AFRIQUE DU SUD: Soutenir un commerce légal de la corne de rhinocéros

LE CAP, 23 avr (IPS) – Face au braconnage effréné de rhinocéros en Afrique du Sud, certains défenseurs de l'environnement et éleveurs privés de l’animal font pression pour la levée de l'interdiction internationale sur le commerce de la corne de rhinocéros et la création d'un marché légal, pour réprimer le braconnage.

“L'interdiction du commerce crée une situation où des rhinocéros sont tués inutilement”, a déclaré à IPS, Duan Biggs, chercheur au Centre d'excellence pour les décisions environnementales à l'Université du Queensland, en Australie. “Elle emmène des ressources loin d'autres efforts de préservation, et conduit à la situation où il y a une pseudo-guerre qui se déroule dans le Parc national Kruger”.

Le gouvernement sud-africain explore cette option et pourrait faire une proposition à la Convention de 2016 sur le commerce des espèces de la faune et de la flore sauvages en danger (CITES, son sigle en anglais) pour lui permettre d'ouvrir la vente de cornes de rhinocéros. Cela nécessiterait le soutien d'une majorité des deux-tiers des 178 Etats membres.

Des propositions visant à lever cette interdiction mise en place depuis 1977, ont suscité un débat pour savoir si un marché légal freinerait réellement le braconnage. Les opposants craignent que cela ne stimule le commerce du marché noir qui existe dans certaines parties de l'Asie, où la corne de rhinocéros se vend à 65.000 dollars le kilogramme – plus que l'or ou la cocaïne – et est présenté comme un remède pour les gueules de bois et un aphrodisiaque dans des pays comme le Vietnam.

Mais les défenseurs affirment que ce serait la solution à la crise du braconnage.

En 2012, les braconniers ont tué 668 rhinocéros en Afrique du Sud, principalement dans le Parc national Kruger, qui abrite la plus grande population de rhinocéros blanc au monde.

Dans un communiqué de presse le 3 avril, le gouvernement a indiqué que le nombre de rhinocéros tués depuis le début de l'année 2013 s'élevait à 203. Le braconnage a pratiquement doublé chaque année au cours des cinq dernières années en Afrique du Sud.

Si le braconnage se poursuit au rythme actuel, la population de rhinocéros du Parc national Kruger commencera à diminuer à partir de 2016, selon des chercheurs des Parcs nationaux sud-africains. Pis, les scientifiques estiment que si le braconnage s’intensifie, le rhinocéros d'Afrique pourrait disparaître à l'état sauvage en seulement 20 ans.

Un marché strictement régulé offrirait un moyen de répondre à la demande asiatique persistante, et, s'il est correctement administré, se révèlerait moins cher, plus sûr et plus fiable pour les acheteurs que le fait de se procurer auprès des cartels criminels. Cela éloignerait les acheteurs du marché illicite, explique Biggs, qui a coécrit un article dans le numéro de mars de la revue Science, demandant l'introduction du commerce légal.

“L'idée est d’éliminer (les commerçants illégaux) du marché”, a expliqué à IPS, Michael't Sas-Rolfes, un économiste indépendant de la conservation qui étudie le commerce de la corne de rhinocéros. “Ils font des affaires dans beaucoup d'autres produits. Si cela devient non attractif pour eux, ils passeront tout simplement à autre chose”.

Le commerce légal des peaux de crocodile, qui pendant les années 1980, a entraîné un changement vers un élevage durable de crocodiles plutôt que l'abattage des crocodiles sauvages, est un exemple de la façon dont le commerce licite peut être le moteur de la préservation, déclare Biggs.

Pour être efficace, les défenseurs proposent qu'un organisme indépendant – une organisation centrale de vente – qui relève de la CITES gère le marché et vente des cornes à des acheteurs agréés. Une partie des recettes de la vente sera acheminée aux efforts de préservation et utilisée pour renforcer des initiatives anti-braconnage.

La corne de rhinocéros est faite de kératine, qui se trouve dans les cheveux humains, et pousse de nouveau après avoir été coupée. Donner des sédatifs aux rhinocéros et raser leurs cornes comporte “un risque totalement minimal” pour les animaux, souligne Biggs.

Pour empêcher la corne provenant du braconnage d'entrer dans le marché légal, les fournisseurs peuvent doter les cornes légales de transpondeurs dont on peut suivre la trace et des signatures d'ADN pour moins de 200 dollars la corne, indique-t-il.

Pas convaincus Mais divers groupes de conservation s'opposent aux commerce légal. Ils affirment que la légalisation pourrait conduire la demande pour la corne de rhinocéros à un point où le marché ne pourrait pas tenir et créer une situation où le marché criminel prospèrerait aux côtés du marché légal, comme c'est le cas avec l'ormeau, qui est gravement menacé par le braconnage en Afrique du Sud.

Mary Rice, directrice exécutive de l'Agence d’investigation sur l’environnement, une organisation indépendante engagée à mener des enquêtes et à exposer la criminalité environnementale, souligne la montée en flèche des ventes illicites d'ivoire en Chine après que le pays a légalement acheté des stocks d'ivoire auprès du Botswana, d'Afrique du Sud, de la Namibie et du Zimbabwe en 2008.

Le gouvernement chinois a acheté l’ivoire à 157 dollars/kg, mais le vend jusqu’à 1.500 dollars/kg. Toutefois, les détaillants vendent les produits d’ivoire à un montant pouvant atteindre 7.000 de dollars, selon un rapport de l'Agence d’investigation sur l’environnement.

Mais jusqu’à 90 pour cent de l'ivoire qui entre sur le marché chinois est illicite, selon le rapport.

“L’ivoire légal est maintenant plus cher que l'ivoire illégal, et ce que vous avez, c’est la plus grande recrudescence du braconnage depuis l'interdiction (de 1989) (du commerce international d'ivoire)”, a déclaré Rice à IPS.

Les opposants au commerce légal sont préoccupés par le fait que les gouvernements ne seraient pas en mesure de surveiller convenablement le marché de la corne de rhinocéros, et citent la corruption comme un problème. En 2012, la police a arrêté quatre responsables des Parcs nationaux sud-africains, en rapport avec le braconnage de rhinocéros, qui sont en liberté sous caution.