ENVIRONNEMENT-NIGERIA: Le torchage du gaz inutile demeure non-maîtrisé

LAGOS, 15 jan (IPS) – "La politique du gouvernement fédéral d'arrêter le torchage du gaz débute le 1er janvier 2008, et toute compagnie qui brûle du gaz après cette date serait fermée". Tel était le puissant avertissement du gouvernement nigérian en octobre de l'année dernière aux compagnies pétrolières multinationales opérant dans ce pays pétrolier d’Afrique de l’ouest.

Le torchage du gaz se poursuit en 2008 au mépris de l'avertissement du gouvernement nigérian selon lequel cet acte ne serait pas toléré dans la nouvelle année. Répondant aux pressions venant des compagnies pétrolières, le gouvernement nigérian a repoussé la date butoir le 6 janvier. Un communiqué de presse publié par Levi Ajuonuma, directeur général du groupe des affaires publiques pour la Société nationale nigériane du pétrole (NNPC) appartenant à l'Etat, a annoncé un changement de la date butoir de décembre 2007 à décembre 2008. Depuis 1979, les compagnies pétrolières multinationales ont réussi à contraindre le gouvernement à repousser les dates limites qu'il a fixées pour mettre fin au torchage du gaz. L'industrie pétrolière représente plus de 90 pour cent des recettes d'exportation du Nigeria. "Les feux sont si grands et si proches de nos maisons et fermes que nous sentons la chaleur. Nous ne connaissons pas d'obscurité parce qu'ils flambent 24 heures sur 24 chaque jour", a déclaré Che Ibegwura de la communauté des Egi. Après de nombreux changements de dates limites, Ibegwura en a assez et a le sentiment que la nouvelle date limite peut ne pas être réaliste. "Je doute que le torchage du gaz prenne fin le 31 décembre 2008, il ne cessera pas, ils sont en train de nous duper pendant toutes ces années", affirme-t-il, soulignant que "les compagnies pétrolières et le gouvernement nigérian sont seulement préoccupés par les recettes du pétrole, ils n'ont jamais considéré la santé de la population. Leur plus grande préoccupation est le profit".

Ibegwura a de bonnes raisons de douter des chances d'aboutir de la nouvelle date butoir. Le gouvernement a modifié les dates limites passées, cédant aux pressions constantes des puissantes compagnies pétrolières multinationales très influentes. Ces compagnies insistent que le Nigeria a besoin de plusieurs autres années pour arrêter le torchage du gaz. Le Nigeria brûle la plus grande quantité de gaz dans le monde. La pratique se fait dans la région pétrolière du Delta du Niger où de grands ballons de feux de gaz, brûlant largement et bruyamment d’un bout à l’autre en longues piles, sont monnaie courante.

Le gaz, un sous-produit de l'exploitation pétrolière, est en train d'être brûlé parce que les compagnies pétrolières ne l'utilisent ni ne le récupèrent. La NNPC dit qu'environ 40 pour cent du gaz produit dans le pays — presque 20 milliards de mètres-cubes — est brûlé par an.

La Banque mondiale estime que le Nigeria perd environ 2,5 milliards de dollars par an à cause du torchage du gaz.

Certaines des plus grandes compagnies pétrolières multinationales du monde — notamment la Shell appartenant au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, la compagnie française Total et les compagnies américaines Mobil et Chevron — sont responsables de la majeure partie des scores du torchage du gaz au Nigeria.

"L'année dernière, j'ai attendu impatiemment janvier 2008 avec grand espoir, espérant que le gouvernement obligera les compagnies pétrolières à mettre fin au torchage du gaz", affirme Ibegwura. Il reste déçu que ses attentes ne soient pas réalisées. "C'est déjà 2008, mais les torchages de gaz n'ont pas cessé, ils se poursuivent avec furie".

Ibegwura — dont la communauté Egi possède trois torchères à gaz et est entourée de plusieurs autres — déclare qu'il a vu combien de dégâts les torchères à gaz ont infligés sur sa communauté au cours des 40 dernières années. Ibegwura est âgé de 76 ans.

