LIBAN: Le Hezbollah a tacitement accepté pour l’amour de la stabilité du pays

BEYROUTH, 7 août (IPS) – Les inquiétudes concernant le soutien pour une armée nationale qui collabore avec une 'organisation terroriste' au Liban ont été récemment supplantées par des menaces inhérentes à un conflit régional croissant.

Le fait que le Hezbollah, officiellement désigné comme une 'organisation terroriste' par les Etats-Unis et l'Union européenne, ne cache plus son implication dans les combats à la frontière libano-syrienne, apporte peu de différence.

En parcourant la vallée de la Bekaa, dans l’est, des affiches des martyrs du Hezbollah du conflit syrien se disputent l'espace avec celles des imams chiites populaires et du leader du groupe, Hassan Nasrallah.

Sur une affiche que ce correspondant de IPS a vue lors d'un récent voyage dans la région, le visage de Nasrallah et celui d'un autre leader politique chiite encadrent celui du président syrien, Bachar Al-Assad, avec l'écriture "voici ce que sont les héros".

Le 26 juillet, le 'Parti de Dieu' a annoncé dans un communiqué que le neveu de Nasrallah, Hamzah Yassin, avait été tué en remplissant son “devoir jihadiste à défendre les lieux saints”, insinuant qu'il avait perdu sa vie en combattant en Syrie.

Le soutien des Etats-Unis et d'autres nations pour les Forces armées libanaises (FAL) a longtemps servi de rempart contre la volatilité excessive dans ce petit pays du Moyen-Orient fait de plusieurs confessions. Au même moment, des mesures ont été prises pour éviter qu’il devienne assez fort pour constituer une menace pour Israël, son voisin du sud et allié fort des Etats-Unis.

Le Hezbollah, ennemi juré de 'l’entité sioniste' (pour désigner Israël), continue d'affirmer que son arsenal plus puissant est pour sa lutte contre Israël, alors qu’au même moment davantage de ses moyens et de ses hommes sont dirigés vers la lutte contre les groupes rebelles en Syrie.

Au même moment, il semble gagner plus que jamais plus d'influence dans les politiques et l’armée du Liban.

Yazid Sayigh, associé supérieur à 'Carnegie Middle East Center' à Beyrouth, a déclaré à IPS qu’”on croit que le Hezbollah a beaucoup d'influence sur [la direction] du renseignement militaire en particulier – ce qui aurait du sens puisqu’elle est l'agence la plus sensible qui, potentiellement, contrôle le Hezbollah”.

Sur le fait que le Hezbollah déplace des combattants et des armes à travers la frontière, Sayigh a dit que “le Hezbollah a beaucoup de pouvoir de facto; il agit de façon autonome sur ces questions. Ils doivent avoir une sorte d'accord qui leur permet de ramener leurs personnes mortes et blessées, par exemple”, ou “il se peut qu'ils les déplacent à travers des couloirs que personne, y compris l'armée, n’est autorisé à pénétrer”.

Sayigh a souligné que par rapport aux FAL, le Hezbollah “a des missiles plus lourdes à portée plus longue”.

Toutefois, les FAL bénéficieront, a-t-il souligné, “si le programme actuel de développement marche”, parce que “d’importantes quantités d'armements, des systèmes de transport plus modernes, etc.” leur seront disponibles.

En janvier, l'Arabie Saoudite a promis trois milliards de dollars d'aide et le Groupe international de soutien pour le Liban a promis, lors d'une conférence tenue à Rome en juin, d’offrir davantage de formation, entre autres formes de soutien.

Cependant, l'avantage stratégique clé du Hezbollah reste “son organisation suprême, ses services des renseignements, sa gestion du champ de bataille et la relation étroite entre ses leaders politiques et militaires”, qui constitue ce qui manque aux FAL, selon Sayigh. “On croit qu’il a beaucoup à dire dans le choix, le recrutement et la promotion des officiers chiites dans l'armée”.

Concernant le contrôle des frontières et le trafic d'armes dans certaines régions par les groupes rebelles syriens, il a noté qu'”une fois que le Hezbollah a accepté le déploiement de la police dans ses propres bastions au sud de Beyrouth, il est devenu possible pour l'armée de se déployer davantage le long des frontières nord et est, et d’être un peu plus efficace”.

L'efficacité des FAL est encore affaiblie par des problèmes tels que le rapport soldats-généraux, qui, selon un article publié au début de cette année, s'élève à un peu moins d’un général pour 100 soldats, par rapport à l'armée américaine, qui en octobre 2013 avait un général pour 1.357 soldats.

Cet acteur non-étatique plus efficacement organisé a été plutôt qualifié d’organisation “jihadiste”, et considère ce que font ses combattants qui meurent dans le conflit en Syrie comme leur “devoir jihadiste”.

Prié de dire si le Hezbollah est comparable aux organisations jihadistes sunnites, Sayigh a déclaré qu'”il est une organisation islamiste” mais qu’”il a accepté qu'il ne peut pas construire un Etat islamique au Liban”.

Sayigh a noté que “dans la mesure où ils mobilisent des combattants chiites venus d'Iran ou d'Irak pour aller combattre en Syrie, nous assistons à une forme croissante de djihadisme chiite, l'idée que des gens vont combattre pour la défense de la doctrine chiite, pour protéger les lieux saints chiites. Il y a un sentiment croissant, si vous le voulez, de djihadisme chiite”, mais “le Hezbollah se distingue par son travail dans un cadre politique et militaire beaucoup plus prudent”.

Il a indiqué, toutefois, qu'”ils recrutent de plus en plus en dehors de leurs propres rangs”, montrant un “niveau plus élevé de mobilisation au sein de la communauté chiite. Que ces gens soient payés ou pas n'est pas clair”.

Mustafa Allouch, chef de la branche du parti du Courant du futur à Tripoli et ancien député de la ville, a dit qu’au lieu de cela “beaucoup d'argent est en train d’être payé”.

“Il est dit que le Hezbollah donne 20.000 dollars pour un 'martyr' enterré ouvertement, et 100.000 [dollars] si les parents acceptent de l'enterrer sans funérailles”, a-t-il souligné.

Concernant les Etats-Unis et leur appui financier pour le Liban en général, Sayigh a dit qu'”il semble avoir existé une décision stratégique de continuer à coopérer avec le gouvernement libanais, l'armée libanaise, et d'autres agences même si le Hezbollah est dans un gouvernement d’union”.

“Le pays est fragile et en difficulté économique profonde”, a souligné Sayigh, “et la décision des Etats-Unis a été d’”éviter d’accabler le système libanais jusqu'au point de rupture”.

Toutefois, un employé local d'une agence de l'ONU a exprimé des inquiétudes à IPS – sous le couvert de l'anonymat – que l'autorisation de facto dans plusieurs zones vient du Hezbollah et non du gouvernement lui-même.

Néanmoins, l'armée peut souligner certaines réalisations au cours des derniers mois. En décembre 2013, les FAL ont reçu le mandat de maintenir l'ordre dans la ville libanaise de Tripoli, dans le nord, au milieu de l'escalade rapide de la violence. Lors d'une visite effectuée en juillet par IPS dans la ville, un calme général prévalait et on ne voyait nulle part la plupart des sacs de sable, chars et des troupes déployés en début d'année.

Prié de dire le facteur principal qui a conduit au calme, Allouch a affirmé que “lorsque vous avez un accord politique pour retirer tous les chefs de gangs”, citant les mandats d'arrêt émis contre les dirigeants de la communauté alaouite accusés de crimes, qui ont entraîné leur fuite à travers la frontière avec la Syrie, “vous pouvez réaliser des choses. L’armée impose simplement ce que l'accord politique était”.

Il a noté que bien que le Hezbollah puisse être comparé à bien des égards à un “gang”, on ne peut pas dire que l'armée libanaise “affronte le Hezbollah militairement”.

“Cela finirait par une guerre civile. Et l'armée libanaise elle-même ne tiendrait pas, compte tenu de la situation dans la région. Le Hezbollah n'est pas un problème local [mais] régional”.

Edité par: Phil Harris Traduit en français par: Roland Kocouvi