SPECIAL-OMC: "Sans coton, pas d'OMC, pour nous", déclare un producteur africain

HONG KONG, 16 déc (IPS) – “Nous, les Africains, nous sommes venus chercher des résultats concrets à Hong Kong…,nous ne sommes pas venus pour écouter des propositions”, a déclaré à IPS, Ibrahim Maloum, président de l'Association africaine de coton, vendredi à Hong Kong.

Il est temps que la communauté internationale respecte les règles des jeux qu'elle a elle-même établies, a ajouté Maloum qui est également directeur général de la société cotonnière tchadienne.

Après quatre jours de débats à la sixième Conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à Hong Kong, les cotonculteurs africains et presque tous les délégués africains sont inquiets de la direction prise par les négociations actuelles. La rencontre se déroule du 13 au 18 décembre.

“Rien de concret ne sort. Et pire encore, les Etats-Unis et l'Union européenne se lancent chacun la balle…”, a déploré le ministre malien de l'Industrie et du Commerce, Choguel Kokala Maiga, porte-parole du groupe des quatre principaux pays africains porteurs de l'initiative sur le coton : Bénin, Burkina Faso, Mali, Tchad.

Maiga a déclaré que des millions de dollars avaient été promis à certains pays ouest-africains à Hong Kong pour les persuader à rester en dehors de l'initiative. "C'est une stratégie de diversion pour démobiliser l'initiative sur le coton. Mais nous avons des arguments solides et nous parlons tous d'une seule voix".

La question des subventions demeure toujours le point d'orgue des négociations. Trop c'est trop, a martelé avec fureur le président de l'APROCA (Association des producteurs africains de coton), François Traoré venu du Burkina Faso.

“Nous avons payé des millions pour venir ici et faire comprendre aux Etats-Unis et à l'Union européenne les difficultés de la filière cotonnière”.

Aujourd'hui, affirme-t-il, "pour nous Africains, il n'y a pas d'OMC, sans le coton. Avant de caricaturer, avec ironie et humour, la question de l'aide pour faire comprendre l'enjeu de la problématique : “Un assisté, c'est comme un bébé, quand il vient au monde, on lui tend les bras, on lui apprend à marcher à deux ans… S'il ne marche pas à 10 ans, c'est qu'il est malade… Nous, depuis 40 ans, on nous assiste et on n'arrive pas à se relever”.

“Quelque part, quelque chose ne va pas. Soit on ne veut pas nous aider comme il le faut, soit on ne veut pas qu'on se développe”, a ajouté Traoré devant la plénière de la conférence, avec un air de dédain.

Plus tard, il a déclaré à IPS : “On ne veut pas de leur aide. La meilleure aide, qu'ils (pays développés) peuvent nous faire, c'est d'acheter notre coton à sa juste valeur. Et cela est possible”.

Pour montrer la gravité de la situation, Traoré a distribué symboliquement à la conférence, de petits sacs en cotonnade, symbole de la prospérité d'antan en Afrique. “C'est ça, notre banque en Afrique. S'il est remplie, tout le monde est content. Aujourd'hui, il est vide…Et s'il est vide, c'est que l'heure est grave. Les jeunes vont partir sous la mer et en dépit des barrières”, en brandissant le sac, faisant ainsi allusion à l'immigration africaine.

Quatre jours après, nombre de producteurs africains ne cachent pas leur déception : “L'OMC, c'est la jungle…où la loi des plus riches prévaut”, s'est indigné un paysan nigérien.

Quel que soit l'enjeu, les producteurs africains se disent décidés à faire entendre leur voix, à l'image de ce paysan béninois qui, à chaque rencontre, en guise d'intervention, entonne un refrain de chanson : “Le co…ton, le co…ton, c'est notre vie!…Sachez que vos subventions nous asphyxient…” Le représentant des Etats-Unis, Robert Portman, a proposé “l'élimination de toutes les subventions à l'exportation des produits agricoles d'ici à 2010 et la réduction substantielle des subventions intérieures ayant des effets de distorsions”.

Mais, ces mesures sont jugées insuffisantes et même contraires à l'accord-cadre que l'OMC a retenu en juillet 2004, selon les Africains.

Selon le ministre burkinabé du Commerce, Benoît Ouattara, cet accord prévoyait l'élimination totale des subventions à l'exportation, la suppression des soutiens internes et la mise en place d'un fonds d'urgence.

Compte tenu de cet “acquis sur papier”, l'ensemble des quatre (Bénin, Burkina Faso, Mali et Tchad) — soutenus par les autres pays africains — ont fait des recommandations, intitulées “la position africaine” à la conférence de Hong Kong.

Cette position a été défendue à la tribune par Massiyatou Latoundji Lauriano, ministre de l'Industrie, du Commerce et de la Promotion de l'Emploi du Bénin. Elle s'articule autour de quelques recommandations : l'élimination totale, d'ici au 31 décembre 2005, des subventions à l'exportation. La réduction des subventions internes, qui causent des préjudices graves, se fera ensuite à travers le calendrier suivant : élimination de 80 pour cent au 31 décembre 2006; de 10 pour cent le 1er janvier 2008; et les 10 pour cent restants le 1er janvier 2009.

D'autres recommandations prévoient l'élaboration des disciplines interdisant et permettant de contrôler la conversion des subventions non autorisées ou autorisées; ainsi que la mobilisation de l'assistance technique et financière pour le développement de la filière cotonnière.

“La question du coton est une question de survie, de dignité…et tant qu'elle ne sera pas prise en compte ici à Hong Kong, nous ne voyons pas l'importance de notre présence dans l'Organisation mondiale du commerce”, a déclaré, pour sa part, à IPS, la ministre du Commerce et de l'Artisanat du Tchad, Ngarambatina Odjimbeye Soukaté.

Pour Eric Hazard, chargé de programme à Enda Tiers-monde, une organisation non gouvernementale basée à Dakar, au Sénégal, et auteur d'un livre blanc sur le coton — paru en novembre 2005, “le premier succès de la conférence de Hong Kong ne peut venir que du coton. Car, c'est le seul dossier sur lequel tout le monde est d'accord”.

Aujourd'hui, a-t-il affirmé, le dossier coton est devenu le “symbole” pour non seulement les pays africains, mais pour toutes les nations éprises de justice et d'équité. “S'il n'est pas réglé, il n'y aura jamais d'espoir pour les paysans du Sud, qui ont montré, malgré une absence criarde de moyens, un travail remarquable et des produits de qualité”, a-t-il souligné.

Interpellé lors d'une conférence de presse, le secrétaire d'Etat britannique au Développement, Hilary Ben, a reconnu que “le dossier coton est un test de notre volonté, de notre engagement et surtout de notre crédibilité”