ENERGIE: La Pologne profite de la crise en Ukraine pour promouvoir le charbon

VARSOVIE, 28 avr (IPS) – Un plan européen concernant 'l’union énergétique' proposé par le Premier ministre polonais, Donald Tusk, comme une réponse de l'Union européenne (UE) à la crise en Ukraine pourrait être un cheval de Troie pour les combustibles fossiles.

En raison de la proximité et des liens historiques profonds de la Pologne avec l'Ukraine, le gouvernement de centre-droit du pays, dirigé par Donald Tusk, a adopté une position importante dans les tentatives visant à calmer la crise en Ukraine. Notoirement, le ministre des Affaires étrangères, Radoslaw Sikorski, a aidé à négocier en février un accord entre le président ukrainien d’alors, Viktor Ianoukovitch, et des leaders de l’Euromaidan, le nom donné aux manifestations pro- UE à Kiev, la capitale de l’Ukraine.

Cette affirmation du gouvernement polonais est venue avec des gains électoraux rapides. Selon un sondage réalisé début-avril par l’agence de sondage 'TNS Polska', la Plateforme civique de Donald Tusk, pour la première fois depuis des années, est en tête dans les préférences des électeurs par rapport au Parti droit et justice de Jaroslaw Kaczynski, un parti conservateur.

“Non seulement la Plateforme civique est de nouveau à la une, mais aussi davantage de Polonais sont prêts à voter et votent pour le gouvernement”, a déclaré à IPS, Lukasz Lipinski, un analyste à 'Polityka Insight', un groupe réflexion à Varsovie, la capitale de la Pologne. “Tous les partis de l'opposition veulent maintenant étendre le débat [avant les élections européennes du 25 mai] aux problèmes intérieures parce que concernant celles-ci, il est beaucoup plus facile de critiquer la Plateforme civique après six années de gouvernement”.

Pourtant, le gouvernement Tusk insiste sur l'Ukraine à cause des avantages que le sujet peut encore offrir. Au cours du dernier weekend du mois de mars, le Premier ministre a annoncé une proposition de la Pologne pour une union européenne de l'énergie qui rendrait l'Europe résistante aux crises comme le conflit entre la Russie et l’Ukraine.

“L'expérience de ces dernières semaines [l'invasion de l'Ukraine par la Russie] montre que l'Europe doit faire des efforts dans le sens de la solidarité quand il s'agit de l'énergie”, a indiqué Tusk à Tychy, une ville dans le sud de la région productrice de charbon de Silésie.

Il a poursuivi en soulignant les six dimensions de 'l'union énergétique': la création d'un mécanisme efficace de solidarité en matière de gaz en cas de crise d'approvisionnement; le financement à partir des fonds de l'UE pour les infrastructures qui assurent la solidarité énergétique, en particulier dans l'est de l'UE; l’achat collectif de l'énergie; la réhabilitation du charbon comme source d'énergie; l’extraction du gaz schiste; et la diversification radicale de la fourniture de gaz à l'UE.

“C’est très décevant de constater l'absence totale de mesures d'efficacité énergétique à partir de cette vision, même si elle figurait au centre des conclusions du Conseil européen sur la Crimée en mars”, a indiqué à IPS, Julia Michalak, chargée de la politique climatique de l'UE à la coalition d'ONG 'Climate Action Network' (CAN) en Europe. “Si la crise de la Crimée n'a pas amené le gouvernement à se rendre compte que l'efficacité énergétique est le moyen le plus simple et le moins coûteux pour assurer une sécurité énergétique réelle pour l'Europe, je ne suis pas sûre de ce qui le ferait”.

Alors que certaines des mesures proposées par Tusk entraîneraient en effet (en supposant qu'elles pourraient être mises en œuvre) un renforcement de la solidarité européenne dans le secteur de l'énergie, demander un rôle important pour le charbon et le gaz de schiste est essentiellement un jeu polonais.

A l'heure actuelle, l'UE ne dispose d'aucune politique commune contraignante sur le gaz de schiste – divers pays européens tels que la France et la Bulgarie ont même des moratoires sur l'exploration. Et les objectifs climatiques à long terme de l'UE, principalement l'objectif de décarbonisation d’ici à 2050, rendent peu probable une vraie résurrection de charbon.

Selon Michalak, les éléments de charbon et de gaz schiste du plan polonais constitué de six points doivent être compris, d'une part, comme destiné aux publics nationaux qui veulent voir leur gouvernement jouer dur et, de l'autre, comme un instrument de négociation destiné à tirer des avantages spécifiques sur Bruxelles.

Le gouvernement Tusk a fait des efforts de Titan pour convaincre les entreprises étrangères intéressées par le gaz de schiste à rester dans le pays, y compris l’ancien ministre de l'Environnement, Marcin Korolec, pendant les négociations sur le changement climatique, COP19, en 2013 pour soi-disant n’avoir été suffisamment favorable au gaz de schiste. Néanmoins, en avril de cette année, la compagnie pétrolière française, TOTAL, est devenue la quatrième compagnie à annoncer avoir abandonné les travaux d'exploration en Pologne, comme le gaz de schiste dans le pays s'avère plus rare qu’on le pensait au début.

Le consensus national polonais sur le charbon aussi commence à montrer des fissures mineures.

Près de 90 pour cent de l'électricité utilisée en Pologne provient du charbon, et la stratégie énergétique à long terme du gouvernement prévoit un rôle central pour le charbon jusqu'en 2060. Le gouvernement Tusk tente en vain de torpiller l'adoption par l’UE des objectifs de décarbonisation, alors pour l’instant il est difficile de savoir comment les autorités concilieront les engagements de l'UE avec une économie dépendante du charbon.

En 2013, le directeur de la société publique de l'énergie, PGE, a démissionné, affirmant que l'expansion de 1.800 Mégawatts de la centrale au charbon d'Opole dans le sud-ouest de la Pologne n'est pas rentable. Le gouvernement a choisi de poursuive les plans d'expansion de toute façon.

Malgré la perception généralisée en Pologne que le charbon est une forme d'énergie bon marché, ce mois-ci a vu les principaux journaux (y compris Rzeczpospolita, un journal conservateur) discuter des externalités du charbon suite à une étude réalisée par Institut des études économiques de Varsovie, un groupe de réflexion, montrent qu’entre 1990 et 2012, subventions de la Pologne pour le charbon s'élevaient à 40 milliards d'euros.

En 2013, une série d'institutions financières internationales, y compris la Banque mondiale et la Banque européenne d'investissement, ont annoncé d'importantes restrictions sur leur financement de charbon – faire des prêts au charbon polonais, par exemple, serait impossible pour ces institutions conformément aux nouvelles directives.

La Pologne doit également mettre en œuvre la Directive de l'UE sur les émissions industrielles qui appelle à des normes de pollution plus strictes dans les unités de production d'énergie à partir de 2016 ou la fermeture des centrales qui ne sont pas conformes. Et c’est potentiellement dans cet espace que certains des avantages du jeu difficile de la Pologne sur le charbon à Bruxelles pourraient être vus.