ZIMBABWE: "La dollarisation" de l’économie frappe durement les pauvres

HARARE, 29 jan (IPS) – L’effondrement de l’économie zimbabwéenne a conduit à sa “dollarisation” – et même à ce que certains, qui ont toujours maintenu le sens de la tragicomédie, appellent la “pétrolisation” de l’économie à cause de la réapparition du troc.

Lynette Sarimana travaille pour une institution financière dans la capitale Harare où elle est payée avec des bons d’essence. “Pour nous, c’est la ‘pétrolisation’ de l’économie parce que nous sommes payés par des bons d’essence que nous échangeons contre des épices”, était son commentaire sardonique de la situation.

Le Zimbabwe souffre du record mondial sur l’inflation, qui a rendu les choses plus difficiles pour beaucoup d’entreprises à établir leurs budgets ou faire des projets. Le Bureau central des statistiques a indiqué que le taux d’inflation était de 231 millions pour cent quand c’était calculé la dernière fois en juillet 2008. Selon un récent rapport de l’organisation de la société civile internationale, Civicus, “la plupart des détaillants n’acceptent plus la devise zimbabwéenne. Les produits sont vendus essentiellement en dollars US et en rand sud-africain, ce qui a augmenté les prix des aliments de base, de l’eau, de l’essence et des médicaments, les mettant hors de portée pour les gens ordinaires”.

Martin Tarusenga, un économiste basé à Harare, a déclaré à IPS que “l’économie du Zimbabwe s’est effondrée. L’hyperinflation a en partie entraîné la dollarisation officieuse de l’économie zimbabwéenne, forçant beaucoup de personnes à recourir à l’utilisation de la monnaie étrangère”. “Le dollar US est devenu la monnaie de facto, de même que le rand sud-africain, et la plupart des produits sont disponibles seulement dans des boutiques de devises étrangères”.

C’était illégal d’acheter ou de vendre des biens ou des services en une devise quelconque autre que le dollar zimbabwéen. Toutefois, le gouvernement a progressivement assoupli ces restrictions et en novembre 2008, la dollarisation est devenue légale lorsque la Banque centrale du Zimbabwe a donné la licence à des entreprises sélectionnées de vendre les produits en monnaie étrangère. Montrant que lui aussi n’a plus confiance au dollar zimbabwéen, le gouverneur de la Banque centrale, Gideon Gono, a installé des boutiques et des entreprises de devises étrangères approuvées par le gouvernement en septembre 2008 comme un moyen de capter certaines des monnaies étrangères en circulation dans le pays.

La création des “entrepôts et boutiques de détail en devises étrangères approuvés”, en abrégé FOLIWARS, est vue par certains analystes comme ayant un impact négatif non seulement sur l’économie du Zimbabwe, mais également sur les populations rurales pauvres et vulnérables qui n’ont aucun accès à la monnaie étrangère. Ceux qui n’ont pas de parents à l’étranger se battent pour survivre. Le Groupe de recherche sur la pauvreté dans le monde (GPRG) estime qu’en 2006, 50 pour cent de tous les ménages sondés dans des cités et villes zimbabwéennes, recevaient régulièrement de l’argent, de la nourriture, et autres biens des parents qui vivent à l’étranger. Le GPRG est rattaché aux Universités d’Oxford et de Manchester, au Royaume-Uni. “La dollarisation signifie essentiellement que tous les employeurs, y compris le gouvernement, doivent respecter leurs exigences salariales en devises étrangères (forex) puisque le dollar zimbabwéen (zimdollar) ne peut pas acheter assez de forex pour leurs exigences. Le salaire de janvier pour un enseignant est de 23 trillions de dollars zimbabwéens (46 dollars US)”, a déclaré à IPS, Hopewell Gumbo, commentateur économique basé à Harare, qui travaille pour la Coalition du Zimbabwe sur la dette et le développement (ZIMCODD). La ZIMCODD est une organisation non gouvernementale œuvrant pour la justice sociale par rapport aux questions de dette et de commerce.

L’argent suffit seulement pour acheter quelques sacs de farine de maïs.

Aujourd’hui, presque toutes les entreprises, qu’elles aient une licence ou pas, acceptent, sinon préfèrent être payées en devise étrangère. Même les choses de base de tous les jours, comme les frais de transport, d’hôpital, le pain, le lait, l’eau, les cartes de recharge du téléphone portable et les médicaments sont maintenant vendus en monnaie étrangère. Mais 90 pour cent des travailleurs zimbabwéens sont toujours payés en dollars zimbabwéens, selon le Congrès des syndicats des travailleurs du Zimbabwe (ZCTU).

Il est en train de plaider pour que les salaires soient payés en dollars US. “Le ZCTU observe que le marché zimbabwéen a été dollarisé et la plupart des services sociaux tels que l’éducation, la santé, le loyer et le transport, entre autres, ont été dollarisés”, a confié à IPS, Lovemore Matombo, président du ZCTU, à la fin d’une récente réunion pour discuter de la dollarisation de l’économie à Harare, la capitale.

“Le conseil général du ZCTU a par conséquent décidé qu’à partir du 1er janvier, tous les syndicats affiliés au ZCTU et les travailleurs en général devraient négocier les salaires en termes de dollar US, faute de quoi, le secteur retirera sa main-d’œuvre”. Le ZCTU est la centrale syndicale la plus représentative au Zimbabwe. Gumbo a indiqué que le refus de payer les travailleurs en devise étrangère les forcera à trouver d’autres moyens pour survivre, tels que migrer vers les pays voisins ou s’engager dans plusieurs transactions informelles qui caractérisent actuellement l’économie zimbabwéenne. Beaucoup de fonctionnaires ont pris la voie de la corruption comme un moyen de survivre.

“La fourniture de service par le gouvernement s’effondrera davantage que ce à quoi nous assistons en ce moment. La fonction publique est dans le pétrin. Le budget de la prochaine année fiscale va être un cauchemar, mais pour l’instant, nous continuons d’attendre la formation du nouveau gouvernement”, a souligné Gumbo. La Chambre nationale de commerce du Zimbabwe (ZNCC) veut la dollarisation totale de l’économie. Le président de la ZNCC, Obert Sibanda, a affirmé à IPS que la dollarisation permettrait de ressusciter l’économie.

“Nous devons admettre que l’économie a été dollarisée et que toutes les entreprises devraient être inscrites au commerce en devise forte pour accroître la production”, a revendiqué Sibanda.