NIGERIA: Les Etats-Unis condamnent les attaques de Boko Haram

WASHINGTON, 27 jan (IPS) – Le département d'Etat américain a “fermement” condamné mardi les récentes attaques meurtrières menées par le groupe islamiste Boko Haram dans le nord du Nigeria, mais a également prévenu contre une réaction excessive des forces de sécurité du gouvernement.

Les attaques contre le gouvernement et d'autres installations à Kano, la capitale économique du nord, et dans l'Etat de Bauchi, ont tué au moins 185 personnes et ont renouvelé les craintes ici que le plus grand exportateur de pétrole et la nation la plus peuplée d’Afrique ne devienne dangereusement instable.

Elles ont suivi les grèves et manifestations nationales qui ont contraint le président nigérian, Goodluck Jonathan, à rétablir partiellement les subventions au carburant qui avaient été brutalement supprimées par le gouvernement début janvier.

Les dernières attaques menées par Boko Haram ont été les plus meurtrières dans une campagne de violences qui, depuis qu'elle a commencé en juillet 2009, a fait au total au moins 935 morts, selon un document d'information également publié mardi par 'Human Rights Watch', qui a qualifié les attaques du groupe “d’indéfendables”.

Le Nigeria, la puissance dominante en Afrique de l'ouest et dans le golfe de Guinée riche en pétrole et en gaz, fournit aux Etats-Unis environ huit pour cent de leurs importations totales de pétrole, faisant de lui le grand partenaire commercial de Washington sur le continent africain.

Il est également l'un des trois pays d’Afrique subsaharienne – avec l'Afrique du Sud et l'Angola, un autre grand exportateur de pétrole – avec lesquels l'administration du président Barack Obama a mis en place des commissions binationales de haut niveau.

Bien que la sécurité dans la région productrice de pétrole du Delta du Niger ait longtemps dominé les préoccupations américaines concernant la stabilité du Nigeria, l'émergence de Boko Haram, dont le nom a été traduit comme “l'éducation occidentale est un sacrilège”, dans le nord du pays à majorité musulmane, a suscité une inquiétude croissante, en particulier au Pentagone et au sein de son 'Africa Command' (AFRICOM), le commandement militaire américain pour l’Afrique, vieux de quatre ans.

Lors de sa première visite au Nigeria en tant que commandant de l'AFRICOM en août 2011, le général Cater Ham a déclaré que Boko Haram avait pris des contacts avec Al-Qaïda au Maghreb islamiste (AQMI) et que c'était possible que ces deux groupes forment un partenariat “officieux” avec al-Shabab en Somalie.

“Ce qui est présentement plus inquiétant, du moins à mon avis, c’est une intention clairement affichée de Boko Haram et d’Al-Qaïda au Maghreb islamique de coordonner et de synchroniser leurs efforts”, a-t-il indiqué aux journalistes à Lagos, à la mi-août. “Je ne suis pas si sûr qu'ils soient déjà capables de le faire, mais il est clair pour moi qu'ils ont le désir et l'intention de le faire”.

Lorsque, à peine 10 jours plus tard, le groupe a mené une attaque suicide sur le quartier de l'ONU à Abuja, la capitale du pays, tuant au moins 23 personnes, il est apparu que l’affirmation de Ham selon laquelle les ambitions de Boko Haram – ou celles d'au moins une faction au sein du groupe – n’étaient plus strictement limitées au Nigeria. C'était la première attaque menée par le groupe sur une cible étrangère.

Depuis ce temps, le gouvernement nigérian, soutenu par quelques législateurs républicains au Capitole Hill, aux Etats-Unis, a demandé que Boko Haram soit mis sur la liste du département d'Etat des organisations terroristes étrangères et que l'administration augmente considérablement son assistance à Abuja dans la lutte contre le terrorisme – qui s'élevait à seulement 1,5 million de dollars au cours des deux dernières années.

Dans une présentation au 'Center for Strategic and International Studies' (Centre d'études stratégiques et internationales) ici en octobre, Ham a semblé également approuver une telle approche, réitérant ses craintes par rapport à “l’intention affichée” d'Al-Shabaab, d’AQMI, et de Boko Haram “de conjuguer et de synchroniser leurs efforts”, qu'il a décrite comme une “conséquence très, très dangereuse pour nous”.

“Très clairement, Boko Haram a quelque peu modifié la relation, nous cherchons donc des moyens par lesquels nous pouvons aider… à développer les capacités anti-terroristes (du pays), des choses telles qu’une formation non létale, des équipements non meurtriers, pour être plus précis dans le déploiement de la force…” Au début du mois de janvier, Owoye Andrew Azazi, le conseiller à la sécurité nationale de Jonathan, a explicitement demandé de telles mesures dans une tribune libre publiée dans le 'Washington Times'.

“Nous pouvons détruire Boko Haram à ses débuts, avant qu'il ne devienne réellement international”, a-t-il écrit. “Nous ne voulons pas ou n’avons pas besoin de troupes américaines. Mais nous bénéficierions énormément du savoir-faire et d’autres formes d’appui des Etats-Unis, puisque nous développons notre nouvelle stratégie de lutte contre le terrorisme”.

Cependant, l'administration Obama a jusqu'à présent résisté à de telles exhortations, suggérant plutôt que pour faire face à Boko Haram il faut une approche beaucoup plus subtile que celle qui a été adoptée par le gouvernement de Jonathan.

“L'administration Jonathan a choisi de voir Boko Haram comme essentiellement une question de sécurité: envoyez plus de policiers à ses trousses, envoyez plus de militaires le traquer, recevez plus d'aide internationale en étiquetant tout comme un effort anti-terroriste”, a déclaré John Campbell, un expert du Nigeria à l’influent 'Council on Foreign Relations' (Conseil des relations étrangères).

“Boko Haram n'est pas une organisation; c'est un mouvement ayant des souches et causes multiples”, en son sein, des leaders politiques du nord qui se sentent marginalisés, a-t-il déclaré à IPS.

“Mon argument est que Boko Haram est fondamentalement une question politique, qu'il émerge de circonstances particulièrement nigérianes; qu'il a peu à voir avec le terrorisme international (bien qu'il utilise sans doute des méthodes terroristes); et il y a peu ou pas de rôle pour les Etats-Unis”.

“Il pourrait acquérir un caractère djihadiste, et la façon dont il pourrait le faire est si les Etats-Unis sont considérés comme favorables aux approches sécuritaires nigérianes face à Boko Haram”, a indiqué Campbell, qui, en tant qu’ancien diplomate, a effectué deux voyages au Nigeria.

La modération américaine semblait se traduire dans la déclaration mardi du département d'Etat lue par son porte-parole, Victoria Nuland, qui a dit que les Etats-Unis “condamnent fermement les attaques terroristes dans la ville de Kano et dans l'Etat de Bauchi… et demandent que les auteurs soient tenus pour responsables”.

“Les Etats-Unis demeurent fortement engagés à collaborer avec les autorités nigérianes afin de trouver un moyen d’amener la paix dans le nord par des réponses à la fois sécuritaires et politiques, et à travailler avec le gouvernement nigérian et d’autres dans la communauté internationale pour promouvoir un développement économique plus grand et une croissance à long terme dans tout le nord du Nigeria”, a-t-elle affirmé.

“Nous réitérons l'importance de protéger les civils innocents dans toute réponse comme l’application de la loi à de telles attaques”, ajoute la déclaration.

*Le blog de Jim Lobe sur la politique étrangère américaine est accessible sur le site Internet http://www.lobelog.com.