POLITIQUE-RDC: Un nouveau venu parmi les présidentiables, qui bouscule ladonne – Analyse

KINSHASA, 9 déc (IPS) – La liste des candidats aux différentes élections n'est pas encore établie officiellement en République démocratique du Congo (RDC), mais des candidats à la fonction présidentielle sont virtuellement connus au fur et à mesure que le processus électoral avance.

Une vingtaine de candidats se sont déjà pratiquement présentés sur le starting-block, prêts pour la course prévue en avril-mai 2006. Parmi eux, se trouvent de grands inconnus des milieux politiques, comme le multimillionnaire Katebe Katoto, la soixantaine, originaire du Katanga, dans le sud-est de la RDC. Viennent ensuite des politiciens de la génération émergeante, comme Didier Mumengi, la quarantaine, ressortissant de la province du Bandundu, dans l'ouest, ancien ministre de l'Information sous l'ancien président feu Laurent Désiré Kabila. Il y a également des vétérans de la politique en RDC, comme Antoine Gizenga, un octogénaire du Bandundu, Etienne Tshisekedi, un septuagénaire du Kasai Oriental (centre), tous deux anciens Premiers ministres. Arrivent enfin les acteurs actuels, notamment le président Joseph Kabila et tous les quatre vice-présidents de la transition : Yerodia Abdoulaye Ndombasi, chargé de la reconstruction et du développement; Jean-Pierre Bemba, en charge de l'économie et des finances; Arthur Z'Ahidi Ngoma, en charge des questions sociales et culturelles; Azarias Ruberwa, chargé de la défense et de la sécurité.

Toutefois, des analystes de la scène politique congolaise estiment que l'entrée lice, le 16 décembre, de Pierre Pay-Pay wa Syakassighe, ex-ministre et ancien gouverneur de la Banque centrale du Congo sous le maréchal Mobutu, va redonner des couleurs à un paysage politique jusque-là considéré comme terne et un peu languissant. "Nous avions perdu les repères en parcourant la liste des candidats qui se sont déjà prononcés jusqu'ici, mais nous espérons que la candidature de M.

Pay-Pay va relancer la machine et élever les débats", a déclaré à IPS, un député qui préfère garder l'anonymat.

L'annonce de la candidature de Pay-Pay provoque une sorte de re-mobilisation de l'opinion congolaise autour de la course à la présidence et des candidats en présence. La presse congolaise rivalise d'articles et d'analyses entre les pro-Pay-Pay et les anti-Pay-Pay. 'Le Soft', proche du RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie – ex-RCD-Goma), un hebdomadaire paraissant à Kinshasa, le présente comme l'homme avec qui il faudra absolument compter comme challenger redoutable, tandis que 'La Tribune', un autre hebdomadaire de la capitale et proche de l'opposant Tshisekedi, crie "au retour des prédateurs mobutistes qui n'ont plus rien à démontrer en matière de gestion des affaires de l'Etat". Selon les mêmes analystes, l'événement bouleverse la donne dans les états-majors politiques, avec une sorte de cartellisation qui se crée au sein des formations politiques suivant les intérêts du moment et les objectifs de la post-transition. De nouvelles alliances naissent et regroupent des figures politiques que rien jusqu'ici ne pouvait rapprocher. Ils estiment que la présence de Pay-Pay, qui est originaire de la province du Nord-Kivu par son père et du Sud-Kivu par sa mère, dans l'est du pays, ouvre une position médiane entre, d'une part, les ex-belligérants déterminés à se partager le pouvoir en rangeant temporairement leurs divergences au placard et, d'autre part, les opposants radicaux qui ne présentent aucune alternative sécurisante. En plus, ajoutent les analystes, bon nombre de Congolais lui trouvent des qualités personnelles et de gestionnaire appréciables de par ses fonctions antérieures.

Le premier bouleversement remarquable est celui des remous qui secouent le Mouvement de libération du Congo (MLC), ex-mouvement rebelle dirigé par Bemba. Son actuel secrétaire général, Olivier Kamitatu, président de l'Assemblée nationale, a été contraint de démissionner de son poste au parti, lundi, pour "intelligence avec un leadership autre que celui du MLC". Kamitatu est accusé de rouler maintenant pour Pay-Pay qui vient de créer une plate-forme politique dénommée Convention des démocrates congolais (CODECO). Il y rejoint José Endundo Bononge, une autre grande figure ex-MLC, ancien ministre des Travaux publics, qui joue les chevilles ouvrières au sein de la CODECO d'où il négocie l'adhésion de nouvelles formations politiques.

Pay-Pay est député, membre du groupe parlementaire de l'opposition non armée. Vice-président du parti Démocratie chrétienne fédéraliste/Convention des fédéralistes et démocrates chrétiens (DCF/COFEDEC), il s'affiche ostensiblement sous le label chrétien et fédéraliste. Il se déclare rassembleur de tous les déçus des différents régimes qui se sont succédé au pouvoir depuis Mobutu, mais aussi des oppositions de toutes tendances qui n'ont pas été capables d'alternatives crédibles. "Aucun digne fils du pays ne saurait accepter l'incurie dans laquelle le Congo vit aujourd'hui", a-t-il indiqué dans sa déclaration de candidature.

"Une absence totale de l'Etat, une mégestion sans pareille dans l'histoire du Congo indépendant et une mise au ban de la communauté internationale". Le jugement paraît sévère, mais apparemment, c'est le langage que les Congolais aimeraient entendre, estiment certains. "Il reste à le voir à l'œuvre car les belles déclarations sont une chose et les réalités du terrain, une autre", confie à IPS, Etienne Kasereka, un ancien cadre de la Banque centrale, qui connaît bien Pay-Pay.

Technocrate respecté, Pay-Pay est resté pendant six ans gouverneur de la Banque centrale à Kinshasa (1985-1991). On retient de lui qu'il a libéralisé l'exploitation et la circulation des matières précieuses sur toute l'étendue du Congo. Ce qui avait permis de drainer, vers la Banque centrale, des devises issues de l'achat, par la banque, des produits de l'exploitation artisanale d'or et de diamant. L'expérience avait été jugée concluante et bénéfique pour l'économie nationale congolaise. Mais curieusement, à son départ de la Banque centrale, la direction des matières précieuses a été supprimée. Patrice Bujitu, qui travaillait dans cette direction technique, a indiqué à IPS qu'elle avait été supprimée par le successeur de Pay-Pay, le professeur Nyembo Shabani, pour marquer un changement de politique alors que le pays vivait une atmosphère surchauffée de la Conférence nationale souveraine qui contestait, à l'époque, le pouvoir du président Mobutu.

Pour parvenir à s'installer dans le fauteuil présidentiel tant convoité, Pay-Pay compte essentiellement sur les deux provinces surpeuplées du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, ainsi que sur son volumineux carnet d'adresses auprès de bon nombre d'hommes politiques et d'opérateurs économiques à travers le pays et auprès des milieux financiers et diplomatiques internationaux. Des observateurs accréditent Pay-Pay d'avoir suffisamment d'atouts pour affronter le président sortant, Joseph Kabila, au second tour du scrutin présidentiel. Le chef de l'Etat dont on disait qu'il partait favori dans toutes les provinces anciennement sous contrôle rebelle pour avoir, selon une certaine opinion dans la région, mis fin à la guerre, notamment dans les deux Kivu, a donc tout intérêt à soigner cet électorat qui ne lui est plus acquis d'avance, estiment des analystes.