COMMERCE: L’Afrique n’a toujours rien à voir avec les autres

LE CAP, 10 sep (IPS) – Alors que les accords commerciaux au niveau mondial portent de plus en plus sur comment lier les chaînes de production entre pays et continents, l'Afrique reste enfermée dans une lutte visant à surmonter l'héritage colonial de la division, déclarent des experts du commerce.

“Ce n'est plus un monde constitué d’eux et de nous. Les pays font tous partie de la même chaîne de production, donc en pratiquant le protectionnisme, nous nous tirerions dans les pieds”, a affirmé l'économiste en chef de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), Patrick Low.

S'exprimant jeudi lors de la conférence annuelle de deux jours du 'Trade Law Centre of Southern Africa' (Centre du droit commercial d'Afrique australe – Tralac) au Cap, en Afrique du Sud. Low a indiqué que les accords commerciaux préférentiels (PTA) portent de moins en moins sur les tarifs et traitent de plus en plus d’une 'intégration approfondie', ou de comment lier des réseaux de production.

Low faisait allusion au Rapport 2010 sur le commerce mondial de l'OMC qui indique que 87 pour cent des échanges commerciaux effectués sous les PTA jouissent d'une marge préférentielle de seulement deux pour cent. Et que seulement 16 pour cent du commerce mondial sont soumis à des préférences.

“Il ne s'agit plus seulement d'ouvrir des marchés, mais des moyens subtiles pour créer un environnement compétitif pour votre industrie. En s'engageant dans de tels PTA approfondis, le commerce au sein des réseaux de production a augmenté de huit pour cent”, a souligné Low.

Toutefois, cela ne s’applique pas à l’Afrique. “L'Afrique ne rentre pas dans ce schéma. Plutôt que d'accueillir les réseaux de production, elle est enfermée dans une lutte visant à surmonter l'héritage colonial de la fragmentation. Les PTA en Afrique sont donc plutôt superficiels et ne conduisent pas nécessairement à une intégration plus approfondie”, a observé Low.

Une analyse des tendances mondiales dans les PTA montre qu'ils facilitent de plus en plus l'élimination des obstacles à la production transfrontalière. Ils sont fortement axés sur le secteur privé, avec une contribution du gouvernement et une réglementation nationale soutenant des développements régionaux. Ils vont aussi souvent plus loin que ce que l'OMC prévoit pour le libre-échange.

En Afrique, a déclaré Gerhard Erasmus, un expert en droit commercial et membre du Tralac, les PTA sont motivés par la politique postcoloniale et se caractérisent par une approche hiérarchisée dirigée par le gouvernement. L'Afrique suit également un modèle linéaire consistant à essayer de passer des Zones de libre-échange (FTA) à une union douanière et, en fin de compte, à un marché commun. Cela n'est pas toujours réaliste et se traduit par des FTA 'désordonnées' sans un suivi adéquat et une application des règles. Par exemple, la Communauté de développement d’Afrique australe est une FTA, mais elle continue à souffrir de nombreuses barrières commerciales.

“Un conducteur de camion transportant des produits venant d'Afrique du Sud vers la République démocratique du Congo sera, par exemple, retenu à la frontière par des agents obstinés évoquant une documentation inappropriée et sera obligé d'abandonner le camion.

“Dès qu’il revient au poste-frontière, après des mois de demande de réparation infructueux auprès des tribunaux, le camion aura disparu ainsi que la marchandise”, a indiqué Erasmus à propos des défis quotidiens auxquels les acteurs du secteur privé sont confrontés.

Le développement des services, tels qu’un secteur des transports rentable, est largement évité dans les vastes négociations commerciales dans lesquelles les pays africains se sont engagés au cours de la dernière décennie. Pourtant, sans ces services, le commerce souffre.

“Par exemple, 40 pour cent des recettes issues des exportations du Rwanda sont englouties par les coûts de transport”, a souligné Erasmus.

“L'Afrique continue d'être préoccupée par le commerce des biens, au lieu d’embrasser un programme d'intégration régionale plus approfondie comme ailleurs dans le monde en développement. Les négociations sont principalement axées sur l'Etat, avec le secteur privé et la société civile à la fois occupant une place périphérique. Le secteur privé devrait être engagé pour stimuler une intégration plus profonde”, a déclaré le directeur du Tralac, Trudi Hartzenberg.

Les services sont essentiels pour renforcer le secteur ou les réseaux de production, même quand ils traitent des marchandises, a indiqué Hildegunn Nordhas de l'Organisation de coopération et de développement économiques. Il a dit que les services étaient nécessaires pour accroître l'industrie et les affaires. Le développement des services peut ouvrir des marchés ou renforcer la productivité.

“Le commerce des fleurs coupées au Kenya n'a commencé à prospérer que lorsque davantage de touristes ont afflué vers le pays, établissant ainsi des liaisons aériennes régulières qui pourraient ensuite être utilisées pour exporter des fleurs.

“Ou bien prenez la prolifération du secteur des télécommunications en Afrique. Là où vous devriez conduire autrefois pour vous rendre à une ferme dans les zones rurales, pour voir s’ils avaient des produits, vous pouvez désormais appeler le fermier sur son téléphone cellulaire”, a souligné Nordhas.

Continuer à ignorer le développement de l'industrie des services dans les accords commerciaux sur le continent, ne favorisera pas l'Afrique dans le long terme, a affirmé Nordhas.

“L'écart relatif, entre les pays développés et les pays en développement qui investissent dans les services, et l'Afrique, augmentera et nous resterons en retard. Alors, le développement des services est vraiment une priorité”.