KENYA: La rareté révèle un excès inaccessible

NAIROBI, 17 sep (IPS) – Depuis des décennies, Zakayo Ekeno, parcourt à pied la terre aride du comté de Turkana, élevant son bétail, et celui de son père avant. Pourtant, rien sur cette terre constamment frappée par la sécheresse, dans le nord du Kenya, n’aurait pu lui donner une indication de la richesse en dessous.

“Je me suis demandé plusieurs fois si quelque chose de bon peut sortir de cette terre perdue”, déclare Ekeno. Turkana est le plus aride et le plus pauvre des 47 comtés du Kenya et en 2011, près de 9,5 millions de personnes dans cette communauté essentiellement nomade ici ont été touchées par une grave sécheresse.

Alors, peu de gens auraient même pu imaginer que sous la terre brûlée et crevassée par le soleil il y avait assez d'eau pour alimenter l'ensemble de ce pays de 41,6 millions d’habitants pendant 70 ans.

Le 11 septembre, le gouvernement et l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) ont annoncé la découverte de réserves d'eau douce d'environ 200 milliards de mètres cubes dans le bassin de Lotikipi, dans le comté de Turkana.

“Chaque année, notre bétail meurt par manque d'eau et de pâturage. Nous vivons aussi dans la crainte de voleurs de bétail qui dérobent nos animaux pour remplacer ce qu'ils ont perdu. J'ai été blessé au cours de ces incursions. L'eau est une solution à ce conflit”, explique Ekeno.

Jusqu'à présent, l'ONU a classé le Kenya comme un pays chroniquement pauvre en eau et les statistiques de l'UNESCO montrent que 17 millions de personnes dans le pays n'ont pas accès à l'eau potable. Le Kenya utilise actuellement environ trois milliards de mètres cubes d'eau par an.

Bien que cette découverte ait été accueillie avec enthousiasme, des experts de l'eau et de l'environnement, comme la scientifique Judith Gicharu, préviennent que ce gouvernement d’Afrique de l’est a peu de capacité ou de lois pour gérer cette eau de façon durable.

“Nous avons la Loi 2002 sur l'eau et la Loi 1999 sur la coordination et la gestion de l'environnement. Mais elles ne fournissent aucun cadre politique important concernant la gestion des eaux souterraines”, indique-t-elle à IPS.

Elle explique qu'il existe des dispositions dans des cadres politiques plus larges, mais elles ne traitent pas spécifiquement de l'utilisation des terres et de la gestion des eaux souterraines. Elle ajoute que la prise de décisions sur la gestion des eaux souterraines “n’est souvent pas basée sur des règlements solides”.

“Mais même là où des dispositions sur les eaux souterraines existent, elles sont rarement appliquées. La mise en œuvre de toutes les dispositions qui existent a été compromise par un chevauchement des tâches entre les divers organismes gouvernementaux chargés de l'eau et de l'environnement”, affirme Gicharu.

Au Kenya, toutes les ressources en eau appartiennent à l'Etat et les organismes gouvernementaux doivent approuver et délivrer des permis d'utilisation de l'eau. Mais selon un rapport publié en 2011 par la Banque mondiale, intitulé “Kenya – étude de cas sur la gouvernance des eaux souterraines”, il y a une compréhension très limitée “du lien entre les eaux de surface et les eaux souterraines parmi les professionnels des secteurs concernés, et en conséquence, il n'y a aucune prise de conscience stratégique sur la nécessité de protéger les ressources en eaux souterraines”.

Ikal Ang'elei, de l’association communautaire de l'environnement 'Amis du lac Turkana', prévient qu'en l'absence d'un cadre législatif solide qui pourrait guider “la façon dont les ressources doivent être exploitées et qui en bénéficie, et de quelle manière, cette richesse naturelle peut ne pas améliorer les fortunes du pays de manière significative”.

“Il est encore trop tôt de dire que les gens de Turkana sont absents du dialogue sur l'eau. Le gouvernement parle déjà de l’approvisionnement de l'ensemble du pays avec la 'nouvelle' eau, mais quelle quantité ira vers les gens de Turkana?”, demande-t-elle.

La découverte de l'eau est la deuxième grande ressource naturelle identifiée dans le comté de Turkana. En mars 2012, la société d'exploration pétrolière 'Tullow Oil' a annoncé la découverte de plusieurs millions de barils de pétrole dans le bassin de Lokichar, dans le comté de Turkana.

“Nous ne pouvons pas prendre la même direction que celle prise par le dialogue sur le pétrole. Comme le pétrole de Turkana a été découvert, les investisseurs ont été seulement intéressés de savoir quand ce pétrole commencera à couler. Ils ne parlent pas des avantages pour la communauté”, déclare Ang'elei.

L'économiste Arthur Kimani approuve. “Le gouvernement doit aider la communauté à comprendre qu'au-delà du fait de boire l'eau découverte, l'argent peut aussi sortir de cette ressource, par exemple, en utilisant l'eau pour produire des cultures de rente”.

Mais un responsable du ministère de l'Environnement, des Eaux et des Ressources naturelles indique à IPS que “cela ne pouvait pas être plus loin de la vérité. En effet, les gens de Turkana auront de l'eau dans les deux prochaines semaines. Nous engageons également le secteur privé pour des partenariats qui sont économiquement viables pour la communauté”.

Kimani insiste que l’implication du gouvernement est importante pour gérer l'approvisionnement en eau souterraine. Il ajoute qu'il faut la participation du public en acceptant la façon dont cela se fera.

“Beaucoup d'entreprises ont tendance à travailler avec une petite clique de gens bien connectés pour parvenir à un système opaque de déclaration des résultats de ce qui a été extrait et des recettes”.

“Les formules de partage des recettes devraient être ouvertement convenues pour créer l'opportunité pour la participation du public et décourager les fonctionnaires de rechercher des avantages personnels au détriment du public, en particulier les communautés immédiates vivant dans les zones où les ressources naturelles ont été trouvées”.

Samuel Kimeu, directeur exécutif de 'Transparency International' au Kenya, déclare à IPS que la transparence dans la gestion des ressources naturelles est nécessaire sur toute la chaîne d'extraction. Il affirme que ne pas procéder ainsi compromet “les termes des licences contre l'intérêt public, escroquant ainsi le public des recettes possibles”.