SANTE-RDC: Une épidémie de grippe aviaire en perspective

KINSHASA, 2 nov (IPS) – Une vaste vallée boisée s'étend en dessous du bureau de Jose Mpindi, un ornithologue (spécialiste de la zoologie des oiseaux) à l'Université de Kinshasa en République démocratique du Congo (RDC).

"Cet hiver (dans l'hémisphère nord), les arbres vont pépier avec des oiseaux venant du monde entier", déclare Mpindi, traçant des doigts les itinéraires migratoires qu'un million d'oiseaux au moins suivent chaque année, selon les estimations. "En fait, ils ont déjà commencé par venir".

Normalement, l'arrivée de ces oiseaux devrait simplement signaler un changement de saisons. Mais pour des milliers de citoyens dans la capitale de la RDC, Kinshasa, ils peuvent maintenant être porteurs d'une menace potentielle : une variété de virus de la grippe aviaire, le H5N1.

Environ 60 personnes sont mortes en Asie depuis 2003 après avoir contracté la grippe aviaire des oiseaux. Des scientifiques craignent qu'une petite mutation ne permette au H5N1 de se transmettre entre humains – provoquant une pandémie similaire à l'épidémie de la grippe espagnole en 1918 qui a tué, d'après certaines estimations, 50 millions de personnes dans le monde entier.

Des cas de grippe aviaire enregistrés ces dernières semaines en Turquie et en Grèce appuient la théorie selon laquelle des oiseaux migrateurs qui partiront, dans les semaines à venir, d'Europe de l'est et d'Asie emmèneront le H5N1 en Afrique orientale et centrale.

Les autorités sanitaires craignent que le virus ne se propage de façon incontrôlée dans ces régions, où la pauvreté est endémique, des services de santé inadéquats – et des millions de personnes déjà affaiblies par le SIDA.

En RDC, où près d'un ressortissant sur 20 serait séropositif, des familles entières vivent parfois dans de minuscules chambres à Kinshasa. Ceci offrirait un environnement idéal pour la propagation d'un virus aéroporté comme le H5N1. Une épidémie de grippe aviaire, ravageant des corps déjà affaiblis, pourrait mettre des communautés entières en danger.

"Les gens dans ce pays sont malnutris, leurs systèmes immunitaires sont faibles", affirme Jeff Mutombo, un médecin qui travaille en RDC pour l'organisation caritative internationale Médecins sans frontières.

Et, "des agents de santé mal payés sont difficiles à motiver, en particulier lorsqu'il s'agit de maladies contagieuses comme la grippe", ajoute-t-il.

Le mois dernier, le ministre de la Santé Emil Bongeli a annoncé un arrêt des importations de toute volaille vivante en vue de faire face à la menace que représentait la grippe aviaire.

"Il n'y a pas de raison de paniquer, mais nous devons nous préparer", a-t-il souligné.

Des responsables de l'agriculture disent qu'ils ont alerté des fermiers à travers le pays sur les dangers de la grippe aviaire. Alors que les oiseaux sauvages migrateurs sont capables de couver le H5N1 pendant de longues périodes sans être en proie au virus, les poulets peuvent succomber au H5N1 dans l'intervalle de quelques heures.

Bongeli a également indiqué qu'il négociait avec la firme pharmaceutique indienne CIPLA en vue d'obtenir des médicaments pour traiter la grippe aviaire. CIPLA dit être capable de produire une version générique du Tamiflu, le médicament anti-grippe coûteux du géant pharmaceutique Roche.

Pour la plus grande partie, les autorités congolaises comptent néanmoins sur les donateurs étrangers pour intervenir au cas où une crise surviendrait.

"Nous lançons un appel à la communauté internationale dans de tels cas", affirme Pierre Lokadi, un haut responsable au ministère de la Santé.

Malgré les limitations de financement et de personnel médical, un représentant de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) croit que le gouvernement congolais pourrait faire plus.

"Même les problèmes qu'il peut régler avec ses propres ressources, il les laisse à la communauté internationale pour qu'elle les résolve", déclare Florent Ekwanzalu, coordonnateur de la RDC pour les maladies à l'OMS.

Moins d'un tiers des 80 millions de dollars alloués à la santé dans le budget national ont été dépensés en 2004. En revanche, l'OMS estime que l'aide étrangère, un peu supérieure à 200 millions de dollars, est dépensée actuellement dans les soins de santé en RDC chaque année.

"Nous aimerions voir un engagement politique réel, et peut être qu'ensuite, nous pouvons aller de l'avant", indique Ekwanzala.

La plupart des gens à Kinshasa ont seulement entendu parler de la grippe aviaire lorsque le ministre de la Santé a annoncé la semaine dernière à la télévision nationale que le virus constituait une menace pour le pays.

"Quand est-ce que cette grippe aviaire arrive?", demande Marie Biloke, qui vend des cartes de recharge prépayées pour téléphones portables dans les rues de Kinshasa. "Une chose est sure, notre gouvernement n'y pourra rien".

"Nos politiciens sont occupés à mettre de l'argent dans leurs poches", ajoute-t-elle. "Quand est-ce qu'ils ont jamais pensé à nous?".

Non loin, un garçon de six ans, en haillons, ramasse son ballon de foot rouge d'un caniveau à côté de la 'Puissante clinique' de Kinshasa – et envoie le jouet crasseux sur le terrain de jeu de son école, de l'autre côté de la rue. Des centaines de personnes passent en toute hâte, remarquant à peine, habitués apparemment à la pourriture environnante.

"Si quelques Blancs riches nous aident, peut-être que nous serons protégés", déclare Biloke, se penchant sur son étalage. "Mais même si nous mourions, quelqu'un s'en inquièterait-il? Je ne le pense pas".