Éducation Sans Délai s’entretient avec Karina Gould, Ministre du Développement International du Canada

5 mars 2021 – L’Honorable Karina Gould a été élue pour la première fois en tant que députée de Burlington en 2015.

Diplômée de l’Université McGill et de l’Université d’Oxford, la ministre Gould est passionnée par la fonction publique et le développement international. Avant son élection en tant que députée de Burlington, elle a travaillé comme spécialiste du commerce et de l’investissement pour la Commission Mexicaine du Commerce à Toronto, consultante pour le Programme de Migration et de Développement à l’Organisation des États américains à Washington, DC, et a passé un an à faire du bénévolat dans un orphelinat au Mexique.

La ministre Gould a des racines profondes dans sa ville natale de Burlington, en Ontario, et est un membre actif de la communauté et une défenseure des problèmes des femmes et du logement abordable. Elle a fait du bénévolat et soutient activement le Iroquoia Bruce Trail Club, la section de Burlington de la Fédération Canadienne des Femmes Diplômées des Universités, la Mississauga Furniture Bank, Halton Women’s Place et d’autres organisations locales.

La ministre Gould vit à Burlington avec son mari Alberto et son fils Oliver.

Avec la naissance d’Oliver, le ministre Gould est devenu le premier ministre fédéral à avoir un bébé tout en occupant ses fonctions. Elle est passionnée par l’élimination des barrières pour les femmes, les jeunes et les groupes sous-représentés.

ÉSD: En tant que ministre du Développement International du Canada et membre clé du groupe de pilotage de haut niveau de l’ ÉSD, pourriez-vous s’il vous plaît préciser l’importance de lier l’intervention humanitaire d’urgence au développement pour parvenir à une éducation de qualité pour les enfants et les jeunes vulnérables dans les pays touchés par un conflit armé, les déplacements forcés et les catastrophes naturelles ?

Karina Gould: Les enfants et les jeunes touchés par les conflits armés, les déplacements forcés et les catastrophes naturelles, ainsi que leurs familles, nous ont dit que l’éducation était une priorité pour eux. Et nous savons que l’éducation dans les situations d’urgence est une question qui fonctionne idéalement dans les réponses humanitaires et de développement.

Travailler à travers le lien humanitaire-développement-paix est essentiel pour garantir que les besoins éducatifs à la fois immédiats et à long terme soient satisfaits. En travaillant selon une approche de liaison, nous reconnaissons que la réponse immédiate des acteurs humanitaires est vitale pour garder les enfants engagés et protégés, tandis que la vision à long terme de la communauté du développement est essentielle pour maintenir les acquis vers l’ODD 4 et pour renforcer les systèmes éducatifs et les rendre plus résilients aux crises à l’avenir.

L’éducation est souvent la première chose qui est perturbée et la dernière chose à reconstruire en cas d’urgence. Malgré l’importance de maintenir un système d’éducation de qualité, en particulier dans les situations humanitaires prolongées, l’éducation n’est toujours pas suffisamment prioritaire pour un financement humanitaire immédiat et les acteurs du développement doivent faire plus pour soutenir des systèmes éducatifs nationaux résilients qui garantissent que l’éducation n’est pas perturbée. C’est pourquoi le Canada soutient des organisations comme Éducation Sans Délai, qui est en train de devenir un chef de file en démontrant comment les programmes d’éducation peuvent être mis en œuvre rapidement et efficacement dans l’espace du lien humanitaire-développement-paix.

ÉSD : Le Canada est un ardent défenseur du multilatéralisme pour relever les défis et les opportunités du monde. Avec près de 80 millions de personnes déplacées de force dans le monde, dont 26 millions de réfugiés, Éducation Sans Délai consacrera sa première intervention d’urgence à l’éducation des réfugiés dans ses prochaines actions de réponse au COVID-19 ce mois-ci. Comment voyez-vous les progrès de l’ÉSD jusqu’à présent dans la réponse au COVID-19 et comment pouvons-nous renforcer les efforts collectifs pour offrir une éducation de qualité aux populations déplacées de force, qui sont souvent les plus laissées pour compte?

Karina Gould: La pandémie du COVID-19 a mis en évidence à quel point nous sommes tous connectés les uns aux autres à travers le monde. Au plus fort de la pandémie, 164 pays avaient fermé leurs écoles, ce qui touchait 1,4 milliard d’élèves dans le monde, soit plus de 90% des apprenants du monde. Cela s’ajoute aux populations déjà marginalisées telles que les réfugiés et les personnes déplacées à l’intérieur du pays qui n’avaient pas auparavant un accès constant à une éducation de qualité.

Au cours des derniers mois, le monde s’est réuni pour essayer d’arrêter la propagation du virus. Nous avons partagé des idées novatrices sur la manière de rendre l’éducation et l’apprentissage plus accessibles à ceux qui ont vu leur éducation interrompue, afin d’assurer une continuité d’apprentissage pour tous. Ces solutions sont rendues plus efficaces et amplifiées lorsque nous travaillons en partenariat, y compris par le biais de nos grandes institutions multilatérales comme Éducation Sans Délai.

