SANTE-MALI: Vous voulez éviter le ver de Guinée, utilisez toujours un filtre à eau

BAMAKO, 3 juin (IPS) – Le programme d'éradication du ver de Guinée au Mali entreprend actuellement la distribution gratuite de filtres à eau à tous les ménages du village de Niagassadiou, à 1.030 kilomètres au nord-est de Bamako, la capitale malienne, a indiqué à IPS, le coordinateur national du programme, Dr Issa Degoga.

Selon Degoga, le programme a commencé également le traitement des mares par le produit chimique dénommé "Abate" qui permettra de tuer le ver dans les marigots de cette zone où la maladie du ver de Guinée, appelée encore dracunculose, reste endémique. Le traitement des mares, avec ce produit chimique déjà disponible, est urgent avec la saison des pluies qui s'annonce, de juin à août, ajoute-t-il. La distribution des filtres a commencé avec le démarrage du projet en 1994 et elle a concerné tous les villages où sévissait la maladie. Le traitement des mares avec l'Abate avait débuté également en 1994, mais cette année, avec la récente résurgence de la maladie, le programme a été relancé et renforcé en mai.

Le coordinateur national du programme d'éradication indique à IPS que les populations ont le "devoir de se protéger et de protéger les autres", tout en soulignant que le ver de Guinée n'a pas de médicaments. "Le seul remède qui existe et qui vaille, est le filtre à eau", dit-il. Pour atteindre l'objectif 'zéro cas de ver de Guinée en 2005', la chargée d'assainissement de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) au Mali, Kadidia Maiga Sokona, souligne à IPS "l'impérieuse implication des populations, des autorités politiques et administratives, des partenaires au développement, pour l'adoption de la pratique de la filtration de l'eau de boisson et l'incitation à la consommation de l'eau saine". La représentante résidente du Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), Francess Turner, explique également à IPS que le ver de guinée est une "maladie effroyable et inutile dont on peut se prévenir en adoptant simplement des mesures d'hygiène, ou tout simplement en filtrant l'eau".

La maladie du ver de Guinée est pratiquement éradiquée au Mali, mais elle resurgit dans la région de Mopti, dans le nord du pays, notamment dans le village de Niagassadiou qui est situé également à 26 km de la frontière du Burkina Faso. La dracunculose sévit encore dans la région de Mopti parce que c'est une zone de forte migration, d'élevage et d'agriculture. Les populations, avec l'hivernage, quittent les villages pour les hameaux de culture où elles consomment l'eau des mares. La particularité de Niagassadiou vient du fait que chaque année, les malades cachent leur maladie. De même, les personnes bien portantes consomment et utilisent les mêmes points d'eaux – qui contiennent les larves du ver de Guinée – parce que toutes les mares de la région ne sont pas toujours traitées.

Situé à 175 km au sud de Douentza dans la région de Mopti, ce village Dogon est devenu célèbre par sa lutte pour l'éradication du ver de Guinée. Les populations des autres villages ont non seulement déclaré et isolé tous les malades atteints de ver de Guinée – pour un traitement suivi et plus sûr – mais elles ont également changé de comportement en utilisant constamment le filtre à eau.

"Le problème avec ce village", a déclaré à IPS, Degoga, "c'est qu'il exporte cette maladie à d'autres horizons à l'intérieur du pays – Tombouctou, Gao, Kidal, Bamako… – et à l'extérieur du pays, notamment vers le Burkina Faso". Niagassadiou, avec ses 2.000 habitants, est un village de forte culture de migration. Selon Idrissa Ongoiba, animateur-chargé d'alphabétisation à l'organisation non gouvernementale (ONG) 'Near East Fondation' (NEF) basée à Douentza, cette localité connaît, après chaque récolte, un départ massif de jeunes vers d'autres cieux. Environ 60 à 70 pour cent prennent la destination du Burkina Faso qui est très proche de ce village malien. Parmi les migrants, figurent également de nombreuses jeunes filles qui partent en quête du confort. Ce sont ces jeunes migrants qui transportent et "exportent" le ver de Guinée vers leur futur lieu d'accueil parce que la contamination se fait par l'eau et c'est la seule voie de transmission, selon des spécialistes de la dracunculose. La lutte pour l'éradication du ver de Guinée a commencé en 1994 au Mali. A l'époque, le général Amadou Toumani Touré – actuel président du Mali – en était le président du comité de pilotage. De 5.581 cas en 1994, le nombre de cas était tombé à 290 en 2000, selon Dr Degoga. L'inquiétude, indique-t-il à IPS, c'est le fait qu'il y ait eu une recrudescence en 2003, avec 829 cas pour le pays. A Niagassadiou, on est passé de 10 cas en 2002 à 23 cas en 2003, sur un total de 24 cas pour l'ensemble du cercle de Douentza.

Le programme d'éradication reçoit essentiellement un appui financier de la part de l'UNICEF, estimé à 250 millions de francs CFA (environ 462.962 dollars US) par an, selon des chiffres fournis par la Direction régionale de la santé à Mopti. Le gouvernement fournit les ressources humaines.

