AFGHANISTAN: Pour certains demandeurs d’asile, le voyage s’arrête là où il a débuté

ZARANJ, Afghanistan, 20 sep (IPS) – “Bien sûr que j'ai peur, mais que puis-je faire d’autre éventuellement?”, demande Ahmed, un homme d'âge moyen assis sur le sol recouvert de tapis d'un hôtel situé à l’extrême sud d'Afghanistan. Il est en route pour l'Iran, mais il n’a encore aucune idée de quand ou comment il traversera la frontière.

Agé de 40 ans, Ahmed paraît avoir 15 ans plus que son âge réel. Il affirme qu'il n'a aucun moyen de nourrir ses sept enfants en retournant dans sa ville natale de Bamiyan, à 130 km au nord-ouest de Kaboul, la capitale du pays. Etre analphabète constitue encore un autre obstacle majeur pour gagner de l'argent et faire vivre sa famille.

“Nous sommes tous affamés à la maison”, déclare Ahmed à IPS, depuis sa position sur le sol où il se reposera jusqu'à ce que les contrebandiers arrivent finalement. Ça ne saurait durer trop longtemps, dit-il.

“Ils ne passent jamais plus de deux jours ici”, indique Hassan, l'aubergiste, qui préfère ne pas divulguer son nom complet. Il est bien versé dans les détails du voyage imminent d’Ahmed, puisqu’il est celui qui sert d'intermédiaire entre ses 'invités' et les contrebandiers qui – pour une somme importante – facilitent le voyage à travers la frontière.

“Ils seront pris à l'arrière d'un pick-up jusqu’au Pakistan. De là, ils doivent marcher à travers le désert pendant une journée entière jusqu'à la frontière iranienne. Beaucoup n'arrivent même pas là-bas”, indique Hassan à IPS.

Ahmed est juste un autre client d’un des nombreux établissements similaires éparpillés autour de la place principale de Zaranj, à 800 km au sud-est de Kaboul. C'est la capitale de la province reculée de Nimruz en Afghanistan, la seule qui partage des frontières avec l'Iran et le Pakistan.

Aussi appelée 'Map Square' (Place de la carte), en raison d'une carte géante de l'Afghanistan suspendue au sommet d'un énorme piédestal, Zaranj est la dernière escale avant un voyage, dont, dans le meilleur des cas, on se souviendra comme un cauchemar.

Chaque jour, des milliers d'Afghans mettent leur vie dans les mains de mafias qui leur offrent une voie de fuite d'un pays toujours en ébullition, 13 ans après l'invasion américaine en 2001.

En 2011, environ 35 pour cent de la population de l'Afghanistan, estimée environ 30,55 millions d’habitants, vivait en dessous du seuil de pauvreté, une situation qui s’est à peine améliorée aujourd'hui. Le taux de chômage officiel était de sept pour cent la même année, mais l'Organisation internationale du travail (OIT) estime que ce taux pourrait être beaucoup plus élevé.

Ainsi, il n'est pas surprenant que l'Afghanistan soit, après la Syrie et la Russie, le pays d'origine du plus grand nombre de demandeurs d'asile à travers le monde.

Un récent rapport du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a révélé qu’en 2013 seule, environ 38.700 Afghans ont demandé le statut de réfugiés, représentant 6,5 pour cent du nombre total de demandeurs d'asile dans le monde.

Parmi les nombreuses destinations, la Turquie reste de loin la plus populaire, avec 8.700 réfugiés afghans qui ont demandé l'asile dans ce pays en 2013.

D'autres pays industrialisés comme la Suède, l'Autriche et l'Allemagne attirent aussi une bonne partie des Afghans en quête d'une vie meilleure, mais la proximité de l'Iran, couplée avec une langue partagée, fait de ce pays un choix beaucoup plus judicieux.

Toutefois, ce que beaucoup de migrants trouvent à travers la frontière n'a rien à voir avec une accolade chaleureuse d'un voisin gentil.

Point “zéro” Moins de deux kilomètres séparent la Place de la carte de la frontière avec l'Iran. Ce n'est évidemment pas le moyen de se tirer d’affaire pour Ahmed, mais ce sera bien son chemin de retour.

Juste à côté du pont au-dessus du fleuve Helmand, le “terrain vague” entre les deux pays, se trouve le point “zéro”. C'est l'endroit où il est dit à tous les Afghans venant de l'autre côté, soit expulsés ou volontairement, de se faire enregistrer.

A 17 heures, leur nombre atteint presque 500.

“Seulement aujourd'hui, nous avons enregistré 259 personnes expulsées et 211 qui sont venues volontairement”, explique à IPS, Mirwais Arab, chef d'équipe du Service chargé des réfugiés et des rapatriés au niveau du point “zéro”.

“Parmi tous ceux-ci, nous pouvons seulement répondre aux besoins les plus immédiats de 65; nous leur donnons de la nourriture et un abri pour la première nuit et une petite somme d'argent afin qu'ils puissent rentrer chez eux”, ajoute le haut fonctionnaire.

Compte tenu des restrictions numériques, et la limitation de l'assistance disponible, la majorité des migrants continuent de marcher une fois qu'ils se sont fait enregistrer. Ce n'est pas un petit nombre en passant mais un flot constant d'hommes épuisés. Le sentiment d’avoir échoué est écrasant.

Beaucoup d'entre eux, comme les frères Khalil, âgés de 21 et 22 ans, sont très jeunes. Ils déclarent à IPS qu'ils ont atteint l'Iran il y a dix jours, via le Pakistan, après une longue traversée du désert.

Comme beaucoup d'autres, ils ont dû payer une taxe de protection élevée à un groupe affilié aux Taliban pour d’assurer qu'ils puissent passer sains et saufs. Leur retour en Afghanistan n'était pas beaucoup plus facile.

“Nous allions à Téhéran, mais [nous] avons été arrêtés à Iranshahr – 1.500 km au sud-est de la capitale de la Perse. La police nous a battus avec des matraques et des câbles, sur tout le corps, avant de nous ramener à la frontière en bus”, se souvient Abdul, l'aîné des deux, parlant à IPS sur le bas-côté de la route à l'entrée sud de Zaranj.

L'histoire des Arifis est encore plus dramatique. Après avoir atteint Zaranj à partir de Kunduz, située sur la partie la plus septentrionale de l'Afghanistan, ils ont traversé la frontière illégalement. Ils étaient au total cinq, mais l'un d'eux, un enfant de sept ans, n'a pas encore pu rentrer.

Ziaud, 15 ans, fournit à IPS les détails de le calvaire de sa famille.

“Lorsque nous avons été arrêtés par la police iranienne, ils ont traîné mon frère Mohammed et moi-même dans une voiture, et mes parents dans une autre. C'est en ce moment que notre petit frère a disparu”, explique le migrant adolescent.

“Mon père va essayer de repartir aujourd'hui [16 septembre] le chercher”, ajoute-t-il, toujours dans un état de choc.

Najibullah Haideri, chef de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Nimruz, déclare à IPS que l'Iran expulse en moyenne 600 hommes et 200 familles par mois.

En attendant, Ahmadullah Noorzai, chef du bureau du HCR à Zaranj, dit à IPS que la vague des expulsions a commencé il y a six ans.

Dans un rapport publié en 2013, 'Human Rights Watch' (HRW) a souligné que les Afghans, de loin la plus grande population d'expatriés en Iran, sont soumis à une série de mauvais traitements de la part des acteurs étatiques et privés, qui violent les obligations de l'Iran en vertu de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et mettent en danger environ un million d'Afghans reconnus comme réfugiés, ainsi que des dizaines d'autres qui ont fui ce pays déchiré par la guerre.

L'ONG a déclaré que “des milliers de ressortissants afghans, qui sont dans des prisons d’Iran pour des crimes allant du vol à l’assassinat et le trafic de drogue, se voient régulièrement refuser le droit d'accès à des avocats”.

Selon HRW, on croit que des centaines de migrants afghans ont été exécutés au cours des dernières années sans aucune notification aux autorités consulaires afghanes.

“L’obtention d’un visa pour l'Iran coûte environ 85.000 afghanis (environ 1.150 euros)”, explique à IPS, le directeur d'un autre hôtel à Zaranj, qui préfère garder l’anonymat.

“Les prix pour une entrée illégale commencent à partir de 25.000 [afghanis] (environ 330 euros), mais cela dépend toujours de la destination finale. Les plus chères sont Téhéran, Ispahan et Mashad – les plus grandes villes d'Iran. Les migrants ne paient que lorsqu’ils atteignent leur destination finale, donc ils essayeront encore et encore jusqu'à ce qu'ils y arrivent, ou jusqu'à ce qu'ils soient tués”, ajoute l'aubergiste.

Juste derrière lui, Hamidullah, 43 ans, et son fils Sameem, 17 ans, attendent leur tour pour accéder à une vie meilleure. Il y a des chances qu’ils reviendront sous peu à ce poste frontalier.

Edité par Kanya D’Almeida Traduit en français par Roland Kocouvi