POLITIQUE-RD CONGO: Environ dix morts dans les affrontements entre l'arméeet des hommes du colonel Mutebusi

KINSHASA, 29 mai (IPS) – Une dizaine de personnes auraient trouvé la mort dans les affrontements armés qui ont opposé, du 27 mai au 28 mai, l'armée régulière à un groupe de militaires fidèles au colonel Jules Mutebusi d'origine tutsi-banyamulenge, à Bukavu, dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC).

Les affrontements ont commencé dans une partie de la ville de Bukavu, dans le Sud-Kivu, proche de la frontière avec le Rwanda. A l'origine des combats, une altercation entre un groupe de militaires se réclamant du colonel Mutebusi, commandant en second de la région militaire, mais aujourd'hui suspendu de ses fonctions, et des soldats de la 10ème région militaire en faction sur le pont de la Ruzizi, servant de frontière entre la RDC et le Rwanda. "Suspectant un déplacement aussi important de militaires armés et accompagnés de leurs familles, la garde en faction sur le pont de la Ruzizi a cherché à connaître les raisons de ce déplacement massif et vérifier s'il était autorisé. C'est ainsi que les tirs ont commencé, les autres ne voulant pas obtempérer aux vérifications d'usage", a expliqué, le 27 mai au soir depuis Bukavu, le correspondant 'd'Antenne A', une radio privée commerciale qui émet à Kinshasa, la capitale congolaise. Parmi les victimes des affrontements, se trouve le juge Kabamba, président de la Cour d'appel de Bukavu. Selon 'Le Potentiel', un quotidien privé paraissant à Kinshasa, le juge aurait été abattu par le colonel Eric Ruhoringeri, un officier de l'ancienne branche de l'armée du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD/Goma). Selon d'autres sources, le magistrat aurait été touché par des balles perdues.

Selon des sources contactées au téléphone par IPS à Bukavu, deux jeunes enfants se trouveraient également parmi les six victimes civiles prises entre les tirs croisés de part et d'autre. Officiellement, on hésite encore à parler de mutinerie devant ce phénomène à la fois politique, militaire et tribal qui gangrène la ville de Bukavu et d'une manière générale, toute la province du Sud-Kivu, indique un analyste politique à Kinshasa. Les militaires de tribu tutsi-banyamulenge, qui sont de tous les conflits au Kivu et en RDC en général, depuis la guerre dite de libération de Laurent Désiré Kabila en 1996, ont pris les armes, disent-ils, en guise de revendication pour une citoyenneté congolaise confisquée par l'Etat congolais au détriment de la tribu banyamulenge. Ralliés d'une façon générale à la rébellion du RCD/Goma, ces militaires semblent ne pas bien s'acclimater dans l'environnement politique d'après-guerre. Proches du Rwanda par la culture et la langue, les Banyamulenge se sentent mal dans leur peau et ne se maintiennent à Bukavu que par la force des armes, selon des observateurs qui ont visité récemment le Sud-Kivu. Enrôlés dans les rangs de la rébellion du RCD/Goma, ils se sentent pratiquement abandonnés par les nouveaux arrangements politiques issus des accords de Sun City et paraissent ne pas trouver leur compte dans une nouvelle armée intégrée. Par exemple, c'est chez ces militaires banyamulenge que la Mission d'observation des Nations Unies (MONUC) retrouve généralement des caches d'armes, les exposant ainsi à la vindicte de la population qui, à tort ou à raison, les soupçonne de vouloir préparer une nouvelle guerre dans les deux provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, l'ancien fief du RCD/Goma. Pour le moment, on ignore les raisons pour lesquelles ces militaires banyamulenge ont voulu quitter Bukavu pour mettre apparemment leurs familles en lieu sûr. Les populations de Bukavu se demandent pourquoi ces soldats ne se sentent pas suffisamment en sécurité en RDC. Seules des enquêtes diligentées à cette fin pourraient fournir des réponses à ces interrogations.

A l'occasion de l'ouverture d'un séminaire à l'intention des nouveaux gouverneurs de provinces, cette semaine à Kinshasa, avant de rejoindre leurs postes, le président congolais, Joseph Kabila, a renouvelé la nécessité de réussir la réunification de la RDC et de son armée. "J'appelle tout notre peuple à appuyer les efforts du gouvernement dans cette partie de la République pour ne pas permettre aux aventuriers de retarder le processus de paix et le développement de notre pays. La justice fera son travail pour établir les responsabilités afin que les coupables soient châtiés, conformément aux lois de la République", a notamment déclaré le chef de l'Etat.

Le général Félix Mbuza Mabe, qui dirige la 10ème région militaire, a annoncé à la radio, le 27 mai au soir depuis Bukavu, qu'il avait été, lui-même, attaqué à sa résidence, mais qu'il avait réussi à repousser les assaillants. C'est la deuxième fois que le commandant en chef de la région militaire est attaqué de front par des groupes de soldats banyamulenge. La première fois, c'était contre le général Prosper Nabyolwa qui avait été obligé de se cacher dans la ville de Bukavu pour sauver sa peau, lors de l'affaire du major Joseph Kasongo chez qui une grande quantité d'armes avait été découverte en février dernier. C'était le colonel Mutebusi, lui-même, qui avait mené les opérations contre son supérieur hiérarchique immédiat. Mutebusi se trouverait actuellement aux mains de la MONUC, mais selon d'autres sources, il se serait réfugié au Rwanda.

Bukavu retrouve son calme petit à petit, mais les populations ne semblent pas pour autant rassurées. Jules Mambo, un homme d'affaires de la place, a indiqué à IPS, par téléphone, que la population de Bukavu avait le sentiment que des opérations de représailles se préparaient soit par des militaires banyamulenge eux-mêmes, soit par le Rwanda que ces militaires devaient rejoindre s'ils n'en avaient pas été empêchés par la garde de la frontière. "A Bukavu, nous ne dormons que d'un œil, en attendant un hypothétique secours de Kinshasa", a-t-il dit. Le RCD/Goma, devenu parti politique depuis le début de la transition, n'a pas voulu commenter les derniers événements de Bukavu. La direction politique du parti semble plutôt conciliante et a demandé au gouvernement, dans un communiqué rendu public vendredi (28 mai), de "tout mettre en œuvre pour trouver une solution juste à la situation d'incompréhension qui prévaut à Bukavu".

Ces nouveaux incidents surviennent au lendemain du séjour, à Bukavu, de Jean-Marie Guéhenno, secrétaire général adjoint de l'ONU chargé des opérations de maintien de la paix. Guéhenno qui vient de quitter le Congo pour l'Afrique du Sud, a regretté ce qui est arrivé à Bukavu. "De tels incidents arrivent", a-t-il déclaré à la presse, "à cause du retard accumulé dans la matérialisation de l'intégration de l'armée". Guéhenno a insisté sur l'urgence qui s'accroît face à l'absence de l'Etat dans plusieurs parties du pays, au fonctionnement du gouvernement de transition et à l'effondrement de l'économie.