DEVELOPPEMENT-NIGERIA: L'eau privée, un bien public?

LAGOS, 7 jan (IPS) – A Agege, une banlieue de la capitale économique du Nigeria, Lagos, Augusta Uyi-Evbuomwam est devenue indispensable.

Du matin au soir, des gens munis de seaux et de bidons font la queue pour acheter de l'eau provenant de son puits artésien. Uyi-Evbuomwam déclare qu'elle n'ose pas fermer boutique même pour une journée, puisque tout le voisinage serait laissé sans eau.

"C'est plus qu'une entreprise, c'est un service. Les gens me supplient de leur vendre de l'eau", affirme-t-elle.

Cette histoire se répète ailleurs à Lagos, la plus grande métropole du Nigeria, où l'eau potable se fait rare. Plus de la moitié des 15 millions d'habitants de la ville n'a pas accès à l'eau potable. Des habitants comme Kehinde Oyida, une ménagère ayant une famille de sept membres, font de longues distances pour s'approvisionner quotidiennement en eau.

"Nous devons aller chercher de l'eau, parce qu'elle est très importante.

Nous en avons besoin pour la boisson et pour la cuisson des repas", souligne-t-elle.

Une croissance rapide de la population ne promet que l'exacerbation de ces pénuries d'eau. Selon les Nations Unies, la population de la ville passera à 24 millions au cours de la prochaine décennie, faisant de Lagos la troisième plus grande ville au monde.

Ironie du sort, la mise en place de plus d'installations pour fournir de l'eau semble – parfois – aggraver les choses.

"Nous devons accélérer le développement en infrastructures parce que de la même manière que nous grandissons, la population aussi augmente. Nous avons un problème institutionnel dans le sens où, étant donné que nos infrastructures se développent, elles attirent également plus de gens, c'est donc un cercle qui continue de s'agrandir", explique Olumuyiwa Coker, directeur commercial de 'Lagos Water Corporation'. Cette agence gouvernementale est responsable de la fourniture de l'eau aux habitants de Lagos.

Evidemment, l'argent fait également partie du problème. Les autorités étatiques auront besoin d'environ deux milliards de dollars pour fournir de l'eau à la population de la ville d'ici à 2015 – une somme qui est exorbitante selon elles.

Des dirigeants de la planète ont fixé 2015 comme étant la date limite pour la réduction de moitié du nombre de personnes n'ayant pas accès à l'eau potable. L'objectif fait partie des Objectifs du millénaire pour le développement, convenus par des chefs d'Etat et de gouvernement en 2000 en vue d'améliorer les niveaux de vie dans le monde entier.

A cause des contraintes budgétaires, les responsables de l'Etat de Lagos se sont adressés au secteur privé pour fournir de l'eau aux habitants de la ville. Une loi, qui permet aussi bien aux firmes locales qu'étrangères d'investir dans les services de l'eau, a été votée en novembre de l'année dernière.

"Il est important que nous cherchions des sources alternatives pour pouvoir renforcer ce que le gouvernement fait. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous associons des opérateurs du secteur privé", indique Coker, ajoutant que "les besoins de développement en infrastructures sont énormes".

Mais des détracteurs du plan craignent que cela ne finisse par bénéficier aux investisseurs au détriment des consommateurs – en particulier ceux qui sont dans des zones démunies.

"Pour les plus pauvres dans la société…,lorsque vous demandez à un investisseur privé de traiter avec eux, cela ne peut pas marcher.

L'investisseur privé est là pour gagner son propre argent; c'est pour le profit", explique Emmanuel Adeyemo, un analyste à 'Country Water Partnership'. C'est la filiale nigériane du 'Global Water Partnership', une agence basée en Suède.

"Si vous voulez amener l'eau aux plus pauvres dans n'importe quelle société, si vous la traitez comme un bien économique, vous ne pourrez pas, en fin de compte, la leur faire parvenir parce qu'ils n'ont pas les moyens de payer", ajoute-t-il.

Coker soutient que les prix seront maintenus dans des limites raisonnables.

"L'un des principes fondamentaux de ce que nous faisons, essentiellement, est d'être capable d'améliorer la fourniture de notre service dans la limite des ressources accessibles", affirme-t-il. "Les tarifs constituent une question cruciale et nous devons donc nous assurer que nous pouvons associer les gens et maintenir en même temps les prix à un niveau raisonnable et abordable".

Reste à voir comment les investisseurs privés, que le gouvernement a l'intention de solliciter, coexisteront avec les opérateurs de puits artésiens, qui seraient au nombre de plusieurs milliers. Pour sa part, Uyi-Evbuomwam n'est pas particulièrement préoccupée.

"Il ne peut pas y avoir de compétition avec de grandes sociétés distributrices d'eau. Les politiques du gouvernement peuvent paraître bonnes sur le papier, mais je ne pense pas qu'elles puissent amener l'eau à la porte des gens", déclare-t-elle.

"Nous jouons un grand rôle dans la fourniture de l'eau à Lagos. La consommation de l'eau augmente chaque jour. Le problème de la rareté de l'eau à Lagos sera mieux réglé si les opérateurs de puits artésiens sont encouragés à fournir l'eau", ajoute Uyi-Evbuomwam.