MONDE: Des perspectives positives pour les prix agricoles mais pas pour les plus pauvres

ROME, 1 août (IPS) – Les perspectives officielles pour l'agriculture jusqu'en 2023 indiquent des prévisions optimistes pour la productivité agricole et les prix des produits de base, mais il est peu probable que ces avantages soient partagés par les plus pauvres du monde.

Ce mélange de bonnes et de mauvaises nouvelles apparaît dans les Perspectives agricoles 2014-2023, publiées conjointement en juillet par l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Les Perspectives agricoles de l'OCDE/FAO examinent les tendances concernant les prix, les habitudes alimentaires et d'autres facteurs d’influence tels que la production et la demande, en plus de l'évaluation des défis politiques majeurs auxquels le secteur est confronté.

Les Perspectives agricoles de cette année, qui constituent les 20èmes du genre, “examinent les chances pour les pays en développement sous l'hypothèse que les conditions météorologiques moyennes et les politiques actuelles persistent”, selon Holger Matthey, un économiste à la Division du commerce et des marchés de la FAO et chef d'équipe pour les Perspectives agricoles.

“Elles donnent un aperçu du marché mondial au cours des 10 prochaines années, supposant qu'il n'y a pas de perturbations”, a indiqué Matthey à IPS.

Les prix des cultures devraient se stabiliser nettement en dessous des pics récents, bien qu’ils restent probablement au-dessus des niveaux avant 2008, tandis que les prix de la viande et des produits laitiers atteindront des niveaux record entre 2013 et 2014.

“Nous sommes très positifs concernant les perspectives agricoles pour les pays en développement parce qu'ils ont les ressources pour accroître la production et sont également censés maintenir de solides taux de croissance en termes de consommation”, a déclaré Matthey.

Sous les hypothèses de ces perspectives, a-t-il ajouté, il a été constaté que “plus de 80 pour cent de la production supplémentaire proviendra des pays en développement et 50 pour cent de la production supplémentaire et de la consommation au cours de la prochaine décennie aura lieu en Asie”.

Mais il existe encore de nombreux obstacles dans la façon de s'assurer que tout le monde peut profiter des avantages de l'augmentation de la productivité agricole.

“Nous sommes toujours confrontés à un défi avec l’accès à la nourriture. Des prix plus élevés des produits alimentaires ont imposé des difficultés indéniables sur les personnes les plus pauvres du monde, qui dépensent une part importante de leurs revenus sur l'alimentation. Ils ont également fait plus de mal que de bien aux fermiers pauvres, qui sont le plus souvent des acheteurs nets d’aliments de base”, a déclaré le secrétaire général de l'OCDE, Angel Gurría, lors du lancement du rapport.

Entre autres, a-t-il indiqué, il est nécessaire “d'étendre la protection sociale pour atténuer les effets des chocs de prix et aider les agriculteurs à gérer les risques et à continuer à investir dans la productivité agricole afin qu’ils puissent répondre efficacement aux signaux de prix”, mais relever ces défis “de manière à la fois inclusive et durable est un défi terrible”.

Les Perspectives agricoles de cette année se concentrent sur le cas de l'Inde, le deuxième pays le plus peuplé au monde qui abrite le plus grand nombre de personnes souffrant d'insécurité alimentaire, pour laquelle le rapport dépeint un scénario “relativement optimiste”, indiquant que le pays “devrait connaître une croissance de la production et de la consommation des aliments”.

En 2013, l'Inde a adopté une Loi sur la sécurité alimentaire nationale (NFSA), élaborée pour assurer un meilleur accès à des aliments adéquats et abordables. La NFSA accorde à plus de 800 millions de personnes 60 kg de céréales par personne chaque année à des prix qui sont 90 pour cent plus économiques que les prix de détail actuels.

Selon le directeur général de la FAO, José Graziano da Silva, la NFSA – le plus grand programme mondial du droit à l’alimentation – est quelque chose qui aura un impact sur la sécurité alimentaire à travers le monde.

Cependant, les Perspectives agricoles préviennent également que la mise en œuvre du programme sera difficile.

“Bien qu'il existe assez d’aliments en cours de production, l'accès à la nourriture, la distribution des vivres et l'utilisation saine des aliments [en termes de régime alimentaire adéquat et d'accès à l'eau potable, d'assainissement et de soins de santé] sont des défis qui demeurent”, a déclaré Peter Kenmore, représentant de la FAO en Inde.

Par exemple, selon le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), 48 pour cent des enfants en Inde sont chétifs du fait d’une malnutrition chronique, une maladie qui a des conséquences de développement physique et mental à long terme, tels que l'affaiblissement du système immunitaire et la diminution de la productivité à l'âge adulte.

Le défi est aussi d'être plus efficace en termes d'infrastructures, y compris le stockage et le transport ainsi que les moyens de livraison.

“Le circuit de la production, l'acquisition, du stockage et de la distribution des aliments à ceux qui n'en ont pas accès, tous effectués localement, comme cela se fait dans plusieurs endroits couverts par le Programme Zéro famine au Brésil, mérite d'être poursuivi”, a préconisé Kenmore à IPS.

Le Programme Zéro famine a été lancé en 2003 par le gouvernement brésilien dans le but d'éliminer la faim et la pauvreté.

Toutefois, Kenmore a prévenu que “le fait que le prix des céréales subventionnés est 90 pour cent moins cher représente également une forte incitation pour les opportunistes d'obtenir ces aliments subventionnés et de les revendre sur le marché libre”.

“Actuellement, il y a des millions de personnes qui bénéficient du Système public de distribution qui est en cours d'extension dans le cadre de la NFSA mais beaucoup ne le sont pas. L’exclusion, la discrimination et la mise en œuvre sous-optimale constituent les principales préoccupations”, a-t-il indiqué à IPS.

Il est nécessaire d'améliorer les mécanismes de reddition de comptes et les mécanismes de revendication pour permettre aux gens de déposer une plainte au cas où ils ne peuvent pas accéder aux aliments subventionnés auxquels ils auraient normalement droit et, a dit Kenmore, ces mécanismes “ne doivent pas être simplement théoriques mais aussi efficaces”.