Selon la même source, la Fondation Jimmy Carter – de l'ancien président américain – fournit des filtres à eau au programme d'éradication du ver de Guinée au Mali. Mais la résurgence de la maladie amène Aminata Ongoiba, une femme du village infesté par le ver de Guinée, à penser, comme presque tous les habitants de la localité, que leur sort est lié à une "malédiction divine". Mais, il n'en est rien, explique à IPS, le psychopédagogue, Bocary Guindo, directeur de l'Académie d'enseignement du cercle de Douentza. Pour lui, c'est une question de comportement. Il estime qu'il faut opérer un changement de comportement en incitant les populations à filtrer simplement l'eau de boisson. Le traitement du ver de Guinée est difficile, selon plusieurs spécialistes dont le coordinateur national, parce que les populations éprouvent de "sérieuses difficultés" à changer de comportement. En fait, la difficulté vient également de la grande pauvreté en milieu rural et du mode de vie des villageois. Lorsqu'on leur offre un premier filtre et qu'il est gâté, par exemple, ils ne peuvent plus ou ne veulent plus acheter un autre et ils préfèrent consommer l'eau des mares ou de puits suspects directement disponible, s'il n'existe pas un forage moderne dans leur village… En outre, quand ils travaillent en brousse, dans leurs champs éloignés de leurs maisons, les villageois n'ont pas de filtre avec eux là-bas. Or, après des heures de travail au soleil avec des outils traditionnels, ils prennent une pause pour manger quelque chose et boire de l'eau. Cette eau des mares, qui est à portée de main, n'est pas filtrée et elle peut contenir le ver de Guinée. Finalement, ces villageois vivent dans une sorte de cercle vicieux, parce que toujours exposés à la maladie tant que l'eau potable n'est pas garantie pour eux, partout où ils se trouvent, par l'existence de forages adéquats et durables. Paradoxalement, les populations des localités infestées souffrent d'un manque crucial d'eau potable. Trois forages modernes ne sont pas opérationnels depuis trois ans et les populations n'ont d'autre choix que de s'abreuver autour des puits de fortune, au même titre que les animaux.

La panne des trois forages serait due à des problèmes mécaniques. Mais, la désertification rend également difficile la réalisation des forages dans cette région septentrionale du Mali.

Selon la Direction régionale de la santé à Mopti, les autorités ont pris récemment des dispositions techniques pour la réouverture prochaine de ces forages. Selon Souleymane Ongoiba, le maire de la commune rurale de Mondoro dont relève Niagassadiou, le long retard pour dépanner les forages est le résultat d'une négligence de la part des autorités.

Le ver de Guinée appelé encore localement "maladie du grenier vide", est une maladie hydrique qu'on contracte en buvant de l'eau souillée et contaminée des mares ou d'autres eaux de surface contenant des larves. Le ver mesure entre 90 à 100 centimètres de long et son cycle est de neuf à 14 mois. Selon des spécialistes, la maladie se contracte notamment pendant la saison des pluies. La dracunculose est une parasitose caractérisée par un ver fin qui sort généralement du pied de l'individu atteint par la maladie. Un homme en est infecté en buvant l'eau de mare ou de surface déjà contaminée, précisent les spécialistes de la maladie. Selon les spécialistes, le malade a toujours envie de plonger son pied dans l'eau parce que le "pied s'échauffe quand la femelle du ver pondre", et le patient "est soulagé" lorsque les oufs sortent de son pied. Mais il contamine l'eau qui va infecter d'autres personnes qui vont la boire.

Au cours de la seule année 2003, quinze cas importés de ver de Guinée proviennent de Niagassadiou dont onze au Burkina Faso, un dans le district de Bamako, deux dans la région de Gao et un cas à Kidal, dans le nord du Mali. Soucieux de cet enjeu, les acteurs de la lutte contre le ver de Guinée, les autorités et les partenaires au développement ont organisé, le 5 mai, une journée de mobilisation sociale pour éradiquer cette affreuse maladie dans le village. L'objectif est d'atteindre le 'zéro cas en 2005'.

Selon le chef du village, Amadou Ongoiba, qui s'exprimait au cours de la journée de mobilisation, c'est une "honte nationale" pour lui et les siens chaque fois qu'ils apprennent que les germes du ver de Guinée, découverts ailleurs, proviennent de chez eux. Au nom de la communauté, il a pris "l'engagement de s'engager…pour bouter cette maladie loin" de son village Niagassadiou. Le maire Ongoiba a déploré, à la même occasion, que sur les 68 villages concernés par la maladie en 1988, Niagassadiou soit le seul endroit où sévit encore la maladie, à cause de l'incapacité des populations à changer de comportement. Mais, avec le lancement de la présente campagne, elles ont pris l'engagement de changer en contribuant à éradiquer le ver de Guinée d'ici à 2005.