RWANDA: La carotte et le bâton pour préserver les forêts

KIGALI, 25 jan (IPS) – Depuis des années, les différentes campagnes pour une utilisation durable des forêts ont simplement ignoré Pascal Segatashya. Mais l’ambitieux Projet de préservation des forêts du Rwanda l’a finalement découvert – et a transformé sa vie et ses moyens de subsistance.

La plupart de ses voisins dans une communauté rurale du district de Gisagara, dans le sud du Rwanda, sont des agriculteurs; mais ce père de cinq enfants a gagné sa vie principalement par l’abattage illégal des eucalyptus sur sa ferme de cinq hectares qu’il vend comme bois de chauffage. Augmentation de la pression sur les régions boisées Environ 90 pour cent des habitants de Gisagara s’adonnent à l’agriculture d’une manière ou d’une autre sur des pentes montagneuses fertiles. Comme dans plusieurs autres parties du pays, la population ici a été gonflée par les quelque trois millions de personnes qui sont retournées au pays, après l’exil, depuis la fin du génocide de 1994. La population rurale croissante est avide de terres arables, de bois pour le combustible et la construction, menaçant le couvert forestier de disparition. Les données compilées par le site web environnemental, Mongabay, montrent que l’utilisation du bois pour le combustible au Rwanda a augmenté de 60 pour cent entre 1990 et 2005. L’exploitation forestière industrielle s’est intensifiée également au cours de cette période. S’appuyant sur des sources comprenant l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et le Programme des Nations Unies pour l’environnement, le profile des forêts du pays, établi par Mongabay, devrait révéler une histoire bien connue de l’accélération de la déforestation, mais le couvert forestier du Rwanda a plutôt repris, d’un taux faible de 10 pour cent, à presque 20 pour cent actuellement. Le Rwanda a fait de la protection de ses forêts restantes une priorité et s’est fixé l’objectif d’accroître le couvert forestier à 30 pour cent d’ici à 2020 – un objectif qu’il semble être prêt à atteindre bien avant le délai. Le pays continue de perdre une précieuse forêt primaire – la destruction presque totale de la forêt de Gishwati, dans le nord-ouest, par les populations déplacées par le génocide, est un exemple – mais cela est compensé par la campagne énergique contre l’utilisation non durable des forêts tout en faisant la promotion de la plantation d’arbres à travers le pays. L’application des lois est essentielle Un jour, il y a près de deux ans, en rentrant à la maison à bord d’un camion pick-up chargé de bois, Segatashya a été arrêté pour avoir abattu des arbres sans une autorisation. Il a été emprisonné pendant plusieurs jours pour des accusations de dégradation environnementale, en phase avec aux nouvelles mesures drastiques du gouvernement. Cette arrestation a fait l’affaire. Aujourd’hui – avec le soutien des autorités locales – Segatashya s’est converti à l’agroforesterie. Son lopin de terre garde un peuplement d’eucalyptus restants sur une partie, mais il a planté des avocatiers et des manguiers dans d’autres zones. Segatashya affirme que son revenu mensuel de 200 dollars est pratiquement le même que par le passé – mais l’exploitation actuelle de sa terre est durable et augmente là où il détruisait progressivement auparavant sa source de revenu. “La tâche [de l’entretien des arbres] est très facile et je peux gagner de l’argent en vendant des fruits beaucoup plus facilement et sans complications”, a-t-il confié à IPS. Depuis 2009, le gouvernement rwandais a dépêché des experts agricoles au niveau local dans tout le pays pour former des agriculteurs sur la manière d’améliorer leurs pratiques d’utilisation des terres avec un programme de développement de jeunes plants et de boisement. Ce programme est destiné à restaurer le couvert végétal dans les zones déboisées dans plusieurs régions très affectées de ce pays montagneux. Le gouvernement met l’accent sur l’agroforesterie parce qu’elle fournira une source de fruits et d’aliments et consolidera les revenus des villages. “La démarche qui est destinée à la création de la richesse pour les Rwandais, à travers la plantation d’arbres, sera le point d’intérêt du gouvernement et de ses partenaires”, a déclaré Christophe Bazivamo, ministre des Terres, de l’Environnement, des Forêts, de l’Eau et des Mines du Rwanda. Des questions concernant l’approche Mais un chercheur sur l’environnement à l’Université nationale du Rwanda – soulevant la critique seulement sous l’anonymat – remet en cause la manière dont le gouvernement a entrepris sa mission. “Ce qui est plus important, c’est de favoriser l’appropriation et de promouvoir la participation sociale au lieu d’appliquer la loi”, a-t-il indiqué à IPS, se référant au type de politique de maintien d’ordre qui a vu Sengatashya passer plusieurs nuits en prison. Il a affirmé également que le financement pour les programmes de reboisement est insuffisant, et a appelé à un financement public direct pour reconstruire des zones déboisées. Fabien Kayitare a également des réserves. Expert du programme CATALIST du Centre international de développement des engrais, il dit que les communautés locales ont besoin d’acquérir de nouvelles connaissances si elles doivent adopter avec succès, et de façon permanente, de nouvelles pratiques dans le domaine des forêts. “Il n’y a personne à blâmer pour la déforestation, mais il est important d’introduire de nouvelles alternatives destinées à consommer moins de combustible et à réduire le temps de cuisine pour les pauvres. Le Projet CATALIST (Catalysez l’intensification agricole accélérée pour la stabilité sociale et environnementale) travaille avec des organisations paysannes, des organisations non gouvernementales et des donateurs au Rwanda, au Burundi et en République démocratique du Congo, pour accroître la production des aliments de base, avec l’accent sur une gestion saine de l’environnement et la protection de la biodiversité. Il met en relief le besoin de technologies appropriées pour réduire la pression sur les régions boisées, proposant des fourneaux à titre d’exemple. “Il est facile de constater que dans les communautés rurales qui utilisent des fourneaux améliorés [qui brûlent le bois de manière plus efficace], la nouvelle technologie nécessite beaucoup moins de biomasse pour cuire la même quantité de nourriture”. Mais l’application des réglementations forestières est un problème critique à travers une grande partie de l’Afrique. Couplées avec le soutien actif pour des pratiques alternatives, les statistiques indiquent que l’utilisation durable commence par entrer dans les habitudes, même malgré un contexte d’utilisation croissante de produits de bois dans le pays. Des fermiers comme Segatashya sont en train d’opérer la transition pour devenir les gardiens des régions boisées et le ministre Bazivamo est sûr que la campagne du pays visant à planter un milliard de jeunes plants d’ici à 2013, renforcera davantage les progrès réalisés par le Rwanda.