SOMALIE: Un projet de loi sur les médias défavorise les journalistes

MOGADISCIO, 30 août (IPS) – Des journalistes somaliens affirment que le gouvernement n'est pas sérieux au sujet de l'examen du nouveau projet de loi controversé sur les médias dans le pays qui les oblige à révéler leurs sources, en dépit d'une série de consultations récentes.

Leurs inquiétudes ont été soulevées pendant qu’un autre journaliste, Ahmed Shariif Hussein, qui travaillait pour la radio et à la télévision publiques comme ingénieur, a été abattu par des inconnus devant son domicile le 17 août au nord de Mogadiscio, la capitale somalienne.

La Somalie est l'un des endroits les plus dangereux pour les médias d’opérer. Six journalistes ont été tués cette année seule et plus de 15 ont été assassinés en 2012.

Aucun de ces meurtres n’a fait l’objet d’enquêtes approfondies ou n’a vu les coupables punis.

Mais les journalistes déclarent maintenant que le nouveau projet de loi sur les médias dans le pays fera qu’il leur sera presque insupportable de rester dans cette nation de la Corne de l'Afrique. Certains envisagent déjà de quitter si “cette loi stricte” est adoptée par le parlement.

“Nous sommes restés pensant qu’au moins la loi nous protègerait finalement. Mais maintenant qu'elle sera utilisée contre nous, je ne pense pas que nous puissions rester ici encore longtemps”, a indiqué à IPS, un journaliste somalien sous couvert de l'anonymat.

Le projet de loi exige que les journalistes révèlent leurs sources et leur interdit de diffuser des informations considérées comme étant contraires à la tradition islamique ou somalienne, ou qui affectent la sécurité nationale.

“En l'état actuel, la nouvelle loi opprimera les médias, limitera la liberté de presse, restreindra la liberté d'expression, et imposera des restrictions sur la capacité des journalistes à faire des reportages librement”, a expliqué à IPS, Abdelrashid Abikar, coordonnateur de la liberté de presse pour l'Union nationale des journalistes somaliens.

S’ils sont accusés d'avoir enfreint la loi, les journalistes peuvent être interdits d’exercer leur métier jusqu'à ce qu'un tribunal statue sur la question.

“Ce qui étonne tout le monde dans la communauté des médias somaliens, c'est que le gouvernement a refusé de reconnaître la situation des journalistes qui doivent informer le public – même face à des menaces quotidiennes de mort. Pourquoi [y a-t-il] cette insistance du gouvernement à nous imposer de telles lois draconiennes?”, a déclaré à IPS, un journaliste basé à Mogadiscio.

Dans un effort de répondre aux préoccupations des journalistes sur le projet de loi, le Premier ministre somalien, Abdi Farah Shirdon, a rencontré les représentants des médias dans son bureau à Mogadiscio le 18 juillet. Et le 29 juillet, le président somalien, Hassan Sheikh Mohamoud, a rencontré les médias au palais présidentiel.

Depuis lors, il y a eu des rencontres subséquentes avec divers responsables du gouvernement, y compris le ministre de l'Information, la plus récente étant le 14 août.

Les autorités avaient promis de revoir le projet de loi en consultation avec les médias locaux et de le rendre conforme aux meilleures pratiques internationales.

Mais les journalistes ont indiqué à IPS qu'ils se sont retirés des réunions avec le ministère de l'Information, qui est actuellement en discussions avec les “faux” représentants des médias, venant pour la plupart des médias dirigés par le gouvernement.

“Je ne pense pas que le gouvernement soit sérieux au sujet de l'examen de la nouvelle loi sur les médias. Ils veulent avoir l'aval des journalistes pour les changements cosmétiques qu'ils proposent et nous avons refusé cela”, a expliqué à IPS, sous couvert de l'anonymat, un journaliste somalien, qui a participé aux réunions.

Des organisations locales et internationales de défense des médias ont exprimé des craintes par rapport au projet de loi, qualifiant la nouvelle loi de “vague” et “ambiguë”. Beaucoup affirment qu’elle pourrait exposer les journalistes à une gamme de restrictions pour des délits mal définis.

“Je ne pense pas que la Somalie sera différente des régimes dictatoriaux où les libertés de presse sont inexistantes, si la loi actuelle est appliquée”, a déclaré à IPS, Muse Jisow, rédacteur en chef du portail somalien d’informations, somalisan.com.

Jisow a affirmé que le gouvernement somalien doit examiner le projet de loi et le rendre conforme aux normes internationales afin de sauvegarder la liberté de presse. Les ministres somaliens ont approuvé le projet de loi sur les médias le 11 juillet et il est censé être débattu par le parlement en septembre.

Jisow a appelé les législateurs somaliens à ne pas adopter le projet de loi tant que les “articles draconiens” n’ont pas été supprimés et remplacés par ceux qui sont plus favorables aux médias.

“Nous ne disons pas qu’il n’y ait pas de lois dans ce pays, mais nous exigeons que nos droits à la liberté et à l’indépendance de la presse soient protégés par les autorités”, a souligné Jisow.

“J’appelle les législateurs somaliens à ne pas approuver la nouvelle loi sur les médias, car elle n'est pas conforme à la constitution nationale, qui garantit la liberté et l’indépendance de la presse en Somalie”, a indiqué Jisow.

Mais des analystes croient qu'une version édulcorée du projet de loi actuel sera introduite au parlement pour être adoptée comme loi.

“Je ne pense pas que le gouvernement somalien soumettra le nouveau projet de loi sur les médias tel qu’il se présente maintenant. [Ils] devront l’amender pour tenir compte des préoccupations exprimées non seulement par des journalistes locaux, mais aussi par des organisations internationales de défense des médias, y compris les Nations Unies”, a déclaré à IPS, Hassan Harun, un analyste des médias.