRC) à Dadaab.

“Selon l'évaluation rapide effectuée sur les VBG à Dadaab, publiée par l'IRC en juillet, le viol et les violences sexuelles ont été mentionnés comme les inquiétudes les plus pressantes pour les femmes et les filles pendant qu'elles fuient la Somalie et comme courantes, quoiqu’une moindre préoccupation, dans les camps”, a souligné Murray à IPS.

“Certaines femmes interrogées au cours de l’enquête (de l'IRC) ont déclaré avoir vu des femmes et des jeunes filles en train d’être violées devant leurs maris et parents, sur insistance des agresseurs décrits comme 'des hommes armés'. D'autres ont été contraintes de se déshabiller, et dans ce cas, elles ont été victimes de viols collectifs”, a indiqué Murray.

Mais Diis et les deux femmes qui ont été violées avec elle sont quelques-unes des femmes somaliennes qui ont signalé les violences auxquelles elles ont été soumises au cours de leur voyage vers Dadaab. Dans le cas de Diis, elle a été assez courageuse pour l’avoir fait parce qu'elle est veuve, et ne craint pas la récrimination de sa famille comme c’est le cas d’autres femmes.

“Je n'ai pas eu peur de divulguer mon cas au médecin parce que je n'avais pas de mari”, a déclaré cette veuve dont le mari a été abattu en Somalie par des assaillants inconnus il y a sept mois.

“Beaucoup de femmes sont agressées sur leur chemin vers le camp des réfugiés par des hommes armés inconnus, notamment lorsqu’elles voyagent dans un groupe où il n’y a pas d’hommes”, a expliqué Ann Burton, une chargée principale de la santé publique au Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) à Dadaab.

“Cependant, la plupart d'entre elles hésitent à signaler ces cas puisqu’elles craignent que leurs familles les accuseront, les communautés les rejetteront ou simplement parce qu'elles ont honte d'en parler”.

Diis a bénéficié de la prophylaxie post-exposition, un traitement anti-rétroviral à court terme utilisé pour réduire la probabilité d'infection par le VIH, après avoir signalé son viol.

“Après avoir signalé mon cas, j'ai reçu quelques médicaments, et j'ai été suivie pendant trois mois après lesquels j'ai été informée que je n'avais pas contracté le VIH. C’était l’une de mes plus grandes inquiétudes”, a confié Diis. Elle a reçu aussi des conseils.

Les deux autres femmes, qui ont été violées avec Diis, ont reçu également des conseils et bénéficié de la prophylaxie post-exposition.

*Un nom d’emprunt