CAMEROUN: Trouver des terres aux éleveurs nomades

NDOP, Cameroun, 17 oct (IPS) – Le troupeau de bovins d’Adamou Harouna pâture tranquillement sur une végétation verte luxuriante à Ndop, un petit village dans la région du Nord-Ouest du Cameroun.

“Nous sommes nés éleveurs. Nos pères et nos ancêtres sont nés éleveurs. Un homme Mbororo ne peut pas survivre sans l'élevage de bétail”, a-t-il déclaré à IPS.

Cet éleveur de bétail est l'un des quelque 2,5 millions de Mbororos indigènes dans ce pays d'Afrique centrale d'environ 21 millions d’habitants. Traditionnellement, les Mbororos sont des éleveurs nomades.

Il y a près d’un siècle, lorsque les Mbororos sont venus pour la première fois dans la zone de Bamenda, dans la région du Nord-Ouest, il y avait assez de pâturages et d'eau là-bas pour leur bétail.

Mais au fil des ans, comme davantage de gens se sont lancés dans l'agriculture, les pâturages des Mbororos ont commencé à diminuer et cela a invariablement conduit à des affrontements violents entre ces éleveurs nomades et la population agricole sédentaire.

Selon un rapport de l'Agence américaine pour le développement international sur le Cameroun, intitulé “Les droits de propriété et la gouvernance des ressources”, des différends par rapport à l'accès à la terre sont relativement fréquents. Et les conflits entre éleveurs nomades et agriculteurs sédentaires surviennent puisque “les fermiers ont empiété sur les pâturages traditionnels, la désertification a poussé les éleveurs vers le sud et le nombre de bétail a augmenté”.

Comme la saison de plantation approche, Harouna est un homme inquiet. Bientôt, il devra amener son bétail loin des fermes locales pour l’empêcher d'être attaqué et tué par des agriculteurs.

“En 2012, j’ai perdu 50 bovins”, indique-t-il.

Ce n'est pas un secret que les agriculteurs locaux veulent que les éleveurs quittent la zone.

“Avant que ces éleveurs nomades ne viennent dans cet endroit, nous y étions déjà. Nos ancêtres étaient ici bien avant leur arrivée”, souligne à IPS, Divine Che, un agriculteur local.

“Je ne sais pas pourquoi ils pensent vraiment que nous devons leur donner de la place pour l'hébergement. Leur bétail détruit nos cultures tout le temps. Je pense qu'il est logique pour eux de chercher un autre endroit sur lequel les gens ne sont pas déjà installés”, déclare-t-il, ajoutant qu'il serait “très compliqué pour nous de cohabiter avec eux”.

Mais Harouna ne sait pas quoi faire.

“Où allons-nous maintenant? C'est là où je suis né; c'est là où mon père est né. Alors, lorsque les gens disent que nous devrions partir, où espèrent-ils vraiment que nous irions?”, demande-t-il.

Les Mbororos ont l'espoir que le projet de Code de l’élevage, proposé par le gouvernement, sera bientôt adopté comme loi et que ces conflits habituels deviendront bientôt un souvenir du passé.

En 2010, le ministère de l'Elevage, des Pêches et des Industries animales a entamé des consultations avec la société civile afin de réviser l’arrêté sur le régime foncier de 1974.

Selon la Loi de 1974 sur le foncier, toutes les terres non enregistrées au Cameroun sont classées comme des terres nationales, qui appartiennent à l'Etat. Cela inclut les terres agricoles et les terres communales possédées selon le droit coutumier.

Cette législation dépassée contient également des procédures longues, complexes et coûteuses pour l'obtention de titres fonciers, faisant qu’il est difficile pour les Mbororos, pour la plupart analphabètes, d’obtenir des titres de propriété.

Le Code de l’élevage élaboré récemment traite, entre autres choses, de la démarcation des frontières entre les pâturages et les terres agricoles.

“Ce code va créer des corridors pour les bovins… des corridors transhumants ont été tracés et les sources d'eau où les animaux peuvent aller ont été identifiées”, affirme à IPS, Dr Taiga, le ministre de l'Elevage, des Pêches et des Industries animales.

Fon Nsoh, le président de l'ONG locale, Mouvement pour le droit à l'alimentation au Cameroun, qui milite pour des réformes agraires, déclare à IPS que le Code de l’élevage détaille les “procédures pour la création et la gestion des pâturages communautaires”. Il contient également des “lignes directrices sur la création des pâturages communaux et intercommunaux”.

Selon des responsables du ministère de l'Elevage, ce nouveau code sera soumis au parlement pour être débattu en novembre.

S'il est adopté comme loi, il accordera aux Mbororos le droit aux terres qu'ils exploitent depuis près d'un siècle. Alors que les Mbororos ont toujours été traditionnellement nomades, et comme leur population augmente et que les pâturages deviennent plus limités, ils sont de plus en plus contraints de s'installer.

Hawe Bouba, présidente de l’Association culturelle et de développement des Mbororos, sait seulement comment il a été difficile pour ses gens d'obtenir de titres fonciers. Elle a un vif souvenir de la façon dont son père a passé plus de deux décennies avant d’en obtenir un.

“J'apprécie vraiment le Code de l’élevage qui est à l’étude. S’il est voté [comme loi], il va être une solution pour les éleveurs; pour les Mbororos parce que ce code particulier délimitera vraiment d'une manière précise les pâturages par rapport aux terres agricoles”, explique Bouba à IPS.

Elle ajoute que les Mbororos ne devraient pas être forcés de partir après avoir vécu sur leurs terres pendant si longtemps. “Les Mbororos sont venus pour rester, ils ne sont pas venus pour partir comme certaines personnes le pensaient”.

Harouna espère que si le projet de Code de l’élevage est adopté, il pourra enfin réclamer la terre que sa famille et lui ont occupée pendant plusieurs décennies.