CHALLENGES 2005-2006: Le pétrole au coeur des nouveaux soubresauts au Tchad

YAOUNDE, 16 déc (IPS) – Considéré autrefois comme une destination marginale des investissements internationaux en raison de ses multiples guerres civiles, son instabilité politique permanente, l'insécurité et ses carences administratives, le Tchad connaît depuis peu un regain d'intérêt avec l'approbation, en 2000 par la Banque mondiale, de son projet pétrolier.

D'un coût total de 3,7 milliards de dollars, le projet pétrolier comprend, outre le forage de quelque 300 puits dans le sud de ce pays, à Doba, la construction d'un oléoduc d'environ 1.070 kilomètres, jusqu'à la côte atlantique du Cameroun, à Kribi. Cet oléoduc transporte 225.000 barils de pétrole brut par jour, qui sont chargés à destination de pays occidentaux.

Malheureusement, l'exploitation qui a démarré en juillet 2003, n'a pas permis à ce pays d'Afrique centrale de souffler après 25 années de tumultes sociopolitiques, mais plutôt de renouer avec ses démons d'antan.

Graves difficultés financières, éclatement du tissu social, conflits internes, défections dans l'armée, trahisons et risques de reprise de guerre civile se profilent actuellement à l'horizon dans ce pays qui est l'un des plus pauvres au monde.

C'est dans cette atmosphère de tension que le président tchadien Idriss Déby a décidé, au cours des deux derniers mois, d'adopter une loi portant sur la gestion des revenus pétroliers. En fait, le gouvernement envisage d'amender un accord pour contrôler les recettes pétrolières issues de l'oléoduc pétrolier Tchad-Cameroun pour tirer de plus grands profits et satisfaire des exigences budgétaires.

La nouvelle loi supprime notamment une disposition portant sur la part réservée aux générations futures. Or, parmi les mesures de réduction de la pauvreté prises dans le cadre du projet pétrolier tchadien, il avait été prévu que 10 pour cent des recettes de l'exploitation devaient être placés sur un fonds spécial destiné aux générations futures. Et le reste serait consacré aux infrastructures routières, à la santé, à l'éducation et à l'adduction en eau potable.

“Les modifications apportées sur cette loi”, a déclaré à IPS, Mahamat Abdoulaye, conseiller à l'ambassade du Tchad à Yaoundé, “consistent à établir une approche réaliste dans la gestion des revenus pétroliers en intégrant la satisfaction des priorités actuelles et la préparation de l'avenir de nos populations”.

"Mon pays a de graves problèmes de trésorerie et l'argent, issu du fonds réservé aux générations futures, nous permettra de corriger les injustices, d'assurer le développement équitable et la paix au Tchad”, a-t-il ajouté.

Mais les organisations non gouvernementales (ONG) estiment, pour leur part, qu'en mettant la main sur ce fonds, le gouvernement de Déby, fragilisé par de fortes tensions sociales, des tentatives de coup d'Etat et des désertions dans l'armée, n'envisage sans doute pas d'utiliser les sommes ainsi récupérées pour augmenter les budgets des programmes de développement. Les ONG soupçonnent le régime de vouloir acheter encore des armes pour défendre son pouvoir en difficulté.

“Les grèves ininterrompues qui mettent à mal le climat social, les désertions de ses proches fidèles parmi les plus proches, la rébellion en gestation depuis quelques mois dans l'est de son pays, ne peuvent que pousser Déby à lorgner cet argent frais pour assurer la survie de son régime”, a commenté à IPS, Mathurin Nna, professeur de sciences politiques à l'Université de Ngaoundéré, au Cameroun.

Selon Nna, “Les Tchadiens qui se disent déçus par leur président, se sont regroupés autour du mouvement rebelle : le fameux Socle pour le changement, l'unité nationale et la démocratie (SCUD); et ils peuvent, à tout moment, faire péter la poudre à N'djaména, la capitale”.

Nna trouve “normal que Déby, en de telles circonstances, essaie de grappiller là où cela lui semble le plus facile. C'est le compte à rebours du 'sauve-qui-peut' qui est ainsi enclenché au Tchad”.

Pour sa part, la Banque mondiale, principal appui et pourvoyeur du financement de l'oléoduc tchadien, dénonce le choix opéré par le gouvernement d'affecter les revenus réservés pour les générations futures à la sécurité et pour alléger la crise financière actuelle.

Au début de ce mois, la Banque mondiale a indiqué qu'elle réfléchissait à des mesures de représailles contre le gouvernement du Tchad si celui-ci modifiait effectivement un accord juridique — signé avec la banque — qui régit les richesses pétrolières du pays. En effet, lorsque l'exploitation du pétrole avait démarré en 2003, le programme de répartition des revenus pétroliers était considéré comme un modèle de gestion. Par rapport aux piètres performances des autres pays africains producteurs de pétrole où la manne des pétrodollars a servi à enrichir l'élite, et n'a pas ou peu bénéficié aux populations qui sont de plus en plus pauvres, comme au Nigeria, au Congo-Brazzaville, et même au Gabon ou en Angola.

“Le choix d'Idriss Déby est une entorse grave à la lutte contre la pauvreté qui était le choix de la Banque mondiale”, a expliqué à IPS, Jules Monthé, consultant à la mission résidente de cette institution, à Yaoundé, la capitale camerounaise. “Le Tchad a certes des problèmes, mais modifier la loi sur les revenus pétroliers ne me semble pas à même de pouvoir arranger les choses”.

“Le discours condescendant des experts de la Banque mondiale sur la réduction de la pauvreté, dans le cadre du projet tchadien, n'était qu'une sinistre farce”, a affirmé à IPS, Ursule Bakondock, de l'ONG 'Cathlolic Refief Services', basée à Yaoundé, dont le bureau coordonne les activités des pays frontaliers tels le Tchad et la Centrafrique.

Dans cette ancienne colonie française, ajoute Bakondock, “la Banque mondiale a porté à bout de bras un projet pétrolier aboutissant à l'enrichissement d'un dictateur notoire qui vient de se permettre un bras d'honneur magistral en modifiant la constitution de son pays pour sa réélection sans fin”.

Le second et dernier mandat de cinq ans prend fin en mai 2006, mais il a fait réviser la constitution en 2004 pour supprimer la limitation de mandats, malgré les dénonciations de l'opposition et de la société civile.

Des groupes comme Oxfam Amerique, Bank Information Centre, Environmental Defence basés à Washington, et Amis de la Terre-France, ont demandé à la banque, dont l'approbation du projet ouvre des portes à d'autres sources de financement, de jouer un rôle majeur pour stopper les amendements, même à travers des sanctions.

Ces ONG veulent que la Banque mondiale suspende tous les nouveaux financements en faveur du Tchad, qu'elle retienne les décaissements sur les prêts en cours, et reporte l'étude de futurs projets "jusqu'à ce que les exigences clés des groupes de la société civile tchadienne, concernant la gestion des finances gouvernementales, soient satisfaites".

Le Tchad, pays semi-désertique, est classé au 173ème rang parmi les 177 Etats les plus pauvres du monde, selon l'indicateur du développement humain 2005 des Nations Unies. Il est peuplé d'environ 10 millions d'habitants dont 80 pour cent vivent avec moins d'un dollar par jour. Depuis l'exploitation de son pétrole jusqu'à la fin de septembre dernier, ce pays frontalier du Cameroun a encaissé, selon la Banque mondiale, environ 306 millions de dollars de recettes brutes, dont 27,4 millions ont été placés sur le fonds réservé aux générations futures.