POLITIQUE-CAMEROUN: L'église catholique déterminée à ''exorciser lesdémons de la fraude électorale''

YAOUNDE, 2 juin (IPS) – A quatre mois de la troisième élection présidentielle pluraliste au Cameroun, prévue le 11 octobre prochain, l'église catholique camerounaise et ses dirigeants manifestent leur détermination à lutter contre la fraude électorale.

C'est le président Paul Biya, qui est au pouvoir depuis 1982, qui a remporté les deux dernières élections organisées respectivement en 1992 et 1997. La fraude électorale multiforme a été identifiée depuis longtemps, par l'église et la société civile, comme l'un des principaux freins au processus de maturation de la démocratie et du développement au Cameroun..

Aussi l'église camerounaise est-elle décidée à peser de tout son poids dans la campagne de sensibilisation en faveur des élections propres, transparentes et équitables.

Le Cameroun est un Etat laïc, mais l'influence de l'église catholique s'étend pratiquement sur toutes les 10 provinces du pays, avec une prépondérance avérée dans les sept provinces méridionales. En outre, à travers la conférence des évêques, l'église s'invite de temps en temps dans le débat social, politique, économique. De même, elle dispose, dans tout le pays, des écoles, des collèges, des centres de formation, et même d'une Université catholique. En l'absence de données récentes disponibles, on peut affirmer qu'une importante partie de la population camerounaise est chrétienne et cohabite avec une autre partie aussi remarquable qui est musulmane ou animiste. Les responsables de l'église catholique, qui ont toujours dénoncé les pratiques frauduleuses, observent souvent, dans leurs homélies, que la prochaine élection présidentielle "charrie des enjeux importants pour l'avenir du Cameroun".

Monseigneur Joseph Tonye Bakot, archevêque de Yaoundé, la capitale, a déclaré récemment à la presse : "Nous nous présentons en éclaireurs pour attirer l'attention des acteurs politiques, notamment le pouvoir, sur la nécessité d'organiser un scrutin libre et transparent afin qu'on ne dise pas du vainqueur qu'il a volé la victoire". Depuis le retour du multipartisme au Cameroun en 1991, les quatre élections municipales, législatives ou présidentielles organisées entre 1992 et 2002 – ont toujours été entachées de fraudes que la Cour suprême a régulièrement reconnues. Elles consistent en la constitution de listes fictives d'électeurs, de bureaux de vote clandestins, de faux bulletins de votes, de bourrages d'urnes, de fausses cartes d'électeurs, selon plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) qui ont souvent observé ces élections.

Ces fraudes ont particulièrement marqué le double scrutin municipal et législatif du 30 juin 2002 remporté par le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti au pouvoir. Il est né, en 1985, des cendres de l'ancien parti unique, l'Union nationale du Cameroun (UNC). Le 22 avril dernier, la Cour suprême, statuant définitivement sur le contentieux né de ces élections, a décidé de la reprise, le 13 juin prochain, du scrutin dans six communes contre sur les 17 faisant l'objet de recours, confirmant ainsi le verdict du juge administratif, prononcé depuis septembre 2002. Les six communes concernées sont Edéa-rural, Nkongsamba-rural, Matomb, Eséka-urbain, Bayangam et Dschang-rural. Le Cameroun compte au total 336 communes.

L'annulation du vote dans certaines circonscriptions du pays traduit la volonté du judiciaire de réaffirmer son pouvoir d'une part, et celle de l'exécutif de laisser les juges faire leur travail, d'autre part.

Aujourd'hui, l'exécutif s'ingère de moins en moins dans les affaires de la justice, comme c'était le cas autrefois. Il y a également la pression de la société civile, des partis politiques et, parfois, des ambassades occidentales qui, de temps en temps, déplorent l'immixtion du gouvernement dans les affaires relevant de la justice.

Mais aucune sanction n'a jamais été prise à l'encontre des fraudeurs. La cour se contente de reconnaître les fraudes sans blâmes ni poursuites judiciaires contre des auteurs, encourageant ainsi l'impunité et les fraudeurs qui continuent de tricher. "Nous exhortons les Camerounaises et les Camerounais, toutes couches sociales confondues, à avoir la ferme volonté de connaître, de parfaire et de mettre en œuvre les mécanismes du processus démocratique. Nous serons fiers d'avoir légué à nos enfants un tel héritage", a indiqué à la presse, Mgr Bakot, citant un passage du dernier rapport de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun (CENC), intitulé, "La loi, le crime, la justice", publié en avril.

Aujourd'hui, la question de la transparence électorale constitue le principal enjeu du prochain scrutin présidentiel. Au sein de l'église, prêtres et fidèles soutiennent qu'aucune confiance n'est plus faite à une administration acquise au pouvoir pour organiser les élections. Les prêtres estiment que les "épisodes, parfois dramatiques, des scrutins de 1992 et 1997, prouvent que, face à l'autoritarisme et à la bureaucratie électorale imposante de l'Etat, le scrutin d'octobre ne pourra valablement pas exprimer les aspirations du peuple camerounais".

"C'est pour cette raison que l'Eglise, soucieuse de la préservation de la paix civile, entend s'impliquer de manière plus forte dans le processus électoral", a déclaré à IPS, Titi Nwel, coordinateur du mouvement catholique, Justice et paix au Cameroun.

"Elle (l'église) veut veiller à ce que la paix post électorale ne soit plus perturbée, car la présence d'observateurs véritablement neutres manque énormément dans le processus électoral camerounais", ajoute Nwel. Au cours d'un entretien téléphonique avec IPS, Nwel indique q'ils entendent "former des observateurs électoraux qui surveilleront le déroulement des élections". En outre, dit-il, "l'église va tenir, avant les élections, des séminaires d'information, de sensibilisation et d'éducation aux techniques de fraudes utilisées par les protagonistes". "Quand les observateurs européens viennent superviser les élections ici, ils restent cloîtrés dans les grands hôtels et ne vont jamais voir ce qui se passe aux tréfonds de nos villages", a affirmé à IPS, Gertrude Amougou, Sœur supérieure à Sœurs servantes de Marie, une congrégation qui se trouve à Yaoundé.

Selon Alain Didier Olinga, professeur à l'Institut des relations internationales du Cameroun (IRIC) et à la Faculté de droit de l'Université de Yaoundé II, joint au téléphone par IPS, "les observateurs étrangers ont ce handicap qu'ils ne se déploient pas assez dans l'arrière-pays où les fraudes s'opèrent à ciel ouvert. Pour ceux d'entre eux, qui tombent dans le piège de l'administration et se font prendre en charge durant leur séjour, ils deviennent très vite partiaux. Leur point de vue ne peut être contraire aux thèses gouvernementales". Mais l'église déclare ne vouloir, en aucun cas, se substituer à l'Observatoire national des élections (ONEL) créé par le gouvernement en décembre 2000 : "Elle (l'église) veut juste apporter sa contribution à la consolidation de la paix et au processus démocratique, à travers une transparence électorale qui garantirait les chances égales à tous les candidats", renchérit à IPS, l'abbé Frédéric Onguene, curé à la paroisse de Melen, un quartier de Yaoundé. "Les démons de la fraude électorale devront être exorcisés par les prières et des rappels continus aux potentiels candidats", ajoute-t-il. Selon Diana Acha Mofor, vice-présidente de l'ONEL, à IPS, les Camerounais devraient faire confiance en l'ONEL. "Nous avons prêté serment pour jouer la carte de la transparence et de l'équité. Je comprends que les compatriotes en soient à penser que les fraudes, jadis le lot des élections, se répètent, mais il faut qu'ils sachent que l'ONEL sera le gardien de la transparence". Hilaire Kamga, président de Nouveaux droits de l'Homme (NDH), une ONG locale de défense des droits humains qui forme des observateurs électoraux, a indiqué à IPS que son organisation a décidé de s'investir aux côtés de l'église, pour une élection présidentielle juste, transparente, libre et démocratique, en octobre prochain : "Nous sentons que nous avons été trompés… Nous voulons éviter qu'on nous trompe à nouveau et il nous faut donc travailler à disséminer l'information et à éduquer la population pour préparer l'élection présidentielle", affirme-t-il.

Pour autant, la position de l'église reste diversement appréciée. Elle laisse même sceptiques certains observateurs qui s'interrogent sur sa capacité à mettre fin à la fraude électorale au Cameroun.

"L'église sait qu'elle ne peut pas empêcher les préfets et les sous-préfets de tricher", a affirmé à IPS, Emmanuel Akika, professeur de littérature négro-africaine à la Faculté des lettres, arts et sciences humaines à l'Université de Yaoundé I. "Les fonctionnaires, qui ont la charge du processus électoral, sont tous intéressés par le profil de carrière. Ils sont prêts à tout pour satisfaire celui qui les nomme", explique-t-il.

"En outre", précise Akika, "l'église sait très exactement que les politiciens, aussi bien ceux du parti au pouvoir que ceux de l'opposition, ne renonceront jamais à la fraude électorale, même si elle (l'église) a, aujourd'hui, la forte conviction que l'édifice de la paix et de la justice dans ce pays est essentiellement tributaire des urnes".

Selon Manfred Etogo, un fonctionnaire interrogé par IPS, "C'est l'enthousiasme qui anime l'église. Elle veut juste embarrasser le gouvernement".

A quatre mois de l'élection présidentielle que certains membres du clergé considèrent comme une "épreuve cruciale pour la jeune démocratie camerounaise", la question de la fraude est devenue très préoccupante aussi bien pour l'église que pour toutes les composantes de la société.. La question est si sensible que le débat s'est focalisée sur l'informatisation du processus électoral, considérée par certains comme la seule issue pour sortir du piège de la fraude.

Pour les tenants de l'informatisation, cet outil permet au moins de limiter les fraudes en automatisant plusieurs activités : la planification, la gestion, la budgétisation, le maintien des dossiers, la révision ou refonte des listes, le découpage des circonscriptions, la meilleure cueillette et le stockage des données d'inscription, le dépouillement des résultats du scrutin, etc. D'où l'intérêt porté par le gouvernement, l'opposition et la société civile aux Nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). Mais, selon le ministre d'Etat chargé de l'Administration territoriale et de la Décentralisation, Marafa Hamidou Yaya, à l'issue d'un récent tour des provinces, l'informatisation du système électoral pose un problème de financement, le coût étant estimé à 8 milliards de francs CFA (environ 14,8 millions de dollars US). "L'informatisation est sans doute la solution", a confié à IPS, Alain Nkoyock, expert informaticien, responsable de l'unité des NTIC au bureau de la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA) en Afrique centrale, à Yaoundé. "Ça peut changer les données car, avec l'introduction de l'informatique, on rend autonomes plusieurs activités… De même, l'informatisation permettra d'apporter des améliorations importantes en termes de coûts et de fiabilité des données", ajoute Nkoyock. Selon les médias camerounais, citant les autorités, quelque 6 milliards de FCFA (environ 11 millions de dollars US) avaient été dépensés pour l'élection présidentielle d'octobre 1997.