J’ai été impressionnée par la réponse d’Éducation Sans Délai à la pandémie de COVID-19, y compris la rapidité avec laquelle ils ont répondu à la crise lors du premier cycle de financement COVID-19, et l’engagement de focaliser le deuxième cycle de financement sur l’éducation pour les réfugiés, en particulier les adolescentes. Il s’agit d’un groupe d’enfants et de jeunes qui sont souvent laissés pour compte et qui sont touchés de manière disproportionnée par les perturbations de l’éducation dues au déplacement, et maintenant encore plus à cause du COVID-19. Il est important que nous prenions ce temps pour renforcer nos efforts pour garantir que ces populations marginalisées restent une priorité dans notre réponse mondiale à la pandémie du COVID-19. Ces groupes ne doivent pas être oubliés.

Nous pouvons renforcer nos efforts collectifs pour offrir une éducation de qualité aux populations déplacées de force, qui sont souvent les plus laissées pour compte, en continuant à travailler par le biais d’organisations multilatérales comme Éducation Sans Délai et en assurant une forte coordination avec d’autres partenaires sur le terrain, y compris d’autres partenaires multilatéraux, la société civile et les organisations locales de réfugiés.

En janvier, je me suis rendue au Congo et en RDC et j’ai été témoin de l’important travail que les organisations partenaires de l’ÉSD comme War Child Canada accomplissent sur le terrain pour soutenir l’amélioration de l’accès à l’éducation des réfugiés et des personnes déplacées, en particulier les filles. Leur programme radiophonique permet aux adolescentes et adolescents de poursuivre leur apprentissage pendant les fermetures d’écoles en transmettant des leçons et en permettant aux apprenants d’accéder aux enseignants par le biais de lignes d’assistance dédiées. Il y a même des périodes de questions et réponses pour garder les choses dynamiques et garder les jeunes engagés dans l’apprentissage. J’ai vu comment ces initiatives font une différence sur le terrain, et c’est en s’appuyant sur ces partenariats que nous pouvons maximiser notre capacité à atteindre les enfants et les jeunes les plus marginalisés, en particulier les filles, les réfugiés et les enfants déplacés, pour nous assurer qu’ils ont les opportunités qu’ils méritent.

ÉSD : Éducation Sans Délai apprécie abondamment le soutien continu du Canada pour répondre aux besoins éducatifs des enfants et des jeunes pris dans des situations d’urgence et des crises prolongées – y compris la nouvelle contribution du Canada de 5,5 millions de dollars canadiens il y a quelques jours, et la Déclaration de Charlevoix pour renforcer l’éducation des filles en situations d’urgence. ÉSD s’engage à faire en sorte que 60% de nos bénéficiaires soient des filles. En tant que fervente défenseure de l’éducation des filles, pourquoi est-il si important pour les filles, y compris les réfugiées et les adolescentes, d’avoir accès à l’éducation dans les situations de crise?

Karina Gould: Les filles et les adolescentes sont confrontées à un ensemble unique et supplémentaire de défis qui limitent leurs chances d’accéder et de terminer une éducation. Ces défis comprennent la pauvreté, les rôles inégaux entre les sexes au sein du ménage et à l’école, la violence sexiste et les environnements et programmes scolaires qui perpétuent les inégalités. Dans les contextes de crise, ces obstacles à l’éducation des filles peuvent être encore plus enracinés, les filles étant 2,5 fois plus susceptibles d’être déscolarisées que les garçons.

Par le biais de la Politique d’aide internationale féministe (FIAP), le Canada reconnaît que l’égalité des sexes est essentielle à la réalisation des Objectifs de Développement Durable. L’accès à l’éducation est un moyen d’atteindre cet objectif. Il peut réduire considérablement la pauvreté, offrir de meilleures opportunités économiques et améliorer les résultats en matière de santé tels que la santé maternelle et infantile, protéger les femmes et les filles de l’enfance, les mariages précoces et forcés et fournir des services essentiels de santé sexuelle et reproductive qui peuvent permettre aux femmes de s’engager dans une planification familiale améliorée.

Pourtant, l’accès n’est qu’une partie de la solution. Nous devons également nous assurer qu’une fois que les enfants sont à l’école, ils apprennent. Un enseignement et un apprentissage de qualité et faire en sorte que les écoles soient des lieux sûrs pour les enfants, en particulier les filles, sont tout aussi importants et nécessitent des efforts et des ressources supplémentaires, en particulier pendant une crise. Veiller à ce que les enseignants soient bien formés et équipés pour instruire les enfants qui ont vécu ou vivent une crise; que les programmes d’études et les matériels d’apprentissage reflètent les réalités culturelles pertinentes et ne perpétuent pas les normes négatives de genre; et que les filles et les garçons aient accès à une hygiène adéquate et des installations WASH (Eau, Assainissement et Hygiène) sont toutes nécessaires pour garder les enfants engagés et pour que les familles continuent à voir l’intérêt d’envoyer leurs enfants, en particulier leurs filles, à l’école. C’est pourquoi le Canada, en tant que président du G7 en 2018, a soutenu la Déclaration de Charlevoix sur une éducation de qualité pour les filles, les adolescentes et les femmes des pays en voie de développement en vue de relever davantage ces défis afin de garantir que les filles – en particulier celles touchées par les crises et les conflits – aient accès à une éducation de qualité.

