Q&R: Transformer les transferts de fonds en profits nationaux dans les PMA

GENEVE, 4 déc (IPS) – Les transferts de fonds vers les pays les plus pauvres au monde ont atteint un record de 27 milliards de dollars en 2011, selon un rapport publié le 26 novembre par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) à Genève.

Analysant les tendances dans les 48 pays les moins avancés (PMA), le rapport a noté que les transferts de fonds – l’argent transféré au pays par des ressortissants travaillant à l'étranger – occupent maintenant la deuxième place après l'aide publique au développement (APD), qui s'élevait à 42 milliards de dollars en 2010. Les transferts de fonds étaient presque le double de la valeur de l'investissement étranger direct (IED) dans ces pays, qui s'élevait à 15 milliards de dollars en 2011, faisant d’eux une source beaucoup plus importante pour les PMA que pour d’autres groupes de pays. En effet, les transferts de fonds représentent 4,4 pour cent du produit intérieur brut (PIB) dans l’ensemble du bloc des PMA et 15 pour cent des exportations. Ces parts sont trois fois plus élevées que dans d’autres pays en développement. Bien que ces chiffres soient impressionnants, des experts comme le secrétaire général de la CNUCED, Supachai Panitchpakdi, estiment que les gouvernements ratent une occasion vitale d’intégrer ces flux financiers dans des politiques industrialisées qui favorisent le développement à long terme. Panitchpakdi s'est entretenu avec le correspondant de IPS à Genève, Isolda Agazzi, pour discuter de la façon dont ces transferts privés, plus bénéfiques pour les PMA que le commerce et l'investissement, peuvent exploiter le potentiel des travailleurs migrants pour favoriser une croissance durable de leurs économies nationales. Voici quelques extraits de l’interview. Q: Pourquoi les transferts vers les PMA ont-t-ils connu cette augmentation soudaine ces dernières années? R: A la conférence des pays les moins avancés (PMA) à Istanbul l'année dernière, nous avons mis en lumière le principe de la baisse de la dépendance de l'aide. Cela signifiait que nous devions trouver d'autres moyens de mobiliser des fonds de l'étranger. Après la crise économique, les transferts de fonds sont devenus une source importante de recettes pour les pays les plus pauvres du monde – ils sont 'à l’abri de la récession' parce qu’ils sont guidés par des motifs patriotiques et proviennent principalement d'autres pays du Sud. Le but principal de ces transferts privés est d'aider les familles (des migrants) restées au pays et très peu de pays tentent de (transformer ces fonds) en profits pour l’ensemble de l'économie. Certains travailleurs migrants ont réussi à créer de petites entreprises, mais le potentiel est loin d'être pleinement exploité. Q: Comment la CNUCED peut-elle aider à transformer une opportunité gâchée en une plus bénéfique? R: La CNUCED a une position unique pour traiter avec les PMA et convaincre les gouvernements d'adopter des politiques spécifiques pour intégrer les transferts de fonds dans des stratégies nationales de développement. Ces flux privés devraient être liés aux nouvelles politiques industrielles. Les institutions de développement devraient fournir un financement supplémentaire pour le retour des travailleurs migrants afin de les encourager à utiliser leurs connaissances et leurs économies accumulées dans le renforcement des capacités productives. Les gouvernements devraient pouvoir protéger les petites entreprises en séquençant la libéralisation du commerce. La protection des industries naissantes peut apparaître aujourd'hui un peu naïve, mais les gouvernements ont encore besoin de soutenir les petites et moyennes entreprises dans certains domaines, bien que cela ne soit pas pour toujours. L’adoption de politiques commerciales permanentes qui déforment les politiques n'est pas la voie à suivre. Nous continuons de croire au libre-échange. Q: Etant donné que 80 pour cent des migrants des PMA se déplacent vers d'autres pays en développement, les pays industrialisés ne devraient-ils pas réviser leurs politiques de migration et ouvrir leur frontière à la main-d’œuvre non qualifiée? R: Bien que la libéralisation totale des échanges ajoute seulement un pour cent au produit intérieur brut mondial, la libéralisation complète de la main-d’œuvre pourrait (entraîner) une augmentation de 100 pour cent puisque la productivité d'une personne peut doubler quand elle va à l'étranger. Récemment, les gens sont en train de percevoir la migration sous un angle différent. Plus la main-d’œuvre devient plus mobile, plus la productivité augmente. Et il n'y a pas de bousculade parce que la plupart du temps, les travailleurs migrants vont dans les domaines d'emploi où les nationaux ne veulent pas travailler. Q: L'accent sur les transferts de fonds est-il une reconnaissance de l'échec des échanges commerciaux et l'investissement dans les PMA? R: C’est vrai que l'IDE et les transferts de fonds ont afflué en corrélation inverse. Pour les pays les plus faibles, l’IDE va seulement dans les industries extractives qui ne (créent) pas des emplois. Et en raison de la 'course vers le bas' (concurrence entre les pays d'accueil pour attirer l'investissement en baissant les salaires, les impôts et les normes), ces pays ont perdu de recettes. La CNUCED est également préoccupée par l'implication des firmes transnationales. Le problème avec l'IDE est qu'il est lié aux conditionnalités et motivé par le gain, alors que les transferts de fonds ne sont conditionnés par personne. Par conséquent, étant donné qu’une personne sur cinq ayant un niveau universitaire provenant des PMA vit à l'étranger, principalement dans les pays développés, l'amélioration et la mobilisation de l’IDE seraient un moyen pour les PMA d'éviter la fuite des cerveaux. En effet, la fuite des cerveaux est l'inconvénient des transferts de fonds: deux millions de personnes instruites en provenance des PMA vivent à l'étranger. La perte des connaissances et du savoir-faire pour les pays d'origine dans des secteurs clé comme la santé et l'éducation – il y a plus de professeurs d'université éthiopiens aux Etats-Unis qu'en Ethiopie – pourrait dépasser les profits des transferts de fonds. D'autres effets indésirables sont la distorsion potentielle des prix locaux et la hausse du taux de change.