ETATS-UNIS: Le budget de la défense peut accroître alors que le public est fatigué de la guerre

WASHINGTON, 24 oct (IPS) – Malgré la lassitude persistante du public par rapport à la guerre, le budget de la défense des Etats-Unis – de loin le plus grand du monde – peut être appelé à augmenter de nouveau, selon une nouvelle étude publiée il y a une semaine par le 'Center for International Policy' (Centre pour la politique internationale – CIP).

Cette étude de 41 pages intitulée “Quelque chose dans l'air: l’'isolationnisme', les dépenses de la défense, et l'humeur du public américain”, conclut que le moment politique actuel ressemble à ceux de 1978 et 1982 et entre la période allant de 1998 à 2001 lorsque les dépenses pour la défense ont grimpé après des périodes de baisses substantielles.

Comme aujourd'hui, les anciens présidents (Jimmy Carter et Bill Clinton, respectivement) semblaient politiquement affaiblis par des troubles internes; le débat sur la politique étrangère était dominé par des perceptions que les Etats-Unis ne parvenaient pas à faire face efficacement aux nouveaux défis à l'étranger; et les démocrates sortants au Congrès confrontés à une réélection ont adopté des positions plus bellicistes.

“Déjà la première candidate démocrate à la présidence se positionne à droite de l'administration [Barack] Obama sur les questions de politique étrangère”, a écrit l'auteur de l'étude, Carl Conetta, en référence à l'ancienne secrétaire d'Etat, Hillary Clinton. “Cela va déplacer les médias et le discours des experts dans une direction plus belliciste”.

Bien que ces facteurs, ainsi que les avertissements des chefs militaires et de leurs partisans au Congrès par rapport à une “disparition” des forces armées du pays, soient compatibles avec des précédents historiques, le public peut encore résister à des budgets militaires élevés en raison de la lenteur de la relance économique, selon Conetta, un ancien analyste des questions de la défense qui dirige Projet pour des alternatives en matière de défense du CIP.

Mais même si le budget pour la défense augmentera au cours des prochaines années, il ne devrait pas être considéré comme un mandat populaire pour l'activisme militaire, en particulier pour des engagements militaires prolongés d'un grand nombre de troupes au sol compte tenu de la désillusion persistante du public avec les guerres en Irak et en Afghanistan, selon Conetta. Il a noté que près de 15 ans se sont écoulés entre la fin de la Guerre du Vietnam et le ralliement du public derrière une opération militaire de grande envergure: la première Guerre du Golfe en 1991.

Cette étude, qui comprend une analyse approfondie des données de sondage au cours des dernières décennies, ainsi que les tendances dans les dépenses pour la défense, arrive moins d'un mois avant les élections de mi-mandat du Congrès. Les républicains, qui sont devenus nettement plus bellicistes qu’il y a tout juste un an lorsque beaucoup d'entre eux se sont opposés aux représailles de l’armée américaine pour l'usage des armes chimiques en Syrie, sont censés prendre le contrôle du Sénat, et de conserver leur majorité à la Chambre des représentants.

Elle vient également à un moment où l'administration Obama a du mal à faire face à un certain nombre de défis difficiles en matière de politique étrangère – plus récemment, le conflit entre la Russie et l'Ukraine et, de façon plus spectaculaire, les gains alarmants de l'Etat islamique d'Irak et du Levant (EIIL) en Irak et en Syrie et sa brutalité largement diffusée contre les minorités et les captifs occidentaux (notamment, les décapitations de journalistes américains et des travailleurs humanitaires) – contre lequel un président réticent s'est senti obligé de réagir par des frappes aériennes et l'envoi de centaines de conseillers américains.

En outre, l'inquiétude croissante au sujet de la pandémie à virus Ebola en Afrique de l'ouest et son éventuelle propagation dans le pays ont contribué à une baisse apparente de la confiance du public dans le leadership d'Obama.

Ces événements ont enhardi les néoconservateurs et autres faucons – la plupart républicains – qui ont longtemps critiqué Obama pour le fait qu’il “dirige depuis le derrière”, sa faiblesse et sa “complaisance” à faire face à des adversaires présumés, et même pour l '”isolationnisme” – pour amplifier ces frais avant les élections de novembre.

Ils ont également encouragé les anciens officiers supérieurs de l'armée, en particulier ceux qui sont employés par de grands entrepreneurs militaires, à demander le rétablissement des récentes compressions opérées dans l’armée.

