COTE D’IVOIRE: Transformer la noix de cajou pour une plus value

BONDOUKOU, Côte d’Ivoire, 16 avr (IPS) – A peine le jour levé, Catherine Kobénan, 34 ans, se presse de se rendre à son travail dans l’usine de décorticage des noix de cajou qui vient d’être mise en marche à Sépingo, dans la région de Bondoukou, dans le nord-est de la Côte d’Ivoire.

“Notre groupe est chargé de la cuisson à l’autoclave et du séchage des noix”, indique Kobénan à IPS. “Après notre tâche, d’autres travailleuses vont se charger du décorticage, du séchage au four, du tri et enfin de l’emballage”, explique-t-elle, heureuse de partir pour rejoindre ses collègues. Kobénan déclare que “nous ne voulions plus continuer à exporter de façon brute la noix de cajou, ou que d’autres personnes viennent le faire à notre place. Cela nous faisait perdre énormément d’argent”. Elle affirme que par le passé, dès la cueillette, ses productions “étaient livrées brutes et à un prix dérisoire” aux acheteurs intermédiaires qui, dit-elle, parcouraient la région pour s’en procurer et les revendre aux exportateurs à Abidjan, la capitale économique ivoirienne. Mais, depuis l’installation en 2008 de l’usine où elle livre la totalité des 500 kilogrammes produits sur son hectare d’anacardiers, son revenu annuel est passé de 50.000 francs CFA (environ 104 dollars) à 250.000 FCFA (520 dollars). Cette situation est quasiment identique pour la majorité des producteurs de la région. De son côté, Gaoussou Ouattara, 52 ans, déclare à IPS : “Avec une tonne et demie de noix de cajou, mon revenu a plus que triplé entre 2001 où je livrais la production brute à moins de 200.000 FCFA (environ 416 dollars) et aujourd’hui où je gagne 700.000 FCFA (1.458 dollars) par an avec la transformation”. L’usine a été entièrement financée par les membres de la coopérative de Sépingo dont les membres comme Kobénan et d’autres y sont employés et payés. Mais cela ne les empêche pas d’avoir leurs champs d’anacarde. Pour le moment, l’usine transforme les noix de cajou brutes en noix grillées au four. Construite sur une superficie de deux hectares, l’usine de Sépingo emploie près de 620 personnes, dont environ 500 femmes. Elles doivent transformer au moins deux tonnes de cajou dans la journée pour une unité qui traite annuellement quelque 2.000 tonnes pour un chiffre d’affaires d’environ 610 millions FCFA (1,3 million de dollars). “C’est évidemment très peu dans la mesure où sa capacité de traitement est faible et que la demande des entreprises locales, pour la fabrication d’autres produits de consommation, est insignifiante. Ils (les producteurs) peuvent bien gagner mieux”, explique à IPS, Théodore N’da, ingénieur agronome spécialiste de l’anacarde dans la région de Bondoukou. A ce jour, la transformation locale pour cette unité industrielle de Sépingo, est consacrée à la production de noix de cajou grillées au four, sans sel ou sans huile pour la consommation. Une autre partie est livrée aux entreprises de fabrication de produits cosmétiques à Abidjan, tandis qu’une bonne quantité est exportée vers les pays d’Asie. “Il y a des opportunités pour la transformation de la pomme de cajou en vin, en jus et autres liqueurs qui ne sont pas fortement exploitées”, déplore Sounkalo Traoré, un économiste basé à Abidjan. “Même sans grands moyens, des coopératives locales développent la filière jus. Mais elles ont besoin d’être plus soutenues financièrement pour être très rentables”. L'anacardier est un arbre particulièrement adapté aux conditions soudano-sahéliennes, selon des experts. Il protège les sols affectés par la sécheresse et cohabite parfaitement avec les cultures vivrières des villageois. La cueillette de la noix de cajou (deuxième culture du nord de la Côte d’Ivoire après le coton) procurait un revenu complémentaire aux productions traditionnelles en période de soudure. “Désormais, cette culture constitue une mine d’or pour nos populations (la filière emploie plus de 100.000 producteurs et nourrit 1,5 million de personnes). Surtout que la filière coton connaît depuis quelque temps des difficultés”, ajoute N’da. En 2009, la Côte d’Ivoire est devenue le deuxième pays producteur mondial de noix de cajou avec 350.000 tonnes devant le Vietnam et derrière l'Inde, pour un chiffre d’affaires avoisinant les 100 milliards FCFA (environ 208 millions de dollars). Toutefois, les cinq usines que compte le pays, transforment seulement 10.500 tonnes, soit trois pour cent de la production totale. “Le reste de la production est cédée brute vers l’Inde et le Vietnam et cela constitue un manque à gagner énorme pour la culture de l’anacarde”, regrette Gaoussou Touré, président de l’Association pour le développement de la filière cajou africaine. “D’ici à 2016, nous voulons atteindre les 20 pour cent (dans la transformation). Mais il faut que l’activité soit valorisée”, souligne-t-il à IPS. Touré propose, entre autres, l’exonération totale des droits et taxes d’entrée et de la taxe sur valeur ajoutée sur le matériel d’usine ainsi que sur le matériel de construction et sur les intrants, l’exonération de l’impôt foncier sur cinq à 10 ans, et l’incitation à la consommation locale des produits dérivés de la noix de cajou. Toutefois, selon des analystes, la filière anacarde en Côte d’Ivoire devra aussi mettre un terme aux crises récurrentes auxquelles elle est confrontée en général à la veille des différentes campagnes agricoles. Ces crises portent notamment sur la fixation des prix d’achat aux différentes étapes de la vente. Pour la campagne 2010, le prix d’achat bord champ est de 170 FCFA (0,35 dollar); 180 FCFA (0,37 dollar) au magasin; et 222 FCFA (0,46 dollar) au port. Ces prix ont été rejetés dans un premier temps par les producteurs qui estimaient n’avoir pas été associés à leur fixation. Ce qui a conduit à un bras de fer momentané entre producteurs et structures de gestion de la filière.