SOMALIE: Des milices armées détournent l’aide alimentaire

MOGADISCIO, 9 sep (IPS) – Des groupes armés retiennent l'aide et empêchent les réfugiés somaliens frappés par la famine de quitter les camps pour s’assurer de la fourniture continue de vivres offerts par les agences humanitaires, qu'ils vendent actuellement sur le marché libre.

Depuis que Mohamed Elmi, 69 ans, et sa famille sont arrivés dans un camp pour réfugiés de famine à Mogadiscio, ils ont à peine obtenu assez à manger. Les hommes armés qui gèrent le camp volent leur nourriture et les empêchent de partir chercher de l'aide ailleurs, déclare-t-il.

Elmi a confié à IPS que cela se produit parce que les agences humanitaires livrent les vivres aux gens qui dirigent le camp pour être distribuées, pas aux victimes de la famine mais entre eux-mêmes. Et ils sont empêchés de quitter parce que cette aide ne sera plus fournie aux camps s'ils le font.

“Je ne sais pas qui dirige ici, mais nous l'avons dit à maintes reprises que les contremaîtres (du camp) ne nous ont jamais, jamais rien donné. Qu'ils me tuent s'ils veulent. Nous ne pouvons pas quitter ici pour trouver un meilleur endroit”, a indiqué à IPS, un Elmi émancipé. Il a demandé à IPS de ne pas publier le nom de son camp, car il craint pour sa sécurité.

Des dizaines de milliers de Somaliens désespérément affamés, déplacés du sud frappé par la sécheresse, ne reçoivent pas l'aide alimentaire qui leur est destinée. Des hommes armés ont installé des camps de réfugiés officieux à Mogadiscio juste pour voler les vivres offerts par les agences humanitaires. Ces vivres seraient en train d’être vendus sur les marchés locaux.

Il y a des douzaines de camps avec des milliers de familles à Mogadiscio, la capitale de la Somalie criblée de balles. Tous ne sont pas des camps officiels. Ils sont souvent dirigés par des hommes des milices claniques locales qui détournent les victimes de la famine qui entrent dans la ville vers les 'camps' qu’ils ont créés dans des bâtiments abandonnés.

C'est ce qui est arrivé à Mahad Iyo, 54 ans, qui est venu à Mogadiscio à la recherche d'une aide en août.

Iyo a dit que lui et d'autres personnes déplacées ont marché pendant des jours pour atteindre Mogadiscio. A l'entrée de la ville, ils ont été accueillis par des groupes armés qui les ont orientés vers un bâtiment public désaffecté. Le bâtiment était rempli de réfugiés qui y avaient construit des tentes de fortune utilisant des bâtons et de vieux habits déchirés.

“Ils veulent nous utiliser pour leur propre profit”, déclare maintenant Iyo à propos des hommes qui lui ont si ardemment proposé l’aide quand il est arrivé. “Nous ne sommes pas enregistrés pour l'aide et ne bénéficions pas d’une assistance régulière. Les vivres et autres produits essentiels sont amenés dans le camp par les agences, mais ils sont rapidement emportés par les contremaîtres”, a déclaré Iyo.

Il a affirmé qu'il préférerait quitter le camp et retourner dans son village, dans le sud de la Somalie, où il serait “mieux de mourir”.

Mohamed Nur, chef d’une ancienne milice clanique, dirige l'un des nombreux camps à Mogadiscio et il a accepté de parler à IPS pour “mettre les choses au clair”.

Nur a admis qu'il n'a aucune expérience du travail humanitaire et qu'il n'était pas nommé à la tête du camp, ni par le gouvernement ni par les agences humanitaires. Il a dit qu'il avait pris la responsabilité lui-même “après avoir vu l'afflux de compatriotes somaliens désespérés”.

“Qui fera ce travail si nous ne nous levons pas pour le faire? Le gouvernement est corrompu et les agences humanitaires ne connaissent pas nos gens mieux que nous. Nous avons donc mis en place ce camp de 20.000 personnes, mais les agences humanitaires n’ont jamais amené assez de nourriture pour nos gens”, a affirmé Nur à IPS. Il était flanqué de Kalachnikov, montrant des hommes armés à l’extérieur de ce camp d'à peine 2.000 personnes.

Nur a indiqué qu’il ne tient pas un registre des habitants du camp ou des livraisons de vivres puisque lui et ses “co-volontaires” n'ont pas de temps pour un “travail de bureau inutile”. Il a ajouté que ni le gouvernement ni les agences humanitaires ne lui demandent de remplir un quelconque document.

Nur a nié que lui ou d'autres volent l'aide. Mais beaucoup de gens dans le camp de Nur se sont plaints à IPS du manque d'assistance et de vivres.

Abdullahi Mohamed Shirwa, le chef de la 'Disaster Management Agency' (Agence de gestion des catastrophes), du gouvernement, qui coordonne les efforts humanitaires afin d’aider les victimes de la famine à Mogadiscio, a déclaré que l'agence “faisait tout pour faire face au problème et nous le prenons au sérieux”. Il a ajouté qu'il n'y avait que des incidents isolés de vol de l'aide alimentaire.

“Lorsque des catastrophes de cette ampleur surviennent, les efforts pour l’aide humanitaire sont souvent mal organisés et il faut du temps pour faire face à de tels problèmes, mais mon agence travaille dur à faire tout pour s’attaquer à la question et nous prenons cela au sérieux”, a affirmé Shirwa à IPS.