ENVIRONNEMENT: Des ONG opposées à l’agriculture intelligente face au climat

NATIONS UNIES, 24 sep (IPS) – En marge du Sommet de l'ONU sur le climat fortement médiatisée, l'Alliance mondiale pour une agriculture intelligente face au climat a annoncé des plans visant à protéger quelque 500 millions de fermiers dans le monde entier du changement climatique et “à aider à atteindre des augmentations durables et équitables de la productivité agricole et des revenus”.

Mais cette annonce faite par cette alliance qui comprend plus de 20 gouvernements, 30 organisations et entreprises, y compris les entreprises McDonald’s et Kelloggs – qui figurent dans le magazine Fortune 500 – a été accueillie avec appréhension par une coalition de plus de 100 organisations de la société civile (OSC).

Il s'agit d'un geste déloyal, a averti la coalition, qui “a rejeté” l'annonce comme étant “une initiative trompeuse et profondément contradictoire”.

“L'Alliance mondiale pour une agriculture intelligente face au climat n’apportera pas les solutions dont nous avons tant besoin d’urgence. L'agriculture intelligente face au climat fournit plutôt une plate-forme dangereuse pour les entreprises de mettre en œuvre les activités auxquelles nous nous opposons”, a déclaré la coalition.

“En approuvant les activités des pires contrevenants de la planète en matière du climat dans l'agro-industrie et l'agriculture industrielle, l'Alliance compromettra les objectifs mêmes qu'elle prétend viser”.

Les 107 OSC incluent ActionAid International, 'Friends of the Earth International' (Amis de la terre – international), la Fédération internationale des mouvements pour une agriculture biologique, l'Alliance d’Asie du sud pour l'éradication de la pauvreté, 'Third World Network', la plate-forme de la Bolivie sur les changements climatiques, 'Biofuel Watch' et le Réseau national sur le droit à l’alimentation.

Le secrétaire général, Ban Ki-moon, qui a donné sa bénédiction à l'Alliance mondiale, a déclaré: “Je suis heureux de voir l'action qui permettra d'accroître la productivité agricole, de renforcer la résilience des agriculteurs et de réduire les émissions de carbone”.

Ces efforts, a-t-il dit, permettront d'améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle pour des milliards de personnes.

Avec la demande pour les aliments censée augmenter de 60 pour cent d'ici à 2050, les pratiques agricoles se transforment pour relever le défi de la sécurité alimentaire pour 9 milliards de personnes dans le monde tout en réduisant les émissions, a-t-il affirmé.

Mais la coalition a indiqué: “Bien que certaines organisations se soient engagée de bonne foi de manière constructive depuis plusieurs mois avec l'Alliance mondiale pour exprimer de sérieuses préoccupations, ces inquiétudes ont été ignorées”.

Plutôt, l'alliance “est en train d’être clairement structurée afin de servir les intérêts des grandes entreprises, pas pour résoudre la crise climatique”, a déclaré la coalition.

La coalition a également souligné que des entreprises ayant des activités entraînant des impacts sociaux désastreux sur les agriculteurs et les communautés, telles que celles qui mènent l'accaparement des terres ou font la promotion des semences génétiquement modifiées (GM), affirment déjà qu'elles sont intelligentes face au climat.

Yara (le plus gros fabricant d'engrais au monde), Syngenta (semences GM), McDonald, et Walmart sont toutes à la table intelligente face au climat, a-t-elle ajouté. “L'agriculture intelligente face au climat servira d’un nouvel espace de promotion pour les pires contrevenants aux plans social et environnemental de la planète dans le secteur agricole”.

“L'Alliance mondiale proposée pour une agriculture intelligente face au climat semble être encore une autre stratégie des acteurs puissants pour soutenir l'agriculture industrielle, qui sape le droit humain fondamental à l'alimentation. Ce n'est rien de nouveau, rien de novateur, et pas ce dont nous avons besoin”, a déclaré la coalition.

Meenakshi Raman, coordinatrice du Programme sur les changements climatiques à l’organisation 'Third World Network', basée en Malaisie, a dit à IPS que les marchés des semences, des produits agrochimiques et de la biotechnologie du monde sont dominés par quelques méga entreprises.

Elle a indiqué que ces entreprises veulent à tout prix maintenir les systèmes de monoculture qui sont à forte intensité de carbone et dépendent de contributions externes.

“Ces entreprises feront tout leur possible pour maintenir leur domination du marché et empêcher la vraie agro-écologie de gagner du terrain dans les pays”, a-t-elle souligné.

Il est essentiel que de telles pratiques oligopolistiques soient interdites et réglementées, a préconisé Raman. “D'où la nécessité pour une révision radicale des systèmes déloyaux actuels avec une vraie réforme au niveau international”.

En attendant, le Groupe consultatif sur la recherche agricole internationale (GCRAI), basé à Washington, a dit que les principaux experts de l'agriculture du monde ont indiqué qu’empêcher les changements climatiques d'endommager la production alimentaire et de déstabiliser certaines des régions les plus instables du monde, nécessitera qu’il faut atteindre au moins un demi-milliard de fermiers, pêcheurs, éleveurs de bétail et de forestiers.

L'objectif est de les aider à apprendre des techniques agricoles et obtenir des technologies agricoles qui leur permettront de s'adapter à des conditions de production plus stressantes et de réduire aussi leurs propres contributions aux changements climatiques, a expliqué le GCRAI.

Ces chercheurs travaillent déjà avec des agriculteurs en Afrique subsaharienne et en Asie du sud afin d’affiner de nouvelles technologies et techniques orientées vers le climat à travers des laboratoires essentiellement extérieurs pour des innovations appelées 'villages intelligents face au climat'.

L'approche de ces villages pour développer des solutions aux changements climatiques se révèle extrêmement populaire auprès de toutes les parties impliquées, et aujourd’hui, l'Etat du Maharashtra (112,3 millions d’habitants), en Inde, envisage de créer 1.000 villages intelligents face au climat, a indiqué le GCRAI.

Prié de donner plus de détails, Bruce Campbell, directeur du Programme de recherche du CGIAR sur les changements climatiques, l'agriculture et la sécurité alimentaire (CCAFS), a déclaré à IPS que des pays sous les tropiques seront particulièrement touchés, en particulier ceux qui sont déjà sous-développés, parce que ces pays n'ont pas les ressources nécessaires pour s'adapter et faire face aux conditions météorologiques extrêmes.

Il s'agit notamment de plusieurs pays de la région du Sahel, du Bangladesh, de l'Inde et de l'Indonésie, plus des pays d'Amérique latine.

Prié de dire si ces pays parviennent à faire face à cette crise imminente, il a indiqué qu’il y a de bons cas de succès isolés, mais en général ils ne s’en sortent pas.

Par exemple, on enregistre un succès au Niger où cinq millions d'arbres ont été plantés, ce qui aide à la fois l'adaptation et l'atténuation, mais un nombre important d'autres activités sont nécessaires, a-t-il ajouté.

Raman a déclaré à IPS qu’il existe plusieurs de règles dans l’Accord sur l'agriculture de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) qui menacent l'agriculture à petite échelle et les systèmes agricoles de l'agro-écologie dans le monde en développement.

Elle a dit que les pays développés sont autorisés à fournir des milliards de dollars de subventions à leurs agriculteurs dont les produits sont ensuite exportés et déversés sur les pays en développement, dont les systèmes agricoles sont ensuite déplacés ou menacés avec des produits artificiellement bon marché.

Beaucoup de pays en développement, a-t-elle souligné, ont été également forcés de retirer la protection qu’ils avaient ou ont pour leur agriculture locale, soit à travers l'OMC, les politiques de la Banque mondiale dans le cadre des accords d'ajustement structurel et de libre-échange.

“Ces politiques ne permettent pas aux gouvernements des pays en développement de protéger les petits fermiers et leur agriculture locale”, a-t-elle expliqué.

De telles règles et politiques sont injustes et contraires à l'éthique, et ne devraient pas être autorisées puisqu’elles sapent les petits agriculteurs et les systèmes agro-écologiques, a déclaré Raman.

Edité par Kitty Stapp Traduit en français par Roland Kocouvi L’auteur peut être contacté à l’adresse e-mail: thalifdeen@aol.com