ENVIRONNEMENT-SENEGAL: Une décharge d'ordures devenue une ''catastropheécologique'', selon les autorités

DAKAR, 28 mai (IPS) – En l'absence d'un centre adéquat de traitement des ordures ménagères et industrielles, les déchets collectés quotidiennement à Dakar, la capitale sénégalaise, sont déversés à l'état brut dans une décharge non contrôlée, communément appelée décharge de Mbeubeuss, du nom d'un lac asséché.

La décharge de Mbeubeuss est ouverte depuis juin 1970, à près de 25 kilomètres de la banlieue de Dakar, sur une superficie de 600 hectares.

Ainsi, cet immense dépotoir d'immondices à ciel ouvert, est devenu le point de chute des déchets ramassés dans la capitale sénégalaise et ses banlieues de Pikine et Guédiawaye. Une odeur pestilentielle et insupportable se dégage de loin de la décharge.

C'est au milieu des nuées de mouches, de vers et de bestioles de toutes sortes que s'activent des recycleurs composés majoritairement d'hommes de tous âges. Armés d'un pic pointu et d'un sac, ils parcourent de long en large la décharge pour dénicher le maximum d'objets à revendre tels que le plastique, la ferraille, les canettes usagées de boissons ou de conserves et, même parfois, des produits alimentaires périmés. Ensuite, ils effectuent un tri et une sélection des objets récupérés pour satisfaire la clientèle. "Pour avoir les meilleurs objets, il faut être fort et intelligent afin de pouvoir s'agripper sur les camions", explique Ousmane Sarr, âgé de 30 ans environ. La rivalité entre recycleurs oblige les femmes à se replier dans des endroits moins exposés où elles s'occupent à ramasser des bouteilles, des cartons et autres menus objets. A sa création, la décharge de Mbeubeuss était très éloignée du centre-ville. Mais ce n'est plus le cas actuellement avec le boom démographique qu'à connu la capitale sénégalaise en l'espace de quelques années. Dakar, avec ses banlieues, compte près de 3 millions d'habitants sur une population totale estimée à 10 millions de personnes. Sous l'effet d'un accroissement rapide de la population sénégalaise attendu d'ici à 2020, le pays comptera alors quelque 16 millions d'habitants, dont près de 5 millions personnes concentrées dans la seule région de Dakar. Le taux d'accroissement de la population sénégalaise est de 2,7 pour cent, selon le Rapport national sur le développement humain 2001 du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

En rapport avec ce boom démographique, le tonnage des ordures ménagères collectées à Dakar a aussi considérablement augmenté. En effet, de 321.000 tonnes en 1998, la décharge de Mbeubeuss a reçu une moyenne mensuelle de 38.080 tonnes en 2001, soit 457.000 tonnes l'année, selon des données publiées par l'Institut africain de gestion urbaine (IAGU), basé à Dakar.

Au fil des années, la décharge est devenue un lieu de travail et un centre de trafic lucratif pour bon nombre de personnes, originaires pour la plupart du monde rural. Plus de 150 personnes s'activent sur la décharge en qualité de récupérateurs ou d'éboueurs de surface. Ils ont pour clients des forgerons, mais également des industriels spécialisés dans le recyclage des déchets plastiques ou métalliques. Certains forgerons spécialistes du recyclage se sont organisés en coopératives et vendent des mallettes qu'ils fabriquent à partir de canettes vides de Coca Cola.

Devenue une véritable menace écologique aux portes de Dakar, la décharge de Mbeubeuss a toujours été décriée par les populations riveraines qui ne cessent de se plaindre des perpétuels désagréments causés par son existence. En effet, les autorités craignent qu'à long terme, l'existence prolongée des déchets sur la décharge provoque une pollution de la nappe phréatique de cette zone maraîchère. Ce risque est d'autant plus sérieux que la plupart des populations des villages qui ceinturent la décharge, s'abreuvent à partir de l'eau de puits. "Du fait de la proximité des ordures, nous vivons en permanence sous la menace des moustiques, rats et autres bestioles", se plaint à IPS, un habitant du quartier populeux des Parcelles assainies de Dakar, une proche banlieue de la capitale.

"Les montagnes d'ordures de la décharge ont fini d'engloutir presque toutes nos terres de cultures", explique à IPS, un maraîcher du quartier de Malika, dans la zone maraîchère des Niayes, contiguë à la décharge de Mbeubeuss. La prise de conscience du problème du traitement et du recyclage des déchets est très récente au Sénégal. Les autorités gouvernementales, qui ont été sensibilisées sur les problèmes liés à l'environnement et à la gestion écologique des ordures, ont élaboré en 2001, un nouveau code de l'environnement. Ce code se veut un outil juridique approprié pour l'application de la nouvelle politique environnementale. Instrument vital pour l'application de la politique environnementale, le code permet d'imposer des normes et de sanctionner les pollueurs. Elaboré à la suite d'un débat passionné à l'Assemblée nationale en février 2001, le code de l'environnement consacre une large place à la gestion des déchets.

Les personnes réfractaires à l'application du code et qui auraient importé, produit, détenu ou/et utilisé, contrairement à la réglementation, des substances nocives et dangereuses, sont exposées à des sanctions pénales qui prévoient notamment le paiement d'une amende variant d'un million à 10 millions de francs CFA (de 1.852 à 18.518 dollars US), assortie d'une peine d'emprisonnement de deux à cinq ans.

Cependant, le code est resté muet sur les dispositions de recyclage des ordures qui continuent d'être déposées en vrac, sans aucun tri, dans des bacs devant les maisons avant d'être ramassés pour être convoyées vers Mbeubeuss. De plus en plus, le traitement des ordures domestiques et industrielles est devenu un sérieux problème de gestion environnementale pour les autorités sénégalaises. Conformément à sa nouvelle politique environnementale, le gouvernement a donc décidé en 2001 de fermer la décharge de Mbeubeuss en 2005 et de la transférer vers un autre site qui sera ouvert à Gandoul, non loin de la périphérie de la région de Thiès, à 70 km à l'est de Dakar. "La décharge de Mbeubeuss est devenue une véritable catastrophe écologique", a reconnu le ministère de l'Environnement dans un rapport publié en février dernier, présentant son bilan de 2003.

Le projet de transfert de la décharge de Mbeubeuss vers le site de Gandoul ne satisfait pas les recycleurs qui craignent surtout pour la perte de leur principal gagne pain. Vivant depuis de longues années avec leurs familles dans les nombreux et minuscules quartiers crées dans les alentours de la décharge, les recycleurs demandent au gouvernement de renoncer à son projet. "Le dépotoir existe en cet endroit depuis maintenant plus de 25 ans et personne n'a jamais senti ni vu les dangers dont on parle toujours et qui motivent la décision de le fermer et de le transférer à Gandoul", se défend Mousa Seck, un recycleur, tout en se déclarant prêt à aller s'installer sur le nouveau site de Gandoul pour continuer à exercer son métier.

En revanche, les habitants de Gandoul sont révoltés par la mesure des autorités de transférer les ordures de Dakar dans leur localité à vocation agricole. Regroupées au sein d'un comité d'initiative inter villageois pour la sauvegarde des intérêts des habitants de Gandoul, les populations ont organisé une marche de protestation le 14 avril. Environ 300 personnes s'étaient mobilisées pour dire "non au transfert de Mbeubeuss", estimant tout simplement que la décharge doit être laissée là où elle a toujours existé.

Le combat mené par les populations de Gandoul est soutenu par le Rassemblement des écologistes du Sénégal (RES-les Verts), un parti politique crée depuis trois ans par un groupe de gens qui se sont toujours illustrés dans les campagnes de protection de la nature.

"La bataille des populations de Gandoul est une lutte citoyenne", a déclaré à IPS, Ousmane Sow Huchard, secrétaire général du RES-les Verts, estimant "qu'il est normal que les citoyens défendent leur cadre de vie"..

Ce parti a toujours dénoncé l'existence de la décharge de Mbeubeuss, dans ses différentes campagnes de sensibilisation. La solution, selon le RES-les Verts, devra nécessairement passer par l'éducation des citoyens pour une gestion plus efficiente des ordures. "Il faut que les Sénégalais apprennent à trier par eux-mêmes leurs ordures pour ne pas polluer inutilement leur environnement", indique un militant de ce parti écologiste.

La nouvelle décharge, qui sera construite à Gandoul, sera aménagée selon les normes européennes, a assuré à IPS, Samba sarr, directeur de la société AMA-Sénégal, une filiale de Alcyon, une entreprise suisse spécialisée dans la valorisation des ordures.

Alcyon propose une solution de valorisation des déchets par le procédé du triage-compostage des ordures et en vendant les sous-produits de la transformation des déchets. L'autre solution traditionnelle de gestion des déchets, en cours au Sénégal, consiste simplement à des techniques de décharge ou d'incinération. "Il ne s'agit pas de transférer la décharge de Mbeubeuss à Gandoul, mais plutôt de créer au Sénégal le premier centre d'enfouissement technique des ordures selon des critères environnementaux bien définis", explique Sarr à IPS.

La première phase du projet de mise en place du centre d'enfouissement technique concernera la création de compost, a ajouté Sarr, soulignant que de nombreux emplois seront générés au bénéfice des populations de la localité ciblée pour accueillir la première décharge contrôlée du pays. Les emplois seront créés dès la mise en place de l'unité de valorisation des déchets, après l'ouverture du site de Gandoul.

La nouvelle décharge contrôlée de Gandoul va consister en un site où les ordures seront enfouies. Parallèlement, les déchets seront d'abord triés en séparant les objets en plastique, en métaux ferreux, en aluminium ou en zinc. Ensuite, ils seront recyclés et transformés suivant le procédé de la méthanisation qui consiste au traitement et à la transformation des déchets en divers sous-produits comme l'électricité, ou le compost pour l'agriculture etc.

L'Etat sénégalais et Alcyon ont signé en novembre 2001 un contrat portant sur un montant de 5 milliards de FCFA (environ 9,260 millions de dollars US) à débourser chaque année pour la collecte et le traitement des ordures, sur une période de 25 ans.

Les populations de Gandoul sont loin d'être enchantées par toutes ces créations d'emplois à leur profit, réclamant plutôt des dispensaires, des routes, des salles de classes.

"Laissez la décharge aux gens de Mbeubeuss qui le veulent", clame Abdou Ciss, le président du comité d'initiative inter villageois pour la sauvegarde des intérêts des habitants de Gandoul, qui estime que les autorités ne doivent pas leur "imposer tous les désagréments liés à la décharge et qui ont pour noms vols, banditisme, nuisance…"