Alors que les dépenses pour la défense sont actuellement en baisse d'environ 21,5 pour cent en termes réels de près de 800 milliards de dollars en 2008, elles représentent encore près de 40 pour cent des dépenses militaires mondiales et quatre pour cent du produit intérieur brut (PIB) des Etats-Unis, soit deux fois la moyenne du pays pour le reste des nations du monde.

Les sondages indiquent depuis des décennies que le public est en conflit sur le rôle de Washington dans le monde: d'une part, des majorités durables ont longtemps soutenu l'idée que les Etats-Unis devraient être la première puissance militaire au monde; d'autre part, des majorités fortes ont également fortement rejeté le rôle de “gendarme du monde”, préférant plutôt une approche coopérative multilatérale par rapport aux questions de politique étrangère dans laquelle la puissance militaire et l'action unilatérale devraient être utilisées seulement comme un “dernier recours” .

Selon Conetta, ces points de vue ne sont pas mutuellement contradictoires et ont été relativement constants au fil du temps. “Le public voit la supériorité militaire comme un moyen de dissuasion et une police d'assurance, pas un chèque en blanc pour l'activisme militaire”, a indiqué Conetta.

Des sondages approfondis menés depuis plusieurs années, entre autres, par 'Pew Research Center', le Conseil de Chicago sur les affaires mondiales, et Gallup, ont montré que le public américain se rassemblera de façon fiable en appui d'une réponse énergique aux violentes attaques contre les citoyens ou des intérêts vitaux américains et, au moins théoriquement, en cas de massacres ou de génocide.

D'autre part, ils ont montré que le public s'oppose généralement à l'intervention dans la plupart des guerres interétatiques ou civiles tiers. Et malgré l’enthousiasme initiale – mais qui diminue rapidement – pour un “changement de régime” en Afghanistan et en Irak, le public a fini par s'opposer à ces efforts ou la “construction d’une nation armée”, surtout s’ils sont menés de manière unilatérale, selon Conetta.

“Le soutient actuel aux bombardements des positions de l’EIIL en Irak et en Syrie est compatible avec (ces) limites”, a noté son étude, ajoutant que ce soutien est presque sûr de vaciller “si la mission s’intensifie ou échoue à montrer des progrès réels”.

Contrairement aux points de vue du public, cependant, les élites de la politique étrangère ont constamment exprimé leur soutien à la domination, ou la “primauté” militaire américaine, et à plus d’activisme militaire, selon Conetta. Cela a créé un fossé entre le public et le leadership national qui, à l'ère post-Guerre Froide, s'est rétréci seulement dans les années qui ont suivi immédiatement la première Guerre du Golfe et les attaques terroristes de 11 septembre 2001, mais qui s’est depuis élargi plus que jamais au cours de la dernière décennie, malgré le soutien fort des attaques américaines sur l’EIIL.

Alors qu’un sondage plus récent montre une pluralité en faveur de la poursuite de la réduction des dépenses du Pentagone, selon l'étude, “cela pourrait bientôt changer”, en particulier dans la perspective de l'élection présidentielle en 2016, compte tenu de la facilité avec laquelle les acteurs politiques bellicistes ont historiquement cadré le débat public, selon l'étude.

“Un stratagème fréquent, c’est de cadrer le débat sur les questions budgétaires en termes de prévention d'une 'armée vide'. L’autre [stratagème], c’est l’utilisation des métaphores de la Seconde Guerre mondiale – des références faites à Hitler, Munich, et à l'isolationnisme – pour cerner les défis de sécurité actuels et les niveaux plus élevés de dépenses pour la défense”, a écrit Conetta.

Ces thèmes, a-t-il ajouté, “sont désormais pleinement dans le jeu – présentant (le président syrien Bachar al-) Assad et (le président russe Vladimir) Poutine comme Hitler, mettant en garde contre une répétition de la “conciliation comme à Munich, et considérant le sentiment non-interventionniste comme 'isolationniste'”.

Toutefois, ce n'est pas certain qu'ils prévalent, étant donné les préoccupations économiques persistantes de la plupart des électeurs américains et si l'électorat perçoit l'élite de la politique étrangère comme allant trop loin encore, comme elle l’a fait en Afghanistan et en Irak.

Le blog de Jim Lobe sur la politique étrangère des Etats-Unis peut être consulté sur Lobelog.com. L’auteur peut être contacté à ipsnoram@ips.org Edité par Kitty Stapp Traduit en français par Roland Kocouvi