DEVELOPPEMENT-AFRIQUE: Des Universités qui ne méritent pas le nom

LAGOS, 24 mars (IPS) – "Etablissements d'enseignement secondaire améliorés", c'est le terme ironique inventé par les Nigérians pour décrire les universités de leurs pays.

Les salles de classe sont surpeuplées, avec plusieurs étudiants s'asseyant par terre durant les cours. Les bibliothèques manquent de livres, et les laboratoires sont mal-équipés pour faire des expériences.

"Ce n'est pas ce que c'était en termes d'équipements, en terme de matériels pédagogiques, en termes d'infrastructures. Cela s'est certainement détérioré considérablement", déclare Bola Fajemirokun, un activiste écologiste qui est sorti de l'Université de Lagos il y a 20 ans.

Et, de la même manière que les équipements sont en train de tomber en ruine, la qualité de l'éducation reçue par les étudiants se détériore aussi.

"Vous voyez des gens sortir des universités, même avec des prétendus diplômes secondaires, et ils ne peuvent absolument pas faire le travail qu'on leur demande de faire – par exemple effectuer des recherches", observe Fajemirokun.

Ajouté à cela, le fait que plusieurs des cadres les plus brillants du Nigeria quittent le pays pour accepter des postes à l'étranger, et que les chances de la recherche locale semblent beaucoup plus minces. Le résultat final, souligne Fajemirokun, est que la conception des politiques dans cet Etat ouest-africain souffre parce que des responsables n'ont pas accès à l'information et aux idées qui devraient enrichir leur travail.

"Si vous n'avez pas une profondeur suffisante en termes de formulation, alors vous aurez des politiques qui ne peuvent pas s'attaquer suffisamment à certains problèmes de développement", constate-t-elle. "Et ainsi, s'il y a une insuffisance en termes de personnes responsables de la formulation des politiques, vous aurez sans aucun doute ce genre d'écart entre ce qui est vraiment nécessaire et ce qui est en train d'être fait'.

Cette énigme a fait l'objet de discussions récemment à un atelier organisé dans la capitale économique du Nigeria, Lagos, par l'Institut pour le développement d'outre-mer (ODI), un groupe de réflexion indépendant basé en Grande-Bretagne.

Des événements similaires ont eu lieu au Malawi, au Mozambique, en Zambie, en Tanzanie, en Ouganda et au Ghana, sous les auspices du Programme de partenariats de l'ODI avec la société civile – et des ateliers sont en train d'être programmés pour l'Asie et l'Amérique Latine.

Le groupe de réflexion utilise les séminaires pour examiner les facteurs qui empêchent les groupes non gouvernementaux, dans des pays en développement, de faire un plus grand usage de la recherche dans leur travail – recherche qui pourrait les imprégner de plus d'autorité lorsqu'ils essaient d'influencer les décideurs politiques.

"Nous sommes en train de parler aux donateurs et aux ONG (organisations non gouvernementales) basées dans le nord et nous faisons également le tour des pays du sud…en mettant en contact des organisations de la société civile…des représentants des communautés de donateurs…(et) des politiques communautaires pour discuter de ces questions", a déclaré John Young, chef du Programme de recherche et de politique en développement de l'ODI. "Et pour obtenir d'eux plus d'informations sur ce qui constitue leurs besoins particuliers dans différentes parties du monde". Une partie de la solution au problème de la recherche inadéquate semble claire : dépenser plus sur les universités et les institutions de recherche. Des années de dictature militaire corrompue au Nigeria ont abouti à une négligence des universités – et d'une foule d'autres institutions et services publics.

"Je crois que les capacités de recherche ont été réduites dans plusieurs parties du monde en développement à cause d'une réduction des investissements dans les universités", a indiqué Young le 18 mars, à l'atelier de Lagos.

"Il y a environ dix ans encore, le gros de la recherche dans les pays en développement était fait dans des universités et elles ont connu de graves réductions de financement durant ces dernières décennies".

Fajemirokun a ajouté : "Il est indéniable qu'il n'y a pas eu d'investissement suffisant pour soutenir l'enseignement et inciter également les professionnels engagés à venir dans le secteur de l'éducation".

Mais, l'ODI croit qu'une augmentation du financement seule n'amènera pas les groupes civiques à consulter plus régulièrement – ou effectivement – les conclusions de la recherche.

A l'un des précédents ateliers, en Ouganda, des délégués ont noté que les conclusions n'étaient pas parfois prises en compte parce qu'elles ont peu de rapport avec la plupart des questions pressantes auxquelles sont confrontés les décideurs politiques.

"Je crois que le fait d'aider les organisations de la société civile à recueillir plus d'informations pertinentes et à échanger véritablement avec le gouvernement est une partie de la solution", a affirmé Young.

Dans des cas où la recherche était pertinente, des décideurs politiques étaient parfois méfiants à l'égard des conclusions, et réticents à les incorporer dans de nouveaux programmes.

Les participants au séminaire en Ouganda ont également noté que la présentation volumineuse des conclusions de recherche pourrait barrer la voie à leur exploitation – et que des groupes civiques manquaient quelquefois de personnel ou d'expertise pour utiliser convenablement ces conclusions.

Tari Asoka, un membre du personnel du bureau nigérian du département du développement international de la Grande-Bretagne, dit que l'absence d'expertise locale sur les questions sociales a souvent signifié que des politiques d'autres pays sont importées pour s'attaquer aux problèmes sociaux.

"Ce que vous trouvez, c'est beaucoup d'idées importées – les meilleures pratiques ailleurs qui ont tendance à être exécutées, et la plupart du temps, il y a une résistance quand il s'agit de les mettre en œuvre".

Dans des cas où les ONG réussissent à rassembler et à utiliser les conclusions de la recherche locale, elles peuvent, par contre, avoir une influence très forte sur le gouvernement.

Sylvanus Abua de 'Development in Nigeria', une ONG écologiste, a cité un cas dans l'Etat de Cross River, dans le sud-est, où des données collectées par des groupes de la société civile ont réussi à persuader le gouvernement de résilier une concession d'exploitation de bois accordée à une société chinoise.

Ceci représentait une victoire pour les écologistes dans l'Etat, qui renferme plus de la moitié des forêts tropicales humides du Nigeria.

"A travers leur recherche, les organisations de la société civile ont pu convaincre le gouvernement qu'il perdait tellement en taxes, et que l'exploitation de bois causait beaucoup de dégâts à l'environnement", souligne Abua. La décision de résilier la concession était prise en juillet 2004.