RD CONGO: Des enfants de militaires héritent le métier des parents pour survivre

GOMA, RD Congo, 3 avr (IPS) – Pour assurer la survie de leurs familles après le décès d’un parent militaire ou policier au Nord-Kivu dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), les enfants du défunt sont souvent contraints d’exercer le même métier que leur père.

En somme, les enfants héritent aussi le métier d’armes de leurs parents par peur de perdre tous les avantages liés au travail d’un militaire ou d’un policier en RDC, notamment les soins médicaux et les logements qui sont dans un camp militaire.

Les militaires congolais ont un salaire très bas d’environ 80 dollars US et très peu d’entre eux possèdent une petite maison personnelle, et ceux qui ne vivent pas dans un camp sont simplement des locataires.

“Lorsque mon père policier est décédé, on a voulu nous chasser de la maison du camp et nous n’avions nulle part où aller. La seule chose à faire était de trouver une solution pour que la famille ne soit pas dispersée, j’ai donc décidé de devenir policier pour subvenir aux besoins de ma famille”, témoigne Pistchen Kalala, devenu policier à 20 ans. “Sinon, on nous chasserait de la maison et on ne bénéficierait plus des soins médicaux gratuits”, affirme-t-il à IPS.

Dibwa Ntambwe, 24 ans, est devenu militaire à la suite du décès de son père lorsque sa mère s’est remariée à un autre militaire. Pour éviter des malentendus et pour protéger ses frères et sœurs, il a donc décidé de devenir militaire aussi et conserver les avantages liés à son feu père. Comme Kakala et Ntambwe, de nombreux enfants de militaires décident d’exercer le métier de leur père parce qu’ils sont choqués par les conditions de vie difficiles de leurs familles après le décès du père. “Environ 75 pour cent des militaires congolais actuellement en RDC sont des enfants de militaires, et de plus en plus d’enfants de militaires continuent à hériter le travail de leur père”, affirme Augustin Lukubushi, un enfant de militaire décédé. Lukubushi qui cite une estimation des services de communication de l’armée et de la police à Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu, est président de la Ligue des enfants des militaires et policiers pour le développement intégré (LEMPODI), une organisation non gouvernementale locale. “Très souvent, lorsque le père militaire décède, ce sont les enfants qui reçoivent sa solde mensuelle pendant deux ans, ce qui les motive à faire ce même travail”, déclare Lukubushi à IPS. Il ajoute toutefois que “vivre dans une famille militaire, c’est vivre aussi dans une formation militaire; on grandit dans des conditions de vie difficiles: les enfants sont pré-exposés à intégrer l’armée”. Parfois, certaines veuves de militaires, pour sauvegarder les intérêts de leurs enfants, poussent aussi, malgré elles, leurs fils ayant plus de 18 ans, à intégrer l’armée ou la police. “Lorsque mon mari est décédé, on a voulu nous chasser de la maison qu’on occupait car lorsqu’un militaire meurt, on a tendance à oublier sa famille”, affirme Sifa Nyota, une veuve de militaire à Goma. “Pour continuer de bénéficier des avantages – soins de santé et logement – nous avons décidé que notre fils aîné travaille à la place de son père et reçoive sa prime car il y a toujours des arrangements dans ce sens. C’est ainsi qu’il est devenu militaire”, explique-t-elle à IPS. Les ONG de défense des droits de l’Homme au Nord-Kivu déplorent cette situation qu’ils qualifient de violation des droits des enfants. “C’est inacceptable cette situation dans laquelle vivent ces enfants, ils doivent être encadrés et pris en charge par le gouvernement congolais qui doit nécessairement subvenir à leurs besoins et garantir leur sécurité”, estime Duffina Tabu, président de l’Association des volontaires du Congo, une ONG locale. Flavien Ciza, membre de la coordination provinciale de la société civile du Nord-Kivu, déclare aussi que “les conditions de vie précaires, la pauvreté et le chômage dans lesquels vivent ces enfants, et surtout le manque d’encadrement de la part du gouvernement seraient à l’origine de ce phénomène social”.

Selon une étude de 2011 sur la pauvreté en RDC, «70 pour cent des ménages vivent en dessous du seuil de pauvreté avec moins d’un dollar par jour».

A défaut de vivre de la débrouillardise qui caractérise la jeunesse congolaise, de nombreux enfants de militaires héritent, malgré eux, le métier des armes, qui les intéresse moins.

Les conséquences de cette situation sont nombreuses dans l’armée. “Ce phénomène fragilise l’armée congolaise qui envoie sur le terrain des hommes non formés ou sans expérience. Ces jeunes restent dans l’armée par désespoir ou par vengeance, sans conviction personnelle”, explique Tabu à IPS. “Le gouvernement congolais devrait songer à l’éducation de ces enfants et leur assurer une certaine prise en charge pour que leur avenir soit garanti”, estime Ciza. Lukubushi, de la LEMPODI, demande au gouvernement de faciliter le bien-être des enfants de militaires en assurant leur éducation. “Le taux de chômage en RDC et le manque d’encadrement de ces enfants seraient à la base de cet héritage forcé”.