POLITIQUE-RDC: Ils se prononceront sur une constitution qu'ils n'ont paslue – Analyse

KINSHASA, 17 déc (IPS) – Les Congolais iront aux urnes dimanche et lundi pour le référendum constitutionnel dans une sorte d'impréparation généralisée. Ni les hommes politiques ni les électeurs potentiels ne semblent suffisamment prêts ou imprégnés pour l'opération de vote.

Les débats politiques, à travers les médias audiovisuels, laissent percevoir nettement que le projet de constitution, objet du référendum, préoccupe beaucoup moins les acteurs politiques que les personnes supposées devoir briguer les postes à pourvoir. On focalise l'attention plus sur les individus que sur les textes devant régir la nouvelle République démocratique du Congo (RDC) dont les institutions sortiront des prochaines élections qui prendront fin avant juin 2006. Les partisans du “oui” brandissent l'épouvantail d'une apocalypse en cas de vote négatif, c'est-à-dire le retour à la case départ, et même aux rébellions, tandis que les défenseurs du "non" ne voient dans le projet de constitution qu'un "nébuleux compromis entre belligérants pour conserver le pouvoir”. Ils accusent le gouvernement ainsi que les députés partisans du “oui” de personnaliser le débat et de s'être taillés une constitution sur mesure. “Nous allons voter 'non' pour stopper un complot ourdi contre le peuple et qui tend à garder au pouvoir les dirigeants actuels qui ont du sang sur les mains”, s'insurge Anasthase Bamba, activiste des droits de l'Homme, faisant allusion aux ex-belligérants. Les 18 et 19 décembre, les Congolais auront à se prononcer sur quatre points principaux : la forme de l'Etat que le projet propose unitaire, mais fortement décentralisé; l'âge minimum du candidat à la présidence de la République fixé à 30 ans; une nouvelle division administrative du pays dont le nombre des provinces passe de 11 actuellement à 26; et enfin le régime politique qui passe du présidentiel au semi-présidentiel. Le texte est un compromis entre la constitution issue de la Conférence nationale souveraine de 1991-1992 et l'actuelle constitution de la transition issue de l'accord de paix signé en 2002 à Sun City, en Afrique du Sud, qui prend en compte les préoccupations des différentes rébellions.

Un dialogue inter-congolais venait de mettre fin à une deuxième guerre civile (1998-2002) en RDC, qui avait fait plus de 3,5 millions de morts. Sous la pression des délais butoirs du processus des élections qui doivent s'achever avant juin 2006, la Commission électorale indépendante (CEI) avoue n'avoir pas eu le temps de bien vulgariser le texte, ni d'avoir réuni le budget électoral. Le montant du budget de la commission électorale est de 480 millions de dollars, selon des sources proches de la CEI. Les acteurs politiques expriment les mêmes lamentations, n'ayant pas obtenu l'argent promis par le gouvernement pour aider à financer certaines des activités des partis. Conséquence : leurs dirigeants n'ont pas suffisamment expliqué le projet de constitution à leurs militants. Aussi beaucoup de Congolais se plaignent-t-ils de ne pas connaître le texte sur lequel ils auront à se prononcer. "J'entends souvent parler du projet de constitution, mais je n'en ai jamais vu la couleur", déclare Nana Binti, une étudiante de Kinshasa, la capitale de la RDC. Comme elle, beaucoup d'autres Congolais et surtout des Congolaises disent n'avoir jamais eu l'occasion de lire le projet. Le document est pourtant sorti au Journal officiel et distribué gratuitement, à travers les canaux de la CEI, aux partis politiques et aux organisations de la société civile. L'approche de la date fatidique semble tout de même avoir motivé certains Congolais à chercher à lire le texte et s'en imprégner. Depuis le début de cette semaine, beaucoup de Kinois (habitants de Kinshasa) se précipitent dans les librairies et dans les bureaux des organisations non gouvernementales pour se procurer des exemplaires du projet. “Je cherche un texte officiel du projet de constitution pour mieux me retrouver dans les débats chaque soir à la télévision”, a déclaré à IPS, Sudi Abdala, un juriste de la capitale.

Chaque soir, effectivement, nombreux sont les Kinois qui restent rivés sur leur poste de télévision pour suivre les débats sur le projet de constitution avec l'espoir d'y trouver quelques lumières à leurs questionnements. “Malheureusement, c'est à la clôture des débats que nous nous rendons compte que le brouillard s'est épaissi”, raconte, désabusé, Yves Mafuta, un footballeur. "Tout se passe comme si au bout de chaque vote, il y a l'apocalypse. Le 'non' pourrait amener les belligérants à reprendre la guerre tandis que voter 'oui', serait renoncer à la souveraineté du Congo sur ses richesses du sol et de son sous-sol”. Les Congolais de conditions assez modestes se plaignent d'entendre partisans et adversaires du 'oui' annoncer des catastrophes quel que soit le vote.

Selon des analystes, ces appréhensions liées au vote du "non" s'expliquent par le fait que le rejet du projet de constitution retarderait encore les élections générales qui devraient s'achever au plus tard en juin prochain, un nouveau report étant difficilement acceptable par les bailleurs qui financent l'essentiel du processus électoral en RDC.

La communauté internationale finance le budget de la RDC à environ 58 pour cent et le processus électoral à 88 pour cent. D'une manière générale, les partisans du “oui” se recrutent dans le camp des signataires de l'accord de paix de Sun City tandis que ceux du "non" représentent les absents aux négociations de paix et qui ne cherchent qu'à investir les institutions. Au final, le débat de fond a cédé la place à des discussions sur des détails sémantiques. Le texte en lui-même contient effectivement des lacunes graves qui pourraient amener des gens de bonne foi à voter contre le projet de constitution. Toutefois, de nombreux analystes croient en une certaine prédominance du “oui” sur le “non”, avec l'espoir que le prochain Parlement, issu d'élections démocratiques, pourra en toute sérénité porter les amendements nécessaires à la constitution qui régira désormais la nouvelle RDC. En tout cas, le chef de l'Etat, Joseph Kabila, qui était en visite officielle vendredi à Bukavu, dans le Sud-Kivu, dans l'est du pays, a appelé les Congolais à voter en faveur du texte.