Q&R: Les Congolais qualifiés à tort de "pathologiques"

NATIONS UNIES, 23 sep (IPS) – Des analystes occidentaux adoptent tous trop souvent une approche déformée et réductrice du conflit en République démocratique du Congo (RDC), affirme Kai Koddenbrock, qui a analysé plus de 50 documents de politique pour une étude publiée dans le journal 'International Peacekeeping' en novembre 2012.

Dans une interview accordée à la correspondante de IPS à l'ONU, Rousbeh Legatis, Koddenbrock a déclaré que la RDC est dépeinte à plusieurs reprises comme un “pays malade” avec des “gens malades” alors que cela ne reflète pas fidèlement les diverses réalités sur le terrain.

Voici quelques extraits de l’entretien.

Q: La mesure dans laquelle des analystes et particulièrement des groupes de réflexion occidentaux ont réduit les réalités et la complexité sur le terrain en RDC “au-delà de ce qui est nécessaire pour une description et une communication intelligible”, comme vous l’avez écrit, se traduit par une “pathologisation fonctionnelle” de la société congolaise et de sa population. Pourriez-vous donner des details sur cela? R: La pathologisation fonctionnelle se réfère à la relation entre la manière dont les groupes de réflexion et les acteurs d'intervention analysent le Congo et le fait que, simultanément, l'hypothèse est faite à maintes reprises qu’il faut d'urgence des organisations occidentales pour faire face à ces problèmes identifiés par soi-même.

Les acteurs de maintien de la paix et autres acteurs internationaux abordent le Congo et son peuple d'une manière qui met l'accent sur leurs problèmes et faiblesses apparents et le dépeint comme un pays malade avec des gens malades seulement. Ce faisant, ces acteurs extérieurs créent l'impression que c’est de ces acteurs extérieurs qu’on a besoin en urgence pour maîtriser ces problèmes supposés.

Si des documents de politique et des intervenants étaient plus respectueux et comprenaient l’importance des acteurs congolais de toute sorte, une intervention extérieure semblerait moins naturelle et les capacités des Congolais eux-mêmes à faire avancer les choses passeraient au premier plan.

Q: Quelles sont les raisons qui sous-tendent cette tendance que vous avez observée dans votre analyse? R: C'est une question difficile. Le racisme et les continuités historiques dans les façons d'aborder le Congo et l'Afrique plus globalement jouent probablement un rôle. La logique du marché des groupes de réflexion, où les conseils doivent être courts et facilement digérables, est décisive, aussi.

Les groupes de réflexion vendent des idées et les décideurs dépensent peu de temps. Pour ces raisons, les rapports doivent réduire la complexité. Ce n'est pas une mauvaise chose en soi, mais la façon dont cela se fait importe. Si toutes les sortes d'actes raisonnables et réfléchis des Congolais disparaissent dans le cadre de la simplification, il y a un problème.

Je pense que même des occupations militaires tous azimuts comme les invasions de l'Irak et de l'Afghanistan ne seront pas réussies tant qu'elles ne parviennent pas à prendre en compte les priorités et idées existantes du gouvernement et des décideurs politiques pertinents en place. C'est une chose difficile à faire – notamment si la structure de pouvoir du pays et de la région est difficile à comprendre.

La réforme du secteur de sécurité au Congo, par exemple, n’a pas réussi pendant plusieurs années parce que le président Joseph Kabila n'en était pas intéressé. Peut-être que cela change pour le moment. Cela signifie pour le maintien de la paix que les acteurs pertinents doivent être impliqués: le gouvernement congolais, le gouvernement rwandais, le gouvernement angolais, le gouvernement sud-africain, les chefs coutumiers et les hommes d'affaires influents ainsi que différents groupes armés de l'est et les Congolais ordinaires.

Q: Qu'est-ce qui devrait être fait différemment lorsque l'on analyse la RDC et ses processus de maintien de la paix, avec leurs implications locales, régionales et internationales? R: Des analystes et groupes de réflexion suivent les tendances parce que de nouveaux travaux doivent être différents par rapport aux travaux précédents afin d’attirer l'attention des lecteurs. Cela est très visible dans l'analyse actuelle du Congo.

Grâce au bon travail réalisé par Séverine Autesserre, par exemple, les analystes se concentrent désormais beaucoup plus sur les conflits locaux qu'il y a 10 ans. Cependant, je dirais qu'ils pourraient se concentrer encore plus sur les conflits locaux, comme l’a montré la récente controverse au sujet du dernier rapport de l’ICG [International Crisis Group]. Des facteurs internationaux et régionaux jouent encore un rôle très important.

Ce qui reste le même à travers tous ces changements d'attention en passant de “les élections construiront le Congo” au “maintien de la paix locale” ou à la “brigade internationale” aujourd’hui, est que le gouvernement de Kinshasa et le gouvernement provincial demeurent une faiblesse curieuse.

Les exemples que je donne dans le document sont assez concrets, je pense. Kabila s’occupe des personnes déplacées à l’intérieur, conclut des accords avec le Rwanda et gère les mines à un certain degré. C'est plus que “le Congo est un Etat en faillite” ou n'a pas de gouvernement. Les analystes ont à plusieurs reprises supposé, pendant les violences cycliques dans l'est du pays, que ce sera désormais la fin du gouvernement de Kabila. Il est toujours là. Comment cela est-il possible? Aucun analyste ne traite vraiment de cela.

Cela fait partie de ce que je vois comme “pathologisation fonctionnelle”, que j'ai essayé de montrer dans le document. L’idée que les Congolais – même les actes du gouvernement – pourraient vraiment avoir de sens, n'est jamais considérée. Cela rend l'analyse très unilatérale et permet de maintenir la croyance, encore, que c'est aux ONG occidentales, ou à l'ONU, d’améliorer la situation au Congo.