Q&R: "La guerre a permis d’unifier l’Angola"

LUANDA, 23 nov (IPS) – Un visiteur en Angola pourrait être surpris par le calme entourant la réhabilitation et la construction accélérées des infrastructures dans le pays une décennie après la fin de tant d'années de guerre, et par l'absence de séquelles comme les violences ethniques, les bandes armées ou le règlement de comptes.

Le correspondant de IPS au Brésil, Mario Osava, a interviewé Pepetela – le nom de guerre de l'écrivain angolais Artur Carlos Maurício Pestana dos Santos – pour discuter du phénomène.

Pepetela est professeur de sociologie et membre du Mouvement populaire pour la libération de l'Angola (MPLA), au pouvoir. Il était un guérillero dans la guerre de l'indépendance du pays à l’égard du Portugal de 1961 à 1974, et il a servi en tant que vice-ministre de l'Education au cours des sept premières années après l'indépendance en 1975.

Il est devenu l'un des écrivains les plus célèbres dans ce pays d’Afrique australe, remportant le Prix Camões, le prix le plus prestigieux décerné à la littérature de langue portugaise, en 1997.

Ses 19 romans et deux pièces de théâtre donnent un aperçu de l'histoire de l'Angola, commençant par la lutte contre le colonialisme portugais. Ils reflètent aussi sa désillusion avec la direction prise par ce pays, où, dit-il, “le capitalisme effréné” a enterré les idéaux socialistes de sa “génération de l’utopie” – le titre de l'un de ses romans, publiés en 1992.

Mais Pepetela estime que les objectifs de cette génération ont été atteints à “50 pour cent”, ou même à “55 pour cent”. Par exemple, il reconnaît les réalisations intégrées dans la constitution et les lois du pays, telles qu’un salaire égal pour les hommes et les femmes et une représentation minimale de 40 pour cent des femmes au parlement.

La guerre civile d’Angola a éclaté immédiatement après l'indépendance, et a continué à faire rage, avec des interruptions, jusqu'en 2002. Ce conflit, qui a fait plus d'un million de morts, était une lutte pour le pouvoir entre deux anciens mouvements de libération – le MPLA, soutenu par l'Union soviétique et le Cuba, et l'Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola (UNITA), soutenue par les Etats-Unis et l’Afrique du Sud de l'apartheid.

Voici quelques extraits de l’interview.

Q: Il est admirable que la paix ait été réalisée en si peu de temps, sans les retombées prévisibles d'une telle longue guerre, comme le vandalisme et les poches de violence. Comment expliquez-vous cette transition? Quel rôle le président José Eduardo dos Santos (au pouvoir depuis 1979) et le MPLA y ont-ils joué? R: C'est difficile à expliquer, mais un facteur important était la fatigue. Les gens étaient fatigués de la guerre et de la violence. Ils n'ont pas oublié ce qui s'est passé – de temps en temps, une dispute houleuse éclatait et les gens du MPLA faisaient l'erreur de proclamer qu'ils ont gagné la guerre (l'autre côté ne pouvait pas dire la même chose).

Mais ce sont des moments d'une perte de contrôle qui n'ont pas de conséquences. José Eduardo avait fait le bon jugement en déclarant qu'il n'y avait ni vainqueurs, ni vaincus. C'était important.

Et il a toujours essayé de suivre une politique d'intégration, en particulier dans les forces armées. Quels que soient ses défauts, personne ne nie qu'il a fait cela.

Les Angolais ont aussi une grande capacité pour la solidarité et le maintien d'un sens communautaire, quelque chose qui est plus subjectif et difficile à analyser.

Q: J'étais choqué d'entendre l'idée selon laquelle la guerre a contribué à l'unité nationale. Le conflit a-t-il unifié les Angolais et surmonté les divisions ethniques? R: C'était un élément important en termes de renforcement de l'idée d’une “nation”, qui est abstraite, en particulier pour les populations rurales. Les deux armées ont recruté des gens de partout dans le pays, et les ont mélangés, les forçant à vivre ensemble et à tisser des liens, et les déplaçant d'un endroit à un autre.

Beaucoup ont élevé leurs familles en dehors de leur région d'origine, avec des personnes d'autres groupes ethniques. Alors, ils ont commencé à comprendre que l'Angola était beaucoup plus que le village où ils sont nés. Et la quasi-totalité d'entre eux ont appris à parler et à lire le portugais, un autre élément unificateur majeur.

Q: Mais que reste-t-il du rêve socialiste du MPLA, de sa lutte anticoloniale ou des premières années de l'indépendance? R: Du rêve socialiste – rien. Du programme du gouvernement du MPLA: nous avons un pays indépendant, qui a parfois un discours social-démocrate, qui est trahi dans la pratique tous les jours.

Q: Comment le système économique angolais pourrait-il être défini, à l’époque? Le capitalisme d'Etat? R: Dans la terminologie du passé, oui. Je préfère l'appeler capitalisme effréné à l'étape de la réglementation, et donc sur la voie de ne plus être impitoyable.

Q: Parmi les objectifs de votre “génération de l’utopie” – dont vous croyez que 50 pour cent ont été réalisés, quels sont ceux qui n'ont pas été atteints? R: Ceux que j'ai mentionnés: l'indépendance, la nation et la paix. Le reste est encore en suspens: une société plus juste, plus humaine.

Q: Comment fonctionne l'éducation? A-t-elle répondu à la faim énorme pour l'apprentissage que j'ai vue à l'intérieur du pays? R: Elle croît en nombre et doit continuer d’augmenter. Mais la qualité est encore très faible – si faible que c'est effrayant. Et cela est vrai à tous les niveaux. Elle n'est pas non plus adaptée pour favoriser une politique de développement durable.