SENEGAL: Des jungles en béton poussent dans le pays

DAKAR, 3 oct (IPS) – Au milieu de la frénésie pour la construction au Sénégal, l’érection des bâtiments coûtant moins de 60.000 dollars, et ne nécessitant donc pas un permis de construire, n’est pas contrôlée par les autorités, entraînant une construction peu méthodique et dangereuse d'une majorité de maisons.

Selon le Centre pour le financement de l’habitat abordable en Afrique (CAHF), les immeubles qui coûtent moins de 60.000 dollars (30 millions de francs CFA) ne nécessitent pas de permis de construire dans cette nation d’Afrique de l’ouest. Et bien que ces constructions à faible coût doivent respecter les codes du bâtiment, elles ne sont apparemment pas surveillées.

Selon la loi, chaque maison ou immeuble construit doit être surveillé par des inspecteurs pour la violation possible des codes de construction.

De récentes pluies torrentielles ont révélé l'inconvénient de cette croissance incontrôlée dans la ville capitale, Dakar.

Au cours des deux derniers mois, les pluies ont transformé les rues et les routes principales en lacs et rivières, et ont submergé des maisons, bâtiments, voitures, cultures, animaux, meubles et des infrastructures, tout en faisant 18 morts.

La Facilité mondiale pour la réduction des catastrophes et le relèvement a indiqué dans son rapport d’avril 2011 que la rapidité de l'urbanisation de 3,3 pour cent au Sénégal a provoqué une explosion des immeubles et des routes qui ont réduit la capacité d'infiltration du sol et exacerbé les effets des inondations.

La capitale sénégalaise, une zone très exposée aux inondations, a reçu 156 millimètres de pluie dans l’intervalle de deux heures le 26 août, quelque chose qui n'avait pas été vu en 30 ans, a indiqué le bureau national de météorologie.

Les pluies d’août et de début septembre ont laissé 35.000 familles sans-abri et directement affecté plus de 400.000 personnes dans le pays, selon les chiffres du gouvernement. Aucune enquête n'a été menée jusque-là pour savoir si les maisons effondrées n'ont pas respecté le code du bâtiment du pays.

Le Premier ministre, Abdoul Mbaye, a rapidement pointé du doigt les gens qui construisent des maisons sans respecter les codes de construction, promettant de prendre des mesures énergiques contre toute violation des codes du bâtiment à l’avenir. Il n'a pas encore dit ce que seront ces mesures.

La demande actuelle pour le logement au Sénégal s'élève à 200.000 maisons, avec une augmentation annuelle de 10 pour cent, indique le CAHF dans son Annuaire 2011 sur le financement du logement. Cette organisation basée en Afrique du Sud affirme que les contraintes sur la fourniture de logements au Sénégal comprennent une disponibilité limitée de terres, le manque d'acteurs du marché formel, le coût élevé des politiques de construction et la disponibilité limitée de produits financiers.

Le porte-parole du CAHF, Kecia Rust, a expliqué à IPS: “Ce nombre est assez élevé, en particulier si le secteur privé ne construit pas 200.000 unités par an. Malheureusement, on ne sait combien de maisons sont construites chaque année par le secteur privé, mais des rapports indiquent que la majorité des logements sont construits par les gens eux-mêmes”.

La frénésie pour la construction à Dakar peut avoir été déclenchée par ce qui est, selon le CAHF, la croissance et l’expansion de nombreuses villes africaines, puisque le continent continue d’enregistrer les plus forts taux d'urbanisation dans le monde.

Plus d'un tiers du milliard d’habitants d'Afrique vivent actuellement dans des zones urbaines, mais cette proportion aura atteint la moitié d'ici à 2030, selon le Programme des Nations Unies pour les établissements humains (ONU-HABITAT). Il classe également Dakar sixième sur les 18 villes africaines qui ont enregistré les taux de croissance les plus élevés.

La taille des ménages à Dakar augmente rapidement depuis 2009. La taille moyenne des ménages à Dakar en 2009 était de 9,6 personnes, très élevé par rapport à Nairobi (3,0) et à Johannesburg (3,7), indique le Diagnostic des infrastructures nationales en Afrique dans son rapport de 2009.

Cette ville abrite quelque 2,5 millions des 12,7 millions d’habitants du Sénégal, et le taux moyen annuel de la croissance démographique urbaine devrait être de 3,4 pour cent entre 2010 et 2030, selon le Fonds des Nations Unies pour la population.

Rust a déclaré à IPS que l'augmentation de la demande pour le logement est vraisemblablement due essentiellement aux ménages qui ne peuvent pas s’offrir une maison construite par un promoteur immobilier, parce que 60 pour cent de la population gagne moins de deux dollars par jour.

“Par conséquent, ils construisent les logements eux-mêmes… Ils ne bâtissent pas n’importe comment exprès, mais sans une assistance technique dans la construction et d’autres appuis techniques, ils ne peuvent pas toujours faire mieux”, dit-il. “Il pourrait s’agir de quelque chose d’aussi simple que le mélange de sable et de ciment pour fabriquer du béton. Si les gens essaient de faire des économies, ils peuvent mettre plus de sable que de ciment dans le mélange… ce qui signifie que quand les inondations arrivent, la maison s’écroule”.

Un homme interrogé sur un chantier de construction à Guédiawaye, une banlieue de Dakar, a affirmé qu'il ne savait rien des codes de construction du pays.

“S'il existe quelque chose de la sorte, pourquoi le gouvernement ne peut-il pas lancer une campagne de porte-à-porte pour faire la sensibilisation? Ma maison est presque terminée et tout est parfait”. Il ajoute que personne n’a inspecté son chantier de construction. “Je n'en ai pas besoin, de toute façon”.

Un promoteur immobilier, qui a requis l'anonymat, a déclaré à IPS: “Des normes de construction? Lesquelles? Avons-nous quelque chose comme ça dans ce pays? Le Sénégal est une jungle où vous construisez comme bon vous semble”.