Je pense personnellement qu’il est essentiel que les filles, y compris les filles réfugiées et déplacées, ainsi que les adolescentes, aient accès à l’éducation dans les situations de crise.

ÉSD : Avant de devenir ministre du Développement International, vous avez été nommée ministre des Institutions démocratiques en 2017 par le premier ministre Justin Trudeau, devenant ainsi la plus jeune femme ministre de l’histoire du Canada. Toutes nos félicitations! Vous êtes une inspiration et un modèle pour les filles et les femmes du monde entier. Quel message et quels conseils aimeriez-vous partager avec les filles qui font face à des défis en matière d’éducation – y compris la pandémie de COVID-19 – pour réaliser leurs espoirs et leurs rêves?

Karina Gould: Mon message aux filles du monde entier confrontées à des défis éducatifs serait le suivant:

« Vous le valez bien. Je sais que c’est difficile et que vous êtes confrontées à de nombreux défis. Mais il vaut de la peine de se battre pour vos espoirs et vos rêves. Vous avez tellement à offrir au monde. Vous et votre voix et votre expérience comptent. Le monde a besoin que vous continuiez à étudier, à rêver, à pousser pour ce que vous voulez voir dans le monde. »

ÉSD : Nous aimerions en savoir un peu plus sur vous à un niveau personnel. Pouvez-vous nous dire quels sont les trois livres qui vous ont le plus influencée (ou que vous recommanderiez à d’autres de lire) et pourquoi? Nous aimerions également savoir quel genre de musique vous donne de l’énergie et de la motivation pour relever les défis auxquels vous êtes confrontée en tant que ministre. Enfin, y a-t-il une (ou deux) citation inspirante ou motivante vers laquelle vous vous tournez souvent dans la vie?

Karina Gould: Une de mes citations préférées est de Margaret Mead. «Ne doutez jamais qu’un petit groupe de citoyens réfléchis et engagés puisse changer le monde. En effet, c’est la seule chose qui l’ait jamais fait. »

Il était difficile de ne choisir que trois livres, voici donc mes quatre meilleurs!

To Life (À la vie), par Ruth Minsky Sender

J’ai lu ce livre en 7e année, j’avais 12 ans. En tant que petite-fille de survivants de l’Holocauste, ce livre m’a ouvert les yeux sur les expériences de ma propre famille. Cela m’a aidée à parler à ma grand-mère et à comprendre ce que c’était que d’être un survivant et de devoir reprendre et recommencer la vie après avoir vécu un traumatisme et une perte inimaginables. C’est un récit incroyable de perte, de tragédie, de force, de courage et de renouveau.

Half the Sky (La moitié du ciel), par Nicholas Kristoff et Sheryl WuDunn

J’ai toujours été féministe. J’ai toujours cru à la recherche et à la lutte pour l’égalité. Mais ce livre m’a réveillée aux différents inconvénients auxquels les femmes sont confrontées dans le monde. Jusqu’à ce que je lusse ce livre, je ne comprenais pas à quel point l’accouchement était dangereux pour la majorité des femmes dans le monde. J’ai tellement appris et cela m’a donné envie d’en apprendre encore plus. Ce livre m’a mis sur la voie de la lutte pour les droits des femmes et la santé des femmes dans le monde.

What is the What (Quel est le quoi), par Dave Eggers

Il s’agit d’une biographie fictive de Valentino Achak Deng, l’un des «garçons perdus» du Soudan. Ce livre a enflammé ma passion pour la protection des enfants contre les ravages de la guerre, la construction d’un monde plus compatissant et la lutte pour les droits des réfugiés. Cela m’a également conduit à explorer des livres sur l’Afrique écrits par des Africains, qui m’ont ouvert un tout nouveau monde littéraire.

Série Anne of Green Gables, par Lucy Maud Montgomery

C’était l’une de mes séries préférées en tant qu’enfant, écrite par un grand auteur canadien!

ÉSD : Y a-t-il des commentaires ultimes que vous souhaiteriez partager avec le public mondial de l’ÉSD sur l’importance de l’éducation des enfants réfugiés dans les situations d’urgence, ainsi que sur l’importance non seulement de donner la priorité à l’éducation dans les contextes humanitaires, mais aussi de fournir une éducation de qualité avec « l’urgence redoutable de maintenant », plutôt que d’attendre la fin de la crise?

Karina Gould: Lorsque les écoles ont fermé en raison de la pandémie de COVID-19, le monde s’est rapidement mobilisé pour garantir – au mieux de nos capacités – que nous nous focalisions sur la continuité de l’apprentissage pour les enfants non scolarisés. Ce que je voudrais répéter, c’est que nous devons nous souvenir des populations vulnérables, y compris les réfugiés et les enfants déplacés, qui n’étaient pas à l’école avant la pandémie et qui n’ont jamais eu accès à une éducation de qualité. Ces enfants méritent la chance d’apprendre et ne doivent pas être laissés pour compte.