POLITIQUE-TCHAD: Pourquoi la guerre de Tissi?

N’DJAMENA, 9 mai (IPS) – La reprise des combats entre rebelles et soldats tchadiens, le 24 avril à Tissi, dans le sud-est du Tchad, étonne nombre d’observateurs d’autant qu’ils surviennent peu après la normalisation des relations diplomatiques entre le Tchad et le Soudan.

Les bruits de bottes ont repris après seulement deux mois d'accalmie sur la frontière des deux Etats voisins. Paradoxalement, c’est pendant qu’un émissaire du président tchadien, également médiateur national, Abdéraman Moussa, était en visite au Soudan pour tenter de convaincre les rebelles de faire la paix, qu’un autre groupe rebelle se faisait entendre.

Avant les combats d’avril dernier, les rebelles et soldats du président tchadien Idriss Déby s'étaient affrontés la dernière fois le 7 mai 2009 à Am-Dam, une localité située à environ 900 kilomètres à l'est de la capitale N'Djamena. A l'époque, huit différents groupes rebelles avaient uni leurs troupes sous la bannière de l'Union des forces de la résistance (UFR). Parmi eux, figurait le Front populaire pour la renaissance nationale (FPRN). Bien armée, l'UFR qui avait franchi la frontière tchado-soudanaise début mai 2009, avait pour principal objectif la prise de N'Djamena, comme au début de février 2008. Mais l'armée tchadienne était allée plutôt à la rencontre des rebelles à plusieurs centaines de kilomètres de leur objectif. Pour certains, la terrible bataille d'Am-Dam (200 rebelles tués, 67 faits prisonniers, des armes saisies, 21 soldats tchadiens tués, des dizaines de blessés, selon le bilan fourni par le gouvernement tchadien) avait sonné le glas de la rébellion. Il s'en était suivi en effet un calme relatif, jusqu'aux combats de Tissi, le 24 avril dernier.

La guerre de Tissi est beaucoup plus l'expression de la volonté d'une armée tchadienne qui chercherait à exercer un contrôle total sur les frontières du pays qu'une nouvelle offensive rebelle. Car le FPRN est le seul groupe rebelle à ne pas être associé aux dernières négociations du Soudan conduites par le médiateur national. Contrairement aux autres groupes rebelles ayant souvent leur base arrière au Soudan, le FPRN aurait installé son poste de commandement (PC) en terre tchadienne, dans la localité de Tissi, depuis plus de deux ans. Deux violentes batailles auraient secoué la zone de Tissi, la première, engagée le 24 avril : l'armée était tombée dans une embuscade tendue par le FPRN; et la seconde, survenue deux jours plus tard, avec l'armée qui, après avoir fait appel à d'importants renforts, s’est jetée sur le FPRN en guise de représailles. Pour Wadal Abdelkader Kamougué, ministre tchadien de la Défense nationale, "il n'est pas admissible, pendant que nous disons aux Tchadiens qu'il y a la paix au Tchad, qu'un groupe comme celui-là ose installer son PC en terre tchadienne, dans une zone que nous connaissons bien".

Selon Kamougué, “il n'est pas dit qu'il n'y aura plus de guerre au Tchad; il y aura de temps en temps des accrochages, quelques escarmouches, mais nous sommes déterminés à faire la paix; pour autant, les brebis galeuses seront toujours sanctionnées”. Pourtant, les bilans de ces trois jours de combats sont contradictoires. Le gouvernement affirme avoir infligé une lourde perte au FPRN: plus de 100 morts, 60 prisonniers, de nombreuses armes détruites et saisies.

Mais ce bilan est rejeté en bloc par Annette Laokolé Yoram, la porte-parole du FPRN, basée en France: "Nous apportons un démenti formel à ce bilan ridicule et des plus fantaisistes dont l'objectif était surtout de cacher la raclée prise par les forces gouvernementales et ce, malgré leur impressionnante artillerie". "Le gouvernement dit avoir dans ses rangs un mort et huit blessés, mais le démenti le plus cinglant est venu de l'amiral Christophe Prazuck, porte-parole de l'Etat-major des armées françaises, qui confirme l'évacuation par l'armée française d'une soixantaine de soldats tchadiens blessés, parmi lesquels des officiers", souligne-t-elle dans un entretien par e-mail avec IPS. Priée de dire pourquoi le FPRN refuse la main tendue du président Déby, Yoram déclare que “le FPRN pose comme préalable à toute négociation avec le pouvoir la condition d'associer à cette rencontre toutes les forces vives de la nation, à savoir les partis politiques, la société civile et, bien entendu, les politico-militaires. Toute négociation en dehors de cette configuration est vouée à l'échec”, ajoute-t-elle. Le contrôle triangle Tchad-Soudan-Centrafrique est essentiel. En effet, la partie-est du Tchad est sécurisée par la force mixte tchado-soudanaise conformément au dernier accord de paix entre les deux pays. Deux bases de cette force sont implantées, l'une à El-Géneïna dans la partie soudanaise, et l'autre à Adré, dans la partie tchadienne. Les militaires, qui patrouillent le long des 1.000 km de cette frontière, empêchent toute infiltration des forces ennemies de part et d'autre, raison pour laquelle le sud-est devient le nouveau foyer de tensions, selon des analystes. La dernière probable raison, c'est que dans la partie sud du Tchad, opèrent d'autres groupes rebelles que le régime Déby veut amener, de gré ou de force, à déposer les armes. Il s’agit d'abord de la milice du Dr Nahor Ngawara. Rallié au pouvoir, il est à N'Djamena depuis le 13 décembre 2009, mais ses miliciens restent toujours armés et cantonnés dans le fameux triangle. Le dernier groupe rebelle qui opère au sud est aujourd'hui fragilisé par la blessure et la capture de son chef Djibrine Dassert. Blessé aux combats, il a été déporté le 4 janvier 2010 à N'Djamena pour y être emprisonné, et serait transféré quelques semaines après dans la prison de Koro-Toro en plein désert du Tibesti, dans le nord du pays. Pour sa part, la population tchadienne s'inquiète de la reprise des hostilités. Selon Delphine Kemneloum Djiraïbé, coordinatrice du comité de suivi de l'appel à la paix et à la réconciliation, une plate-forme de plaidoyer, "seul un dialogue inclusif réunissant acteurs politiques et société civile, peut ramener la paix au Tchad". Dobian Assingar, représentant de la Fédération internationale des droits de l’Homme en Afrique centrale, partage cette opinion. “Nous sommes fatigués de toutes ces guerres intestines et interminables, le peuple tchadien a besoin de paix, de quiétude pour profiter au mieux des potentialités que regorge le pays”. Le médiateur tchadien demande aux rebelles de “déposer les armes et de rallier sans condition”. Les rebelles interprètent ces propos comme une sorte d'injonction. "Pour nous, il n'est pas question de rallier, nous exigeons une table ronde, un dialogue inclusif sur un terrain neutre et sous l’auspice de la communauté internationale avant d'examiner les conditions de notre retour au pays", déclare Abdéraman Koulamallah, porte-parole de l'UFR. Le médiateur est donc rentré bredouille à N'Djamena.

L’histoire du Tchad, qui célèbre cette année, à l’instar d’autres pays africains, le cinquantenaire de son indépendance obtenue en 1960, est marquée par quatre décennies de guerres civiles à rebondissements.