"Je suis plus âgé que les torchères à gaz dans ma communauté et je peux vous dire à quel point elles ont changé cet endroit, a-t-il confié à IPS.

Ibegwura ne pouvait s'empêcher de revenir sur ces années avec nostalgie. "Avant que le torchage du gaz ne commence ici, je me rappelle très bien que notre environnement était dans son état naturel. A ce moment, les feuilles étaient vertes, l'air était propre, l'eau de pluie ne contenait pas de polluants et était saine à boire". Il dit que tout ceci a changé à partir du milieu des années 1960 quand les compagnies pétrolières multinationales ont commencé à brûler du gaz dans la communauté comme elles effectuent des forages pour trouver du pétrole.

Bode Olufemi, du groupe de plaidoyer nigérian 'Environmental Rights Action' (ERA), souligne que le pétrole est devenu une malédiction pour les communautés. "Le torchage du gaz qui se pratique depuis près de cinq décennies, est l'un des plus grands problèmes environnementaux liés à l'exploration et à l'exploitation du pétrole dans le Delta du Niger", a-t-il indiqué à IPS. Le Nigeria est le plus grand producteur de pétrole en Afrique, mais dans la région pétrolière du Delta du Niger d'où presque tout le pétrole vient, des communautés locales affirment qu'elles ne profitent pas des milliards de dollars réalisés par an à partir des recettes pétrolières. Au contraire, elles disent que l'industrie pétrolière leur impose un lourd fardeau environnemental.

"Le déversement de ces cocktails de gaz dans l'atmosphère, lesquels sont inhalés par la population, la rend vulnérable aux pluies acides et à beaucoup de maladies comme la bronchite et des problèmes dermatologiques", déplore Olufemi.

Bashir Koledoye, directeur technique de 'Geoscience Solutions Limited', une usine de consultations pétrolières basée à Lagos, fait remonter le problème d'arrêter la pratique à la fin des années 1950 quand l'exploitation pétrolière a démarré au Nigeria. "Il n'y avait aucun plan pour mettre fin au torchage du gaz depuis le début. Au départ, l'intérêt des compagnies pétrolières était le pétrole; le gaz était un produit associé dont on n'avait pas besoin et dont on devait se débarrasser dans le but d'obtenir le pétrole", a-t-il déclaré à IPS. Il estime que ce sera difficile de fixer une date ferme pour arrêter le torchage étant donné les gros investissements requis pour installer des équipements qui peuvent exploiter les grandes quantités de gaz qui sont actuellement brûlées. "Parlant en tant que professionnel et technicien, je ne peux lier une date d'arrêt du torchage qu'à ce qui est techniquement et financièrement viable", a indiqué Koledoye. "Pour le moment, nous n'avons pas assez de projets pour utiliser le gaz produit avec le pétrole". Koledoye avertit qu'en essayant de mettre fin au torchage du gaz à cause des préoccupations environnementales, on doit faire attention. "L'arrêt du torchage du gaz pourrait mettre un terme aux dégâts environnementaux, mais il pourrait également mettre fin au commerce du pétrole lui-même. Ceci, soutiennent plusieurs, est la raison même pour laquelle le gouvernement nigérian est réticent à prendre des mesures drastiques pour arrêter le torchage du gaz. Des environnementalistes demeurent furieux. Olufemi dit que le torchage permanent du gaz dans le Delta du Niger est une manifestation du fait que le gouvernement nigérian et les compagnies pétrolières multinationales sont insensibles à la situation critique des gens de la région. Pour lui, des mesures drastiques doivent être prises pour stopper le torchage du gaz. "Quand quelque chose comme le torchage du gaz a un impact direct sur la santé de la population, sur leur gagne-pain et leur environnement, que faites-vous? Vous devez résoudre le problème pour que la population puisse vivre une vie beaucoup plus saine", déclare-t-il. Après des années d'attente d'une interruption du torchage du gaz, Ibegwura est devenu philosophique. "J'attends avec impatience le jour où le torchage du gaz cessera. Tout ce qui a un commencement doit avoir une fin".