ENVIRONNEMENT-BURKINA FASO: La prolifération des éléphants provoque fierté et inquiétude

OUAGADOUGOU, 29 mai (IPS) – Frank Alain Kaboré, un concessionnaire privé, reconnaît que lorsqu'il occupait ses zones de chasse il y a 10 ans, dans l'est du Burkina Faso, il pouvait passer une journée sans rencontrer aucun éléphant. Aujourd'hui, il n'a même pas besoin de parcourir 100 mètres pour en trouver.

"Lorsque j'appelle mon équipe dans mon campement d'Arly (à 423 kilomètres à l'est de Ouagadougou, la capitale burkinabé), je peux entendre les éléphants qui fouillent les poubelles ou qui coupent les fils", déclare Kaboré à IPS.

"Les éléphants, qui subissaient la forte activité des braconniers, s'étaient concentrés dans des zones des pays voisins. Aujourd'hui, sur les 90 kilomètres de piste de mon ranch, vous pouvez voir au moins 10 fois des troupeaux d'éléphants", ajoute-t-il à IPS.

Vers la fin des années 1980, les autorités burkinabé ayant constaté que l'espèce disparaissait à une allure inquiétante en raison du braconnage, avaient déclaré les éléphants menacés d'extinction et les considérait comme des espèces protégées en faisant de l'éléphant un "animal totalement protégé contre la chasse". Le gouvernement a également adhéré au programme de Surveillance de l'abattage illégal des éléphants (MIKE) mené par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES).

Le gouvernement a concomitamment décidé d'accorder des zones de chasse à des concessionnaires et à des chasseurs professionnels afin de mieux les sensibiliser et les impliquer dans la protection des espèces menacées d'extinction, et permettre à d'autres investisseurs de créer des conditions favorables à la conservation et au développement de la faune.

"Nous avons réussi à créer les conditions appropriées pour la reproduction des éléphants, leur retour et leur installation", explique à IPS, Lassane Sawadogo, directeur de la faune et de la chasse au ministère de l'Environnement. "La reproduction est montée en flèche, ce ne sont donc plus les mêmes individus qui sont à la base de la prolifération des éléphants aujourd'hui", admet Sawadogo qui déclare "s'inquiéter" pour une si forte concentration d'éléphants pour un pays sahélien comme le Burkina.

Une récente étude menée par le gouvernement, avec l'appui du programme MIKE, a révélé la présence de plus de 4.500 têtes d'éléphants sur une superficie de 31.231 kilomètres carrés dans l'est du pays. Les estimations à l'ouest – où une étude démarrera bientôt – font état de plus de 400 éléphants qui y vivent. Leur forte concentration des éléphants dans une zone est due à la migration des éléphants venant du Ghana et des frontières béninoises et nigériennes. Ils étaient estimés à 350 éléphants sur le territoire national quand le gouvernement tirait la sonnette d'alarme à la fin des années 1980, selon le ministère de l'Environnement. Leur forte concentration inquiète parce qu'ils vivent dans les zones fertiles où l'on cultive le plus.

Pour le moment, le gouvernement n'a pas de politique claire concernant les éléphants. Dans le passé, il prévoyait, chaque année, un crédit de 30 millions de francs CFA (environ 55.555 dollars US) pour dédommager les populations qui subissaient des dégâts provoqués par des éléphants..

En outre, la construction d'infrastructures comme des écoles, des dispensaires ou des forages pour les populations riveraines des zones de chasse ou giboyeuses – par les concessionnaires – a permis de les sensibiliser davantage sur la nécessité de protéger ces espèces animales. En plus, les populations reçoivent les trois quarts de chaque animal tué lors de la chasse des animaux ouverts à la chasse, 7.500 FCFA (environ 14 dollars US) par jour par chasseur visitant leur zone. Les habitants de la zone reçoivent également près de cinq millions de FCFA (environ 9.259 dollars) par an et par concessionnaire, selon le ministère de l'Environnement. Ces sommes sont des taxes et elles sont remises aux associations villageoises qui les gèrent.

Le tourisme de vision des éléphants et la chasse procure aux populations au minimum 23 millions de FCFA (environ 42.593 dollars US) par an. Selon le gouvernement, plus de 500 emplois permanents et 1.200 emplois temporaires ont été créées par le biais du tourisme dans les zones de chasse où plusieurs animaux, menacés d'extinction dans le passé, vivent en nombre important comme les hippopotames et les outardes. Par ailleurs, la création de sites d'eau comme des puits et l'entretien des mares pour les éléphants ainsi que le développement des fourrages ont contribué à améliorer le cadre de vie des pachydermes.

La politique faunique du Burkina permet au pays de recevoir chaque année 600 chasseurs et touristes de vision étrangers. "Nous sommes fiers de présenter ces éléphants aux touristes qui viennent du monde entier les voir. C'est une marque de réussite pour nous et de puissance pour les populations qui ont accepté de les conserver en vivant avec eux", explique à IPS, Kaboré. Les braconniers dans les villages sont utilisés comme des guides et sont également associés à certains concessionnaires avec qui ils travaillent. Selon Karim Yé, guide de chasse et cultivateur à Boromo dans l'ouest du Burkina, le nombre élevé d'éléphants commence à devenir un problème sérieux, mais il n'est pas question de baisser les bras car toute action néfaste pourrait remettre en cause les acquis. "Les éléphants font beaucoup de dégâts, surtout dans les plantations de maïs, mil, coton. Après leur passage dans les vergers, ils cassent tout. On dirait que les arbres ont été taillés par les hommes", souligne Yé à IPS.

Cependant, Yé ne se fâche pas contre les éléphants. "Nous avons contribué à leur sauvegarde au moment où ils étaient menacés. Voilà pourquoi le nombre est devenu important aujourd'hui. Mais cela ne constitue pas un problème, il suffit que les hommes arrêtent d'envahir les habitats des éléphants", poursuit-il. En somme, les chasseurs et les braconniers doivent cesser d'agresser ces animaux jusque dans leur réserve naturelle. Il y a deux ans, les concessionnaires ont demandé au ministère de l'Environnement et du Cadre de Vie l'autorisation d'abattre un à deux éléphants par an dans leur zone de chasse en fonction du nombre existant afin qu'ils gagnent un peu d'argent pour éponger leurs investissements.

"Le gouvernement doit trouver des voies et moyens pour nous dédommager, nous qui avons contribué à conserver ces éléphants", affirme Kaboré.

Selon Kaboré, l'éternel problème de l'éléphant reste l'eau qu'il consomme beaucoup, mais dont il détruit également le site en y apportant beaucoup de boue. Si pour les autres animaux, un point d'eau peut durer cinq a six ans, pour l'éléphant, il faut curer chaque année les mares et autres sites d'eau. "C'est une fortune ce que cela représente", explique Kaboré. Le remplissage d'une mare prend deux semaines de pompage avec du matériel qui vient de Ouagadougou, la capitale. L'autre activité onéreuse concerne la réfection des pistes dans les zones de chasse. Les éléphants, qui passent et repassent sur les mêmes pistes, y laissent parfois des trous de 10 a 20 centimètres qui deviennent dangereux pendant la saison pluvieuse.

En dehors des travaux d'aménagement dans les concessions, les propriétaires payent au moins 10 millions de FCFA (environ 18.519 dollars US) chaque année à l'Etat burkinabé.

La seule satisfaction de Kaboré réside, selon lui, dans la récente décision du gouvernement d'autoriser des prélèvements chez les hippopotames dont la prolifération constitue aujourd'hui la cause de nombreuses plaintes des producteurs et pêcheurs dans l'ouest et l'est du Burkina Faso. Selon le ministère de l'Environnement, le Burkina compte aujourd'hui environ 700 hippopotames, contre moins de 100 vers la fin des années 1990.

Le gouvernement ne fait rien pour le moment pour un dialogue quelconque avec les concessionnaires. Il est lié par des accords internationaux qui protègent ces animaux. La seule chose que le gouvernement a pu faire, c'est d'autoriser l'abattage de quelques hippopotames dont le nombre n'est pas fixé.