POLITIQUE-RD CONGO: Réactions négatives à la nomination des nouveauxgouverneurs de provinces

KINSHASA, 25 mai (IPS) – Attendue initialement comme l'événement intégrateur pour garantir la réunification du pays, la nomination des gouverneurs des onze provinces de la République démocratique du Congo (RDC) a été plutôt désapprouvée par la majorité des Congolais.

A Kinshasa, la capitale, comme en provinces, les réactions de désapprobation ou de déception fusent de toutes parts, depuis les 19 et 20 mai, au fur et à mesure que l'information parvient aux différents coins du pays. Le décret présidentiel sur les nominations, rendu public le week-end du 15 mai, n'est paru dans les journaux que la semaine suivante.

Les premières réactions concernent le maintien de certains gouverneurs à leurs postes, en dépit du principe de base convenu à Sun City qui prône le changement ou la permutation de tous les gouverneurs qui étaient en poste pendant la période de guerre.

L'un des cas nommément cités est la province du Nord-Kivu dont le gouverneur, Eugène Serufuli, devait quitter son poste de Goma, quartier général du RCD/Goma, parce qu'il est membre de l'ex-rébellion, le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD/Goma), et présumé trop dépendant des autorités de Kigali, au Rwanda. Or, Sérufuli a été reconduit à son poste. Ce qui explique la colère des populations de la ville de Goma, notamment la société civile, dont la mutuelle 'Nande' représentant l'une des plus importantes de la province : "Nul n'ignore les souffrances dont les populations du Nord-Kivu ont souffert sous l'administration RCD/Goma du fait de la proximité avec son allié, le Rwanda", a expliqué au téléphone, à IPS, Pierre Fataki, président de la mutuelle. "Etant donné le cordon ombilical encore très solide entre le RCD/Goma et le Rwanda, nous craignons que le maintien d'Eugène Serufuli, à la tête de la province, ne puisse signifier le maintien du statu quo antérieur. Pour nous, la reconduction de M. Serufuli, c'est la reconduction de l'administration RCD/Goma et donc, la reconduction de nos misères", a ajouté Fataki à IPS.

Les populations de la province du Nord-Kivu considéraient la rébellion du RCD/Goma spécialement comme une troupe d'agression au service du Rwanda.

Pour imposer son pouvoir à Goma, le RCD a dû recourir à l'Armée patriotique rwandaise (l'armée du Rwanda) et recruter des jeunes gens pour créer le "Local Defence", une sorte de milice au service du pouvoir local avec Serufuli comme gouverneur et chef présumé de la milice. Celle-ci s'est rendue coupable présumée de nombreuses actions de violence (cachots souterrains, déportations etc.) contre la population généralement opposée à la rébellion et favorable au pouvoir central de Kinshasa. Les ressortissants de la tribu nande ont particulièrement souffert de cette difficile cohabitation avec les tribus hutu et tutsi. Mgr Emmanuel Kataliko, l'archevêque de Bukavu, mort en octobre 2000, était l'une des victimes des atrocités du RCD/Goma avec sa relégation, à Butembo, son diocèse d'origine. Pourtant, Serufuli aurait pu changer de poste, si les principes retenus pendant les négociations de Sun City, en 2002, en Afrique du Sud, avaient été respectés. Mais tel n'a pas été le cas. La composante de l'ex-gouvernement ayant maintenu, à leurs postes, Tsasa di Ntumba et André Claudel Lubaya, respectivement dans les provinces du Bas-Congo et du Kasaï-Occidental, qu'il contrôlait pendant la guerre, le RCD/Goma, s'est alors cabré et a décidé de faire maintenir son gouverneur Serufuli en poste à Goma. Et le chef de l'Etat s'est vu obligé de le confirmer aussi à son poste dans le même décret présidentiel.

"Le maintien des anciens gouverneurs dans leurs anciennes provinces pendant la guerre (Serufuli, Tsasa di Ntumba et Claudel Lubaya) est une entorse grave au contenu des accords de Sun City, imputable à la composante gouvernement de Kinshasa. Les raisons sont essentiellement électoralistes et le gouvernement joue sur la popularité de ses gouverneurs dans les provinces qu'ils dirigent afin de se garantir des chances de succès aux élections générales prévues en juin 2005, prévues par les accords de Sun City. Il n'y a pas de soucis particuliers de contrôler les ressources minières", affirment des analystes politiques à Kinshasa.

"C'est Kinshasa qui commence l'anarchie en ne respectant pas les principes qui avaient été retenus de manière consensuelle lors des négociations politiques", explique, de son côté à IPS, Richard Tshimanga, un des responsables du RCD/Goma. Mais, pour tranquilliser les différents scepticismes et pessimismes des uns et des autres, et équilibrer la balance, il a été convenu que les vice-gouverneurs et les chefs des régions militaires proviennent d'autres composantes différentes de celles des gouverneurs des provinces. Dans la province du Katanga, dans le sud-est de la RDC, c'est Ngoy Kisula, un proche de la composante proche du président Joseph Kabila, qui a été nommé gouverneur, en lieu et place d'un membre du groupe maï-maï auquel était, normalement, destiné le poste.

Les combattants maï-maï, qui réclament leur part du gâteau "en vertu de leur résistance héroïque contre l'invasion des troupes d'agression", crient à la tricherie et accusent le président de la République et sa famille politique. "Nous sommes prêts à rejoindre le maquis et reprendre les armes à cause ce genre d'injustices", s'est insurgé Raphael Luhulu, représentant du groupe parlementaire maï-maï.

"Le Dr Ngoy Kisula est un bourgeois qui est toujours resté dans les milieux feutrés des villes pendant que nous combattions en brousse. Il n'a jamais fait partie de notre groupe", déclare à IPS, Luhulu. La province du Katanga promet d'être la plus difficile à gouverner.

Lubumbashi, la capitale de cette province, a connu une ambiance survoltée, le lundi (18 mai), à la suite des marches organisées par des membres du parti de l'Union nationale des fédéralistes congolais (UNADEF), dans un appui de circonstance à la revendication du groupe maï-maï. Gabriel Kyungu wa Kumwanza, actuellement député national et secrétaire général de l'UNADEF, roulait en fait pour sa propre cause car il n'a pas hésité à brandir des menaces de violence : "Si Kyungu n'est pas gouverneur, la province sera ingouvernable et le sang va couler", a-t-il indiqué. Il a promis d'empêcher le nouveau gouverneur de travailler. Ni le gouvernement ni le parlement dont il fait partie, n'ont, jusqu'ici, réagi à ses déclarations menaçantes. "L'affaiblissement ou l'absence de l'Etat, en RDC, a laissé la place à beaucoup de permissivité de la part de certaines personnalités politiques.

De telles incitations à la violence, de la part de Kyungu, ancien gouverneur du Katanga, en est une illustration", selon des analystes politiques. Ancien gouverneur du Katanga, Kyungu s'était rendu tristement célèbre, début 1990, dans la traque des membres de la tribu luba du Kasaï, qui habitaient au Katanga et travaillaient dans les mines de la province du sud-est. Sous la colonisation belge, la province du Katanga a dû faire venir la main-d'œuvre de la province du Kasai pour ses industries minières.

Ce sont les Luba du Kasai. Or, le nord de la province du Katanga est également habité par d'autres Luba qui ne sont en fait qu'une variante de la même composante ethnique. Avec le temps, les Luba du Kasai se sont retrouvés majoritaires dans les postes de commandement à la Gécamines, la plus grande industrie minière du Katanga. Ce qui n'a pas plu à leurs frères du Katanga. La crise économique a exacerbé les antagonismes entre les deux groupes ethniques si bien que dans les années 1990-1992, profitant de la présence de Kyungu, un Luba du Katanga lui-même, à la tête de la province, les Luba du Katanga ont décidé de chasser ceux du Kasai jugés trop envahissants. Cette chasse aux Luba du Kasai avait fait près de 10.000 morts.

De leur côté, les associations de femmes ont, d'une manière générale, dénoncé l'égoïsme des hommes, qui a présidé à la nomination des gouverneurs de province. Aucune femme ne figure, en effet, parmi les onze gouverneurs de province. Sur 20 vice-gouverneurs, seules quatre femmes ont été nommées. "Cela montre le côté macho des hommes qui veulent toujours d'abord se servir", a réagi auprès d'IPS, Kyet Mayel, présidente de la Dynamique de la jeunesse féminine (DJF). "Cela démontre également le manque de solidarité et de combativité des femmes elles-mêmes. Elles passent plus leur temps à se combattre qu'à lutter pour la représentativité honorable des femmes dans les institutions de la République", a-t-elle ajouté à IPS. Apparemment, seules les personnes nommées sont visiblement satisfaites.

Sabi Sadiboko, nouveau gouverneur de la province de Bandundu, répond à la question de IPS sur la mauvaise humeur de certains de ses prochains administrés, suite à sa nomination. Originaire du sud de la province, les gens du nord le soupçonnent de chercher à ne favoriser que les sudistes.

"Les ressortissants du nord de la province de Bandundu peuvent avoir leurs apaisements. Il n'y avait qu'un poste à pourvoir à la tête de la province et si j'ai été nommé, ce n'est pas que je ne travaillerai que pour les gens du sud", a-t-il déclaré. "La province fait face à plusieurs défis qui n'ont pas nécessairement rapport avec le nord ou le sud de la province. Il s'agit d'assurer le développement de toute la province aujourd'hui en voie de sous-développement. En plus, il y a la frontière avec l'Angola à gérer.

Aujourd'hui, le nombre des refoulés d'Angola s'élève à 120.000 personnes.

Nous devrons rétablir un climat de confiance avec l'Angola", a-t-il indiqué à IPS.

Le gouvernement n'a pas encore réagi à la vague de protestations soulevée par le décret de nomination des gouverneurs. Dans un bref commentaire à la télévision, le ministre de l'Information, Vital Kamerhe, a révélé que les différentes composantes n'ont rien voulu entendre du principe de rééquilibrage politique par rapport aux désirs des populations. "Leur seul souci est le repositionnement électoraliste", a-t-il déclaré, ajoutant que seule la composante gouvernement a pensé à placer des femmes comme vice-gouverneurs. La RDC a entamé, depuis l'accord de paix de Pretoria en 2003, une transition politique qui doit œuvrer pour la réconciliation nationale, la réunification du pays et déboucher sur des élections générales en juin 2005.