SIERRA LEONE: Le trafic des gamins, responsable des enfants de la rue

FREETOWN, 13 juin (IPS) – Dans un coin de rue au centre de Freetown, la capitale de la Sierra Leone, Kaita, 12 ans, est assis avec un ami sur une balustrade en acier en train de regarder les phares des motos qui se croisent à travers les rues quelque peu calmes.

Il est minuit passé, et des formes humaines immobiles sont couchées recroquevillées devant des portails de maisons ou allongées sur des trottoirs à côté. Pour Kaita, ces rues constituent son domicile, et le sont depuis près de six ans.

Kaita est l'un des milliers d’enfants sierra-léonais qui ont fini par se retrouver sans domicile après avoir été offerts par leurs parents sur de fausses promesses d'éducation.

Joice Kamara est la directrice adjointe des affaires de l'enfance au ministère du Bien-être social, des Affaires de Genre et de l'Enfance – jusqu'en 2012, elle était le point focal pour la commission gouvernementale de lutte contre le trafic.

“Certains d'entre eux (les trafiquants d'enfants) sont des parents, certains sont des étrangers, certains sont des amis – ils vont dans les villages et demandent aux gens de leur donner leurs enfants. Ils promettent de leur offrir la meilleure éducation dans la ville”, explique-t-elle à IPS.

En dépit des progrès significatifs réalisés depuis la fin de 11 ans de guerre civile en 2002, cette nation d'Afrique de l'ouest demeure l'un des pays les moins développés au monde, avec beaucoup de familles rurales simplement incapables de bien prendre soin et d'éduquer tous leurs enfants.

“Malheureusement, quand ces enfants sont amenés dans les villes, au lieu que (les trafiquants d'enfants) tiennent leur promesse de les éduquer… ils les engagent dans le travail des enfants, certains sont utilisés comme esclaves sexuelles, certains sont même utilisés pour des rituels”, indique Kamara.

L'oncle de Kaita s'occupait de lui, mais au lieu de l'envoyer à l'école, il le négligeait et le privait de nourriture, poussant finalement Kaita à s'enfuir. “Il fait froid”, dit-il au sujet de sa nouvelle vie dans les rues. “Et tout ce que j’ai à manger, ce sont les restes de nourriture”.

Lothar Wagner est le directeur de 'Don Bosco Fambul', une ONG qui s'occupe des enfants sans-abri en Sierra Leone. “La raison pour laquelle ils (les enfants) sont dans la rue, c'est le trafic des êtres humains”, déclare-t-il à IPS. “Après quelques mauvais traitements, beaucoup estiment qu'ils n'ont pas d'autre choix que de fuir”.

Selon une enquête menée en 2010, on estime qu'il y a jusqu’à 2.500 enfants qui dorment dans les rues toutes les nuits à Freetown seule, bien que d'autres estimations indiquent un nombre beaucoup plus élevé.

Mohammed, 14 ans, est l'un d'entre eux. Il vit dans les rues depuis qu'il avait 12 ans – des maillots de football en lambeaux à l’effigie de Chelsea, une petite feuille de carton sur laquelle dormir, et un panier en osier pour ramasser des ordures dans les rues, qui lui rapporte assez d'argent pour acheter un peu de nourriture.

Tous les enfants qui se sont exprimés à IPS ont parlé de la peur de mauvais traitements, auxquels ils sont très vulnérables. Les crimes contre les enfants des rues font rarement l’objet d’enquête et seraient souvent commis par les policiers eux-mêmes.

“Les policiers ne sont pas là pour protéger les enfants”, affirme Wagner. “Ils sont là pour les exploiter”.

L’examen médical d'un enfant de la rue qui a été arrêté, et qui a déclaré que la police l'a battu pendant qu’il était en prison, détaille une série de blessures au bras qui auraient été causées par des coups de matraque et une sonde électrique.

Un porte-parole de la police a nié ces allégations. “C’est absolument faux”, dit-il à IPS au téléphone. “Une tentative délibérée de salir la réputation de la police sierra-léonaise. Le commissariat n'a même pas généralement l'électricité, alors comment pouvons-nous l’électrocuter?”.

Quelques ONG prennent des mesures pour réduire la prévalence du trafic en Sierra Leone, et réunifier les victimes avec leurs familles.

L'Alliance de la foi contre l'esclavage et le trafic (FAAST, son sigle anglais) mène une sensibilisation sur ce problème, et aide à l’intégration des questions de la traite dans les programmes de formation des policiers. “Toutes les recrues doivent désormais recevoir une formation sur ce qu'est le trafic, et comment y faire face”, explique Janet Nickel, directrice nationale de l'organisation. La FAAST a également créé récemment un refuge pour les enfants victimes de la traite.

De même, 'Don Bosco Fambul' gère divers refuges et programmes pour soutenir des enfants sans-abri. “La protection des enfants n'est tout simplement pas une priorité du gouvernement”, déclare Wagner, ajoutant qu'il n'a ni la capacité ni les fonds pour protéger les enfants.

Revenue au ministère du Bien-être social, des Affaires de Genre et de l'Enfance à Freetown, Kamara n'est pas d'accord. Elle souligne quelques succès du gouvernement dans la lutte contre le problème, notamment la condamnation de 13 trafiquants depuis 2005, qui ont écopé des peines allant jusqu'à 22 ans. “Le gouvernement aide vraiment, et travaille dur pour éliminer le trafic en Sierra Leone”, indique-t-elle.