SANTE-AFRIQUE: Moins de fonds entraînera gratuitement des décès du SIDA

JOHANNESBURG, 10 juin (IPS) – Le fait que des donateurs internationaux reviennent sur le financement de la lutte contre le VIH/SIDA risque de creuser l'écart de traitement en Afrique, sapant les réalisations positives de plusieurs années dans ce domaine, prévient un nouveau rapport de Médecins sans frontières.

Et bien d'autres décès gratuits liés au VIH seront causés par ces changements dans le financement des bailleurs de fonds internationaux.

Publié à la fin de mai, le rapport est intitulé “Pas le moment de quitter”. Et son auteur, Mit Philips, est extrêmement inquiet. Le succès dans la lutte contre le VIH/SIDA est très fragile, croit-elle.

“Comment pouvons-nous à mi-chemin renoncer à la lutte et prétendre que la crise est terminée? Neuf millions de personnes dans le monde, dans le besoin d'un traitement d'urgence, n'ont toujours pas accès à ces soins salvateurs. Il y a un risque réel que bon nombre d'entre elles meurent dans les prochaines années si des mesures nécessaires ne sont pas prises maintenant”, a déclaré Philips.

Le net plafonnement des crédits budgétaires annuels pour le VIH/SIDA, avec la réduction du nombre de bailleurs de fonds finançant le traitement du VIH/SIDA dans les pays les plus touchés, augmente la pression sur les systèmes de santé déjà sous-financés.

Le VIH/SIDA n'est plus traité comme une urgence. Philips se demande si le fait de parler trop du succès mais pas assez du travail qui reste à faire a entraîné la diminution de la pression du public en Europe et aux Etats-Unis. “En Europe, le VIH est devenu une maladie chronique très traitable. Il est difficile pour les gens d’imaginer qu'il a un tel visage différent en Afrique. Ce sont deux mondes différents”, a indiqué Philips.

Deux tiers des personnes vivant avec le VIH en Afrique subsaharienne qui ont besoin d'un traitement – environ six millions de personnes – ne l'obtiennent pas. Les ruptures de stock dans certains pays pour un traitement anti-rétroviral salvateur, ainsi que des doutes sur le financement futur ont des conséquences profondes pour la planification des systèmes de santé, et surtout des implications pour les programmes anti-rétroviraux.

La crise financière et le changement des approches à la lutte contre la maladie ont abouti à une nouvelle catégorisation des financements, au lieu de régler le problème des apports uniques d'équipement ou d'infrastructure, évitant ainsi des coûts récurrents. Mais ceux qui sont déjà sous traitement ont besoin que le financement continue afin qu’ils puissent recevoir leurs médicaments. Et ceux qui ne sont pas sous traitement ne pourront pas y accéder, sauf si le financement est non seulement maintenu, mais accru.

Mark Heywood, vice-président du Conseil national sud-africain de lutte contre le SIDA, estime que la question pour l'Afrique du Sud ne porte pas sur le maintien des niveaux existants de financement, mais sur l’augmentation de l’appui des donateurs afin de permettre que le traitement soit élargi. Actuellement, le pays compte environ un million de personnes sous traitement anti-rétroviral, mais dans les cinq prochaines années, ce nombre pourrait passer à environ cinq millions. Cette expansion n'est pas quelque chose que l'Afrique du Sud peut se permettre de financer seule.

Bien que le gouvernement sud-africain dépende moins des bailleurs de fonds internationaux que certains de ses voisins, les soins de santé ne sont toujours pas suffisamment financés.

“Mais cela ne fait pas de l'Afrique du Sud un mendiant de la charité internationale”, a dit Heywood. “Ce qui signifie clairement que la gestion de l'épidémie relève d’une responsabilité internationale. La santé est un devoir mondial”.

Assurer la fourniture du traitement contre le VIH n'est pas simplement une question pragmatique, mais aussi d'éthique. Dans le contexte de la nouvelle campagne de conseils et de dépistage de masse du gouvernement sud-africain – la plus grande du genre au monde, visant à dépister 15 millions de personnes en une année – peut-on élargir les conseils et le dépistage volontaires sans accroître l'accessibilité et la disponibilité du traitement salvateur pour ceux qui en ont besoin? Le retrait des donateurs en Afrique du Sud ne serait pas seulement ressenti à l'intérieur des frontières du pays, mais dans toute la région d'Afrique australe, estime Heywood. Grâce aux liens complexes avec les pays voisins, y compris de grandes populations de travailleurs migrants, les conséquences auraient un impact régional – non seulement sur le traitement du VIH, mais se traduiraient également en une expansion de la tuberculose et de sa variété résistant à plusieurs médicaments.

“Il existe des preuves d’un retrait à l'échelle mondiale – évident que les bailleurs de fonds sont en train de reconfigurer des programmes qui emporteront l'argent. Cela se traduira par de nombreux décès évitables, et des maladies évitables”, a déclaré Heywood.

Une plus grande responsabilité de tous les acteurs – les donateurs, les gouvernements et les bénéficiaires également – est impérative pour faire face à la crise. “Je ne conteste pas le gaspillage grossier des financements des bailleurs dans certains endroits, mais finalement, comment sortir de ce cycle d’ad hocisme et de l’absence de vision pour financer ces questions?”, a demandé Heywood.

Entrant dans une période de reconstitution cette année, le Fonds mondial s'inquiète que les pays donateurs ne puissent pas prendre les engagements nécessaires pour maintenir et élargir les programmes liés au VIH. Le professeur Michel Kazatchkine, directeur exécutif du Fonds mondial, affirme que les conséquences pourraient être désastreuses.

“Je suis extrêmement préoccupé par les rapports selon lesquels des gens sont en train d’être rejetés dans des centres de traitement ou mis sur des listes d'attente. Les donateurs doivent nous permettre de continuer à élargir l'accès au traitement et à la prévention, afin que nous puissions gagner finalement la lutte. Sinon, le SIDA, la tuberculose et le paludisme gagneront encore de force en Afrique du Sud et dans d'autres pays, ce qui serait une catastrophe pour la santé publique et les droits humains”, a souligné Kazatchkine.

Dans ce cycle de financement, certains bailleurs de fonds, notamment le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France, veulent que le financement soit plafonné. Le Programme conjoint des Nations Unies sur le SIDA (ONUSIDA) estime que pour 2010, la lutte efficace contre la pandémie dans le monde requiert 25 milliards de dollars, dont sept milliards de dollars pour le traitement. Mais seulement 14 milliards de dollars ont été mis à disposition.

“Ce n'est pas le moment pour nous de ralentir nos efforts. Au contraire, nous devrions les redoubler”, a déclaré Kazatchkine.