KENYA: Des régions du pays dans l’insécurité alimentaire

NAIROBI, 10 fév (IPS) – Jane Njeri, dans le district semi-aride du bas- Mukurweini, dans la Province centrale, au Kenya, a décidé de bouillir des racines sauvages pour nourrir ses cinq enfants.

Ses enfants, qui sont tous âgés de moins de 10 ans, sont trop jeunes pour comprendre pourquoi il n'y a pas de nourriture sur la table.

“La nuit, ils refusent de dormir le ventre vide, alors je leur dis que je suis en train de préparer des marantes. Ils savent que les marantes mettent beaucoup de temps à cuire, alors ils attendent patiemment jusqu'à ce qu'ils finissent par s’endormir à côté du feu pâlissant”, a-t-elle déclaré à IPS.

Selon l'Autorité régionale de gestion de la sécheresse, le bas-Mukurweini reçoit seulement 200 mm de précipitations par an, ce qui a entraîné une pénurie alimentaire terrible.

Mais Mukurweini n'est pas la seule région à souffrir de la sécheresse et des pénuries alimentaires. Les zones arides sont les plus touchées, en particulier le comté de Turkana dans la province de la Vallée du Rift, où la moitié des habitants – environ 400.000 personnes – souffrent de la famine.

L'Institut de recherche agricole du Kenya (KARI) indique qu’au total au moins un quart des 41 millions d’habitants de ce pays d'Afrique de l'est n'ont pas assez de nourriture et que 1,7 million sont sous la menace de la faim et de la famine.

Selon le Réseau des systèmes d’alerte précoce sur la famine, en dehors de quelques régions, aucune partie du pays n’est en sécurité alimentaire puisque la récolte de maïs pour cette saison – l’aliment de base du pays – n’était pas suffisante pour nourrir toute la nation. L'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture déclare que le pays manque d'environ 10 millions de sacs de maïs et a averti que la sécheresse devrait atteindre son pic en août.

Mais des chercheurs agricoles comme le professeur Mary Abukutsa-Onyango ont imputé cette pénurie à une dépendance à outrance de l'agriculture pluviale.

Selon le ministère de l'Agriculture, moins de sept pour cent des terres cultivées dans le pays sont irriguées et le plan du gouvernement de mettre un demi-million d'hectares sous l’irrigation, en particulier dans les zones arides et semi-arides, n'a pas fait assez de progrès.

Abukutsa-Onyango, professeur de l'horticulture à l'Université Jomo Kenyatta de l'agriculture et de la technologie, a expliqué à IPS que dans le comté aride de Turkana, par exemple, “le projet de système d'irrigation Todonyang, qui a été lancé en 2009 et était destiné à mettre 12.000 hectares de terre sous l’irrigation pour la production agricole afin de faire face à l'insécurité alimentaire dans la province du nord orientale, semble être dans l’impasse”.

C'est un développement triste puisqu’en septembre 2013 le gouvernement a découvert environ 250 milliards de mètres cubes d'eau douce – suffisante pour alimenter le pays pendant 70 ans – dans le comté de Turkana.

Abukutsa-Onyango a ajouté qu'il y avait aussi trop d'accent sur le maïs comme aliment de base.

“Nous ne produisons pas d'autres cultures telles que le sorgho, le millet, les marantes, les ignames et les noix de bambara, ainsi que des fruits et légumes indigènes qui peuvent pousser facilement dans plusieurs régions du pays, créant des sources alternatives d’aliments”, a-t-elle souligné.

Winnie Mapenzi, une experte en sécurité alimentaire, a déclaré à IPS que les petits agriculteurs, qui produisent trois-quarts des vivres du pays, ont été incapables de produire assez pour nourrir la nation à cause de divers défis.

“Ils ont peu d'accès aux intrants et aux services financiers, et disposent de mauvaises infrastructures”, a-t-elle indiqué, expliquant que cela signifiait que les petits fermiers ont été incapables d'accéder aux marchés pour vendre toute récolte excédentaire. Cela signifiait aussi, a-t- elle souligné, qu'ils avaient “de mauvaises installations de stockage qui entraînent des pertes après-récolte”.

La faible production alimentaire a été également imputée au financement limité pour le secteur agricole. En 2003, le Kenya était parmi les 53 pays africains qui ont signé le Programme détaillé de développement de agricole en Afrique visant à accélérer la croissance et réduire la pauvreté de masse, l'insécurité alimentaire et la faim en Afrique en allouant au moins 10 pour cent de leur budget national à l'agriculture. Les statistiques d’Oxfam International montrent que seulement neuf pays ont atteint ce seuil.

“Dix ans plus tard [depuis l'accord de 2003], le Kenya n'a pas réussi à allouer au moins 10 pour cent de son budget national au ministère de l'Agriculture”, a déclaré Abukutsa-Onyango.

Dans l'année budgétaire 2012-2013, le budget pour l’agriculture était de 3,6 pour cent du budget national, bien en dessous du seuil de 10 pour cent. Pour combler l'écart, il y a eu une participation accrue des bailleurs de fonds dans le secteur agricole, selon ActionAid International-Kenya.

Pourtant le ministère de l'Agriculture a été incapable d'utiliser les fonds; seulement 61 pour cent de son budget de l'année budgétaire précédentes ont été dépensés.

Bien que le KARI ait reçu moins d'un pour cent du budget national, cet institut de recherche a continué de développer une variété de cultures résistantes à la sécheresse. Mais celles-ci ont eu de faibles taux d'adoption chez les agriculteurs parce que, a expliqué Abukutsa-Onyango, “le coût des semences hybrides est hors de la portée de la plupart des fermiers”.