SOMALIE: Des abandons scolaires massifs pendant que la famine continue

NAIROBI, 27 août (IPS) – Jamaal Abdi, un garçon de huit ans dans le camp de Badbaado, à la périphérie de Mogadiscio, la capitale de la Somalie, aimerait être scolarisé. Il a ses propres rêves pour l'avenir.

Mais depuis qu’Abdi et sa famille sont arrivés au camp de Badbaado – le plus grand camp de personnes déplacées par la sécheresse et la famine dans le sud de la Somalie, abritant près de 30.000 personnes, essentiellement des femmes et des enfants – il ne fait que s’asseoir toute la journée. Mais pour Abdi, ce n'est pas quelque chose de nouveau. Il n'a jamais été à l'école.

“J'ai appris auprès de mes amis à écrire mon nom seulement. Aujourd’hui, je reste simplement dans l’abri à ne rien faire. Je veux étudier parce que quand je serai grand, je veux devenir médecin et être un bon homme qui aide les gens, les malades”, a déclaré Abdi à IPS, pendant qu’il jouait avec ses amis à l'extérieur de l’abri de fortune de sa famille à Badbaado.

En dehors de quelques écoles islamiques informelles où on apprend aux enfants à mémoriser le Coran, l'éducation dans le camp est presque inexistante puisque les agences humanitaires priorisent l'alimentation et le traitement des personnes touchées par la famine et la sécheresse.

Et partout dans le pays, la situation n'est pas meilleure. Une évaluation rapide effectuée par le projet 'Cluster Education', qui est codirigé par le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) et 'Save the Children', a prévenu que le nombre d'enfants qui ne vont pas à l’école, notamment dans le sud et le centre de la Somalie, pourrait doubler. Le rapport indiquait qu’environ 200.000 enfants somaliens scolarisés ont quitté leurs domiciles pour d'autres endroits, en quête de nourriture.

Mais depuis plus de 20 ans, seulement 30 pour cent des enfants somaliens ont pu faire le primaire. C’est le plus bas taux de scolarisation au monde. Cela n’est pas comparable à son voisin, le Kenya, qui a un taux de scolarisation de 92 pour cent au primaire. Cependant, l'enseignement primaire au Kenya est gratuit tandis qu'en Somalie, ce n'est pas le cas et beaucoup d’enfants sont obligés d'obtenir un soutien financier auprès de leurs communautés pour aller à l'école.

Mais en septembre, lorsque les écoles rouvriront les portes, le nombre d'enfants attendus sera en dessous des 30 pour cent déjà faibles. Pour éviter cela, le rapport a estimé qu’il faudrait plus de 20 millions de dollars le mois prochain pour une intervention d'urgence.

“Le financement reçu à ce jour est insuffisant – alors que les déficits de fonds dans le secteur de l'éducation ont atteint leurs niveaux les plus élevés au cours des quatre dernières années”, a déclaré l'UNICEF.

En dépit des conditions climatiques difficiles et du conflit dans le pays, les Somaliens ont démontré qu'ils connaissent la valeur de l'éducation. Avant la famine, ils ont dirigé eux-mêmes des écoles dans un pays ravagé par la guerre, où le gouvernement détient un pouvoir fragile.

“Les écoles en Somalie sont dirigées par des communautés puisqu’il n'existe aucun ministère de l'Education. Avec l’appui des agences humanitaires, elles donnent des incitations aux enseignants et accordent des fonds pour exécuter les programmes scolaires”, a expliqué Lisa Doherty, spécialiste de l'éducation de l'UNICEF et chargée de programme au 'Integrated Capacity Development for Southern Somali Education Administrations' (Renforcement intégré des capacités des administrations de l’éducation dans le sud de la Somalie). Suite à la famine dans certaines parties du pays, l’essentiel de l'appui de la communauté internationale a été de fournir une assistance alimentaire et médicale.

Mais selon Doherty, il faut satisfaire tous les besoins de l'enfant, et l'éducation est un besoin important. Rozanne Chorlton, la représentante de l'UNICEF en Somalie, a exprimé ses sentiments et souligné que l'éducation est une composante essentielle de toute intervention d'urgence.

“Les écoles peuvent être un endroit où les enfants viennent apprendre, et accéder aux soins de santé ainsi qu’à d'autres services vitaux. La fourniture des opportunités d'apprentissage dans des environnements sûrs est essentielle à la survie et au développement de l'enfant ainsi que pour la stabilité et la croissance à long terme du pays”, a expliqué Chorlton dans un communiqué.

Les agences humanitaires créent des écoles dans certains camps. “A l'UNICEF seule, nous appuyons 155 écoles dans des camps de personnes déplacées à l’intérieur, ce qui profite à 37.000 écoliers pour le moment – 40 pour cent d’entre eux sont des filles”, a indiqué Doherty.

Toutefois, il est prévu d'augmenter le nombre de salles de classe en fonction des fonds disponibles. Mais en attendant la réouverture des écoles, les salles de classe disponibles sont utilisées pour fournir de la psychothérapie aux enfants et à leurs parents qui ont vécu des moments traumatisants.

En attendant, Burhan Mohamed, un ancien enseignant victime de sécheresse lui-même, affirme que les choses au camp de Badbaado devraient changer.

“(Ces enfants) grandiront pour rien et constitueront un autre fardeau pour la société si l'éducation ne fait jamais partie de l'effort humanitaire”, a confié Burhan à IPS.

Burhan, père de quatre enfants, était un enseignant dans une école privée de la province du Bas-Shabelle, l'une des cinq régions frappées par la famine, selon les Nations Unies.

Lui et sa famille sont dans le camp depuis deux mois. Burhan a dit qu'il a essayé de trouver du travail d’enseignant dans le camp, mais n'a pas pu trouver d’école. Alors, il encadre ses enfants lui-même, mais croit que d'autres enfants devraient également bénéficier de l'avantage de l'éducation.

“Sauver des vies devrait être toujours une priorité, mais l'éducation des enfants et même des adultes permettra d’éviter une crise similaire à l'avenir”, a-t-il souligné.

*Avec un reportage supplémentaire d’Abdurrahman Warsameh à Mogadiscio.