GHANA: Les rêves d’une éducation s’éloignent des enfants ouvriers

WUBA, Ghana, 4 juin (IPS) – C'est un jour d'école, mais Musah Razark Adams, 13 ans, un élève du cours moyen première année à Wuba, dans le nord du Ghana, est debout dans un champ de riz, brandissant un “koglung” – un lance-pierre utilisé pour chasser les oiseaux.

Il n'est pas un vilain garçon. Pour un mois de travail de 7 heures à 18 heures on lui paie 10 dollars et on lui donne un sac de 25 kg de riz ou de maïs pour chaque demi-hectare de terre qu'il protège en chassant les oiseaux.

Adams et d'autres élèves comme lui sont obligés de s'engager dans la tâche ardue communément appelée dans le nord du Ghana “Away” – qui signifie empêcher les oiseaux de se nourrir dans les rizières. Et cela se fait généralement aux heures d’école.

L’éducation est nominalement gratuite dans ce pays d'Afrique de l'ouest, bien que chaque école applique ses propres frais supplémentaires. Et les enfants, ironie du sort, sont employés dans “Away” afin de payer ces droits de scolarité supplémentaires, tels que les frais de l'Association des parents d’élèves et des enseignants, et d'acheter des fournitures scolaires.

“Quand l'école a commencé cette année, j'ai demandé à mon père de me donner de l'argent pour acheter mes fournitures scolaires et il m'a dit de faire ce que font les autres pour acquérir les articles nécessaires pour l'école. Il a indiqué qu'il n'avait pas d'argent. Alors, je suis obligé de faire cela (chasser les oiseaux) parce que tous nos produits agricoles ont été vendus pour prendre en charge la nourriture de notre famille”, explique Adams à IPS.

Il rêve de pouvoir gagner de l'argent pour acheter des chaussures et ses besoins éducatifs fondamentaux – un uniforme scolaire, des livres et des crayons. Mais pour l'instant, cela paraît un rêve lointain puisqu’il n'a pas les 60 cedis ghanéens, soit 30 dollars, pour les acheter.

“Away” est une pratique culturelle courante dans les régions du Nord, du Haut-Est et du Haut-Ouest du Ghana, qui maintient les enfants hors de l'école pendant au moins un mois, d'avril à mai, puis encore d’août à septembre.

Le père d'Adams, Iddrisu Adams, 45 ans, a cinq autres enfants et raconte à IPS qu'il n'est pas financièrement assez stable pour subvenir à leurs besoins, c’est pourquoi ses fils s'engagent dans “Away”. Le frère d'Adams, Seidu, 15 ans, travaille également pour chasser les oiseaux.

“Même si j'ai honte de forcer les enfants à s'engager dans 'Away', je n'ai pas d'autres moyens de gagner de l'argent afin de m'occuper d'eux”, dit-il.

Robert Owusu, un producteur de riz à Nyanpkala, dans la région du Nord, déclare à IPS: “Si des gens ne sont pas stationnés pour surveiller la ferme tout au long de la journée, les oiseaux mangeront toute la rizière”.

“Actuellement, nous n'avons pas d'autres méthodes pour chasser les oiseaux bien que nous sachions que l'éducation des enfants est en jeu”, dit-il, ajoutant que les adultes ne sont pas employés pour faire cela, puisque leur travail est trop cher.

Bien que les parents ne voient pas cela comme étant contraire à la loi, cette pratique fait partie des nombreux cas de travail des enfants dans le nord du Ghana.

L'Organisation internationale du travail (OIT) définit le travail des enfants comme un travail qui prive les enfants de leur enfance, de leur potentiel et de leur dignité, et qui est nuisible à leur développement physique et mental. Cela comprend le travail qui entrave leur éducation.

Le ministère du Bien-être social, le ministère de l'Enfance et l'OIT ont pris des mesures durant des années pour réduire le travail des enfants dans le pays, mais ils estiment que ces stratégies sont entravées par la pauvreté dans bon nombre de communautés.

Sanday Iddrisu, directeur régional intérimaire dans le nord pour le ministère de l'Enfance, déclare à IPS que la Loi sur l'enfance au Ghana stipule qu'aucun enfant ne doit être privé de l'accès à l'éducation, et interdit aux parents et autres personnes de soumettre un enfant à l'exploitation par le travail.

“Fondamentalement, les réglementations internationales et nationales sont contre les pratiques qui exposent les enfants à cette forme de travail, qui les empêche d'avoir une éducation comme tout enfant ordinaire”, explique-t-il.

Il ajoute que la plupart des campagnes entreprises par son ministère et le ministère du Bien-être social se sont révélées vaines. Il affirme que les parents des enfants qui travaillent utilisent souvent la pauvreté comme une excuse, indiquant qu'ils ne peuvent pas subvenir aux besoins de leurs enfants sans les faire travailler.

Bien qu'il existe un Plan d'action national pour l'élimination du travail des enfants au Ghana, une enquête menée par l'Unité de protection de l'enfance au ministère du Travail indique que le pays a fait peu d’efforts pour éradiquer la pratique. Environ 1,27 million d'enfants âgés de cinq à 17 ans dans ce pays de 25 millions d’habitants sont engagés dans des activités considérées comme le travail des enfants, souligne à IPS, Emmanuel Otoo, un représentant de l’OIT au Ghana.

“Notre attention et nos ressources doivent désormais porter sur l'opérationnalisation des détails des nombreuses conventions et lois internationales et locales que le Ghana a ratifiées, y compris la Convention de l'OIT, la Charte de l'Union africaine des droits et du bien-être de l'enfant, la Constitution ghanéenne et la Loi de 1998 sur l’enfance au Ghana”, déclare-t-il.

Naa Alhassan Issahaku Amadu, le chargé de la population ghanéenne pour la région du nord, affirme que la pratique du travail des enfants affecte le développement intellectuel, social et physique ainsi que la croissance des enfants.

“Les enfants ont besoin de six heures de contact enseignant-élève universellement reconnues. Et s’ils sont maintenus hors des classes à cause de 'Away', ils rateront tout ce qui a été enseigné”, souligne-t-il à IPS.