NAIROBI, 26 mai (IPS) – Alors que le tic tac de l'horloge se rapproche de plus en plus de la date limite pour l'introduction d'une nouvelle constitution au Kenya, Atsango Chesoni – pour sa part – est pleine d'appréhensions par rapport au changement à venir.
L'activiste des droits des femmes et responsable à Bomas Katiba Watch déclare que la constitution actuelle du pays fait de la discrimination à l'encontre des femmes, notamment sur la question des droits à la propriété – et qu'il y a longtemps qu'on aurait dû apporter des modifications à cette question. ("Katiba" est le mot swahili pour constitution, tandis que Bomas fait référence au lieu situé à la périphérie de la capitale kényane, Nairobi, où se sont déroulées les négociations sur la constitution).
Lorsque le président Mwai Kibaki a pris fonction à la fin de décembre 2002, il avait promis au pays une nouvelle constitution en l'intervalle de 100 jours. Ce document est perçu comme une partie clé des efforts pour améliorer la bonne gouvernance dans cette nation d'Afrique orientale, stimuler le développement et réduire la pauvreté. Des querelles politiques ont toutefois provoqué, plus tard, le report de la date limite au 30 juin de cette année.
"L'ancienne constitution a traité les femmes comme des citoyens de deuxième ordre", affirme Chesoni. "Par exemple, les femmes n'ont pas le droit à la propriété matrimoniale, et plusieurs d'entre elles souffrent lors du décès d'un époux ou en cas de divorce ou de séparation. La loi permet également à la culture de frustrer les femmes". A l'heure actuelle, l'héritage de propriété au Kenya est régi par le droit coutumier, qui peut empêcher les femmes de prétendre aux biens de leurs maris.
L'expérience de Maria Nekesa est typique à cet égard. Elle a perdu toute sa propriété au profit des parents de son mari lorsque ce dernier est décédé il y a quatre ans, et a dû repartir de zéro – avec ses deux enfants.
"Ils m'ont arraché tout, y compris notre parcelle de six hectares, affirmant que toute la propriété appartenait à leur fils. Ils voulaient que son jeune frère hérite de moi (lévirat) et lorsque j'ai refusé, ils nous ont chassés, mes enfants et moi, de mon domicile conjugal", a dit, à IPS, Nekesa au cours d'une réunion de veuves qui s'est tenue récemment à Nairobi.
Ses efforts pour demander l'assistance du gouvernement n'avaient pas porté beaucoup de fruits. "J'ai rapporté l'affaire au chef de la localité, mais il m'a refoulée en disant que c'était une affaire familiale. Il m'a demandé d'aller régler cela avec mes beaux-parents", ajoute-t-elle.
IPS n'a pas pu obtenir des statistiques gouvernementales sur l'ampleur de ce problème au Kenya. Des groupes de femmes estiment également qu'il est difficile de trouver de tels chiffres, parce que plusieurs cas ne sont pas signalés. Tout le monde semble être d'avis, toutefois, qu'un bon nombre de femmes se retrouvent dans des situations analogues à celle de Nekesa.
La section 77 du chapitre sept du projet de constitution stipule que "le gouvernement définira et étudiera une politique nationale foncière pour assurer la dissuasion des coutumes et pratiques qui introduisent une discrimination contre l'accès des femmes à la terre". La section 82 poursuit en disant : "Un conjoint survivant ne sera pas privé d'une provision raisonnable sur les biens d'un conjoint décédé que le conjoint disparu ait fait ou non un testament".
"Si ce projet était voté aujourd'hui, les femmes ne seraient pas déshéritées par les parents qui cherchent à s'approprier leurs biens (de femmes)", a dit à IPS, Ann Njogu, directrice exécutive du Centre d'éducation et de sensibilisation sur les droits, une organisation de défense des droits des femmes à Nairobi. Il semble que le fait d'hériter de l'épouse (lévirat) – la pratique où une veuve peut être obligée d'épouser un parent de son défunt mari – sera également découragé sous le nouveau document.
Toutefois, Ann Gathumbi, coordonnatrice de la Coalition contre la violence à l'égard des femmes, prévient qu'avoir une constitution modifiée est une chose – l'appliquer en est une autre. Elle a indiqué à IPS qu'il était peu probable que des femmes pauvres au Kenya trouvent les moyens de défier le comportement de parents peu scrupuleux au tribunal – même avec le soutien d'une nouvelle constitution.
Parmi les autres propositions révolutionnaires dans le projet de constitution, figurent celles relatives à la réduction des pouvoirs présidentiels – et à leur transfert à un Premier ministre. Les propositions ont été à l'origine de profondes divergences au sein du gouvernement de la Coalition nationale Arc-en-ciel de Kibaki, où certains semblent croire que le chef de l'Etat prend de la distance par rapport à ses précédentes promesses de soutenir une présidence moins puissante. Ceci a poussé certains commentateurs à spéculer sur l'engagement de Kibaki à mettre en ouvre une nouvelle constitution.
"La nouvelle constitution n'était qu'une intention. Si le président était sérieux, il aurait mis en place des mécanismes pour s'assurer de l'imminence d'une telle constitution", remarque Mutahi Ngunyi, un politologue.
Des activistes ont promis une action de masse au cas où une nouvelle constitution ne serait pas votée à la date du 30 juin.
"Nous ferons tout ce que nous pouvons en tant que Kényans pour faire en sorte qu'une nouvelle constitution soit en place. Une nouvelle constitution se fait attendre depuis longtemps", a déclaré Chesoni à une conférence de presse le 12 mai.
La section kényane de la Fédération des femmes juristes a également apporté tout son soutien à la promesse d'une action de masse.
"Si rien ne se passe en juin, alors il devra y avoir un cataclysme pour faire en sorte que cela arrive", a indiqué, à IPS, Joyce Majiwa, la présidente de l'organisation, dans un entretien téléphonique. "Nous ne pouvons pas nous fier aux vieilles lois qui ont arraché aux femmes leurs droits"