POLITIQUE-BENIN: Kérékou a-t-il renoncé volontairement à modifier la

COTONOU, 15 juil (IPS) – Les Béninois sont satisfaits du refus du président Mathieu Kérékou de modifier la constitution de son pays pour briguer un troisième mandat de cinq ans à l'élection présidentielle de 2006, mais ils se demandent si le chef de l'Etat l'a fait volontairement.

Les citoyens du Bénin se déclarent heureux que leur président n'ait pas demandé la modification de la constitution comme l'a fait son homologue de l'Ouganda, Yoweri Museveni, où le parlement vient d'adopter une loi autorisant une révision constitutionnelle lui permettant de briguer un troisième mandat l'année prochaine. La décision du parlement ougandais intervient quelques semaines après le référendum organisé au Tchad, en juin, qui a confirmé une loi adoptée, un an plus tôt, par l'Assemblée nationale révisant la constitution pour permettre au président Idriss Déby de postuler un troisième mandat de cinq ans en 2006. L'intérêt des Béninois pour ces deux autres pays africains est que le Bénin, l'Ouganda et le Tchad avaient tous les trois organisé, entre mars et mai 2001, l'élection présidentielle qui a permis de réélire respectivement Kérékou, Museveni et Déby pour leur second et dernier mandat conformément à la constitution en vigueur jusque-là dans leurs pays respectifs.

Kérékou a profité d'une rencontre, à Cotonou, le lundi (11 juillet), avec un collectif d'enseignants, pour annoncer sa décision de ne pas faire modifier la constitution. Pourtant, le débat sur cette éventualité faisait rage dans le pays par médias interposés, depuis deux ans, entre le camp des révisionnistes et celui des anti-révisionnistes.

Le chef de l'Etat a donc mis officiellement fin à ce débat en déclarant : "La constitution dit, vous êtes président pour cinq ans, renouvelable une fois. Vous vous êtes lancé dans l'aventure. Si Dieu vous a permis de franchir la première étape de cinq ans, à la deuxième étape, vous êtes au bout du rouleau".

Le général Kérékou a ajouté que "Si vous vous entêtez en disant que vous voulez réviser la constitution, alors, vous ne respectez plus la volonté de Dieu". Lorsque Kérékou revenait au pouvoir par les urnes, en 1996, après avoir été battu par son rival Nicéphore Soglo en 1991, et après les 17 années de pouvoir révolutionnaire (1972-1989), il avait indiqué, en prêtant serment, qu'il plaçait son mandat "sous le signe de Dieu". La Conférence nationale, organisée en février 1990, a élaboré la constitution actuelle adoptée par le peuple en décembre de la même année, qui limite l'exercice du pouvoir présidentiel à deux mandats de cinq ans chacun. Elle limite également à 70 ans l'âge maximum pour ne plus être candidat à l'élection présidentielle. Le président Kérékou aura 73 ans en 2006, et Soglo, 72 ans. Les deux hommes savent donc qu'ils sont exclus de la course.

Pourtant, pendant les deux années qu'a duré le débat sur l'intention que lui prêtaient la presse et la société civile de réviser de la constitution, Kérékou ne s'était jamais exprimé officiellement sur la question au Bénin.

Il y avait fait allusion une fois seulement, à Niamey, au Niger, en février, en déclarant, avec de l'humour, en marge d'un sommet de la CEDEAO : "Celui qui veut que je révise la constitution, doit d'abord réduire mon âge". La CEDEAO est la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'ouest. Pendant que Kérékou observait ce long silence, une bonne partie des Béninois le soupçonnait de vouloir modifier la constitution étant donné que certains de ses conseillers techniques sont passés à la télévision nationale pour justifier la nécessité d'une telle modification. Par exemple, son conseiller à l'économie, Sébastien Azondékon, avait indiqué, en avril, qu'il était plus économique, pour les maigres ressources du Bénin, d'autoriser Kérékou à rester au pouvoir au moins jusqu'en 2008, afin de regrouper les trois élections cette année-là. Elles sont prévues normalement en 2006 pour la présidentielle, 2007 pour les législatives, et 2008 pour les communales. Même au lendemain de la déclaration du président sur son refus de réviser la constitution, un homme d'affaires septuagénaire, Karim da-Silva, très proche de Kérékou, estime que le chef de l'Etat "doit revenir sur sa décision. IL faut que l'Assemblée nationale vote une loi pour faire avancer d'un an le mandat des députés et celui du gouvernement actuel". Mais, plusieurs journaux privés du Bénin, tout en saluant la décision du chef de l'Etat, ont affirmé qu'elle n'était pas volontaire, indiquant que Kérékou avait tenté la modification par plusieurs moyens, mais qu'il s'est trouvé confronté à la "farouche opposition de l'opinion publique mobilisée contre un tel projet". Des éditorialistes rappellent qu'il faut une majorité des quatre-cinquièmes des députés ou un référendum pour réviser la constitution.

Kérékou, lui-même, a fait allusion à ces conditions légales à remplir pour une révision constitutionnelle, indiquant que le Bénin n'a pas les 17 millions de dollars nécessaires à l'organisation d'un référendum. Il a également laissé entendre qu'il ne faisait pas confiance à tous les députés dont les partis se déclarent membres de la mouvance présidentielle, mais qui "sabotent le programme du gouvernement". Il a ajouté : "Comme je sais d'avance ce qui va se passer, pourquoi me ridiculiser?". "Donc, si le président était sûr d'obtenir la majorité des quatre-cinquièmes des députés au parlement, il aurait tenté de modifier la constitution", commente Issa Mondi-Mondi, un analyste résidant à Cotonou, la capitale économique béninoise. La société civile doute également de la volonté du chef de l'Etat, tout en saluant sa décision, en même temps qu'elle se félicite de son propre combat contre toute révision de la loi fondamentale. "Si, pour une fois, la société civile ne s'était pas levée comme un seul homme, je crois qu'il y a longtemps qu'on aurait révisé la constitution", a déclaré Roger Gbégnonvi, un des porte-parole de la société civile béninoise.

"En fait, il se peut qu'il n'ait pas voulu la réviser ou qu'il l'ait voulu mais qu'il ait changé d'avis en cours de route", a indiqué, pour sa part, Réckya Madougou, présidente de l'organisation non gouvernementale 'Elan'..

"L'essentiel pour nous, est qu'à chaque fois qu'il y a l'intérêt supérieur de la nation, la société civile reste mobilisée parce que nous sommes fiers d'avoir mené cette lutte quiàa porté ses fruits", ajoute-t-elle. Néanmoins, la société civile appelle toujours l'opinion publique à la vigilance en raison du caractère imprévisible du président Kérékou qui avait comme signe le caméléon pendant son ancien régime révolutionnaire. Le nom de ce lézard, qui change la couleur de sa peau en fonction de l'environnement dans lequel il se trouve, lui a été donné comme surnom par la presse béninoise. L'ancien président Gnassigbé Eyadema du Togo et ses homologues Ben Ali de Tunisie, Omar Bongo du Gabon et Lansana Conté de Guinée ont déjà modifié leur constitution pour briguer au moins un troisième mandat, sinon plus.