AFRIQUE: Les Etats n’investissent pas dans les régions les plus affamées et plus pauvres

CHANGWON, Corée du Sud, 25 oct (IPS) – Depuis des millénaires, les gens sont confrontés à la sécheresse dans la Corne de l'Afrique, qui est constituée principalement de zones arides.

Pourtant, aujourd'hui, plus de 13 millions de personnes là-bas sont affamées à cause de l'instabilité politique, de mauvaises politiques gouvernementales et du refus d’investir dans les populations les plus pauvres au monde, ont déclaré des experts à Changwon.

Il faut 2,5 milliards de dollars d’aide humanitaire pour faire face à une crise de la faim dévastatrice dans certaines parties de Djibouti, d'Ethiopie, du Kenya et de la Somalie.

Deux milliards de personnes, dont la moitié est extrêmement pauvre, vivent dans des zones arides à travers le monde, selon Anne Juepner du 'Drylands Development Centre' (Centre de développement des zones arides) au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), à Nairobi, au Kenya.

“Les terres arides ne sont pas des terres incultes, comme on le pense souvent. Plus de la moitié du bétail, des moutons, des chèvres et une grande partie de leurs céréales dans le monde sont produits dans des zones arides”, a expliqué Juepner à IPS dans un entretien en marge de la 10ème Conférence des parties (COP 10) de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification, à Changwon, en Corée du Sud.

Juepner était là pour lancer le rapport du PNUD intitulé “The Forgotten Billion” (Le Milliard oublié), un rapport visant à attirer l'attention sur le fait que malgré leur productivité, les terres arides, qui constituent un tiers de toute l’étendue des terres dans le monde, hébergent également les populations les plus pauvres et les plus à risque au monde.

Les terres arides comprennent les grandes plaines d'Amérique du nord, les Pampas en Argentine et les régions de blé de l'Ukraine et du Kazakhstan. Les grandes villes comme Los Angeles, Mexico City, New Delhi, Le Caire et Beijing sont situées dans des zones arides.

Bien qu’une grande partie de l'Amérique du nord soit constituée de zones arides et souffre de la dégradation des terres, c’est dans les zones arides rurales dans les pays en développement que se trouvent les populations les plus pauvres. Elles sont souvent négligées ou ignorées par leurs propres pays et par les organisations de développement, a indiqué Juepner.

Beaucoup ont survécu pendant des milliers d'années dans des conditions très sèches, mais ils vivent au bord de la survie. Si les gouvernements imposent des frontières ou créent des zones protégées ou d’établissement pour restreindre le mouvement des éleveurs et de leurs animaux, une sécheresse peut les faire basculer dans la crise.

Les gouvernements investissent souvent très peu dans des infrastructures comme les routes et les écoles dans ces régions pauvres. De même, les agences de développement et autres donateurs ne pensent pas que ce soit les meilleurs endroits pour faire des investissements, selon Juepner.

Des sécheresses successives ont ravagé une grande partie du Kenya, laissant certaines personnes littéralement démunies et rendant la récupération presque impossible sans une aide. “De petits investissements ciblés dans des communautés touchées peuvent les aider à récupérer”, a-t-elle souligné.

Un petit projet du PNUD aide les gens de Turkana, dans le nord-ouest du Kenya, à transformer les plantes d'aloe vera en savon pour laver la main, qui est en forte demande sur les marchés locaux. Selon Juepner, ces types d'investissements à faible coût, et non des interventions humanitaires annuelles, sont efficaces dans la prévention des crises.

Une partie de cette somme importante de 2,5 milliards de dollars pour répondre aux catastrophes pour la Corne de l'Afrique doit être allouée à ces genres d'investissements afin d’accroître la résistance et la capacité des communautés locales à s'adapter, a déclaré Juepner.

Le pastoralisme est souvent considéré comme un mode de vie qui est soit rétrograde soit très risqué, et que les nomades, autrement appelés pasteurs, sont souvent accusés de dégradation des terres. Mais en fait, les études montrent aujourd’hui que les terres arides sont adaptées à l’élevage et au mouvement des animaux, et souffrent lorsqu’ils y sont enlevés.

“Les terres dégradées récupèrent beaucoup plus rapidement avec bon nombre de têtes de bétail que lorsque les animaux sont enfermés dans un enclos”, a expliqué Juepner.

Le pastoralisme mobile fait partie de la solution à la crise, a indiqué Pablo Manzano, coordinateur international de l'Initiative mondiale pour un pastoralisme durable. Etre mobile constitue la meilleure façon de s'adapter au changement des précipitations, puisque les pasteurs simulent, depuis des milliers d'années, des migrations d’animaux sauvages.

La mobilité est aussi importante pour s’adapter aux changements climatiques, a-t-il souligné.

L'agriculture irriguée est coûteuse et non une panacée pour les problèmes de sécurité alimentaire dans les zones arides, puisque les projets d'irrigation épuisent les ressources en eau et conduisent à des conflits avec les éleveurs, a déclaré Manzano à IPS, à Changwon.

Le foncier est important pour s’assurer que les éleveurs peuvent correctement contrôler et gérer les terres. Les frontières politiques imposent aussi des barrières arbitraires. “Dans la Corne de l'Afrique, pas une seule frontière ne longe les lignes culturelles ou écologiques”, a-t-il affirmé.

Les stratégies à long terme, qui ont été la solution lors d'autres crises alimentaires, devraient être basées sur l’autorisation des gens à se déplacer avec leur bétail à travers des frontières artificielles.

Les famines sont plus liées aux troubles politiques, et en fait, la crise actuelle dans la Corne de l'Afrique a été prédite il y a un an, a indiqué Manzano. Il a ajouté que l'instabilité politique et la guerre en Somalie constituent les principales raisons pour lesquelles quatre millions de Somaliens sont dans une situation